Variations sur l'infamie
Chaque semaine, Entre-Temps accompagne la diffusion du dernier numéro de « Faire l'histoire », le nouveau magazine d'Arte qui raconte l'histoire à partir des objets. L'historien·ne présent·e à l'écran exhume un article, des images, une vidéo pour prolonger l'épisode, plus loin, ou ailleurs. Aujourd'hui, pour prolonger son histoire de l'étoile jaune, Claire Zalc nous convie à écouter le dernier mouvement du trio n°2 op. 67 de Chostakovitch, créé pour la première fois en novembre 1944 à Léningrad.
Très vite après la Seconde guerre mondiale, l’étoile jaune s’impose comme un symbole de la persécution des Juifs sous le Troisième Reich. Et l’un des premiers textes publiés sur la mise en place de la législation antisémite en France, par Léon Poliakov en 1949, a d’ailleurs pour titre L’étoile jaune. Depuis, elle devient un insigne à la charge symbolique extrêmement forte, qui fait l’objet d’appropriations et de manipulations. Claire Zalc montre pourtant, dans cet épisode de Faire l’histoire, l’importance d’en proposer une histoire matérielle et sociale, précisément située dans l’espace et le temps. Contextualiser et mettre en série l’insigne montre ses différentes formes – brassard blanc flanqué d’une étoile bleue à six pointes en Pologne, bouton en plastique en Bulgarie -, et ses différents usages, selon les moments et les territoires : montrer, interdire, exclure, arrêter, exterminer. Enserrer cet objet dans sa matérialité, mobiliser des sources pour éclairer sa fabrication, ses utilisations, mais aussi les manières variées dont le stigmate a été convoqué, compris et vécu sur le moment. Certains décident de l’arborer fièrement, d’autres de la détourner, certains choisissent de la dissimuler, ou de ne pas la porter malgré les risques encourus ; face à l’étoile, certains Parisiens fabriquent des étoiles fantaisistes en signe de solidarité, d’autres conspuent, dénoncent ou se taisent. Afin de rendre compte de ces différentes manières de se positionner face à la violence extrême de la stigmatisation, il est utile de trouver des sources contemporaines des faits.
Pour évoquer cette histoire, Claire Zalc nous convie à écouter le dernier mouvement du trio n°2 op. 67 de Chostakovitch. Cette pièce, dédiée à son ami Ivan Ivanovitch Sollertinski, mort en février 1944, est créée pour la première fois en novembre 1944 à Leningrad, quelques semaines après que les Soviétiques ont libéré le camp de Majdanek (en août). Son quatrième mouvement est construit sur un thème populaire juif. Repris par les différents instruments, tantôt vif, tantôt triste, tantôt macabre, tantôt ironique, cet Allegretto témoigne des manières ambivalentes et sublimes d’évoquer, de détourner, de jouer, d’interpréter et de comprendre ce qui se joue au moment même de la mise en œuvre de l’extermination des Juifs d’Europe (le camp d’Auschwitz n’est évacué qu’en janvier 1945). La version proposée ici est jouée à Prague, en 1946, par Chostakovitch lui-même au piano, accompagné de David Oïstrakh au violon, et Miloš Sádlo au violoncelle.
Découvrir aussi « Pourquoi faire l’histoire de l’étoile jaune ? », l’entretien donné par Claire Zalc au magazine L’Histoire.