Exhumer

Cadavres exquis

Chaque semaine, Entre-Temps accompagne la diffusion du dernier numéro de « Faire l'histoire », le nouveau magazine d'Arte qui raconte l'histoire à partir des objets. L'historien·ne présent·e à l'écran exhume un article, des images, une vidéo pour prolonger l'épisode, plus loin, ou ailleurs. Pour prolonger son histoire de la momie, Anne Carol nous conduit vers Palerme et vers les momies des catacombes des Capucins, filmées par Francesco Rosi en 1976 et photographiées par Sophie Zénon en 2008.

Si la momie est associée, dans notre imaginaire collectif, aux pyramides et aux pharaons, l’historienne du corps et de la mort Anne Carol nous montre, dans cet épisode de Faire l’histoire, que son histoire ne se limite pas à l’Égypte ancienne. Le désir de conserver les morts traverse toute l’histoire. La mode de l’embaumement au XIXe siècle, par exemple, révèle un nouveau rapport au deuil et à l’au-delà : les cadavres doivent être présentables, au moins le temps d’une cérémonie. Cette nécessaire beauté des morts nous raconte aussi l’histoire d’une profession discrète, mais essentielle.

Pour continuer à faire cette histoire, Anne Carol nous conduit vers Palerme et vers les momies des catacombes des Capucins, filmées par Francesco Rosi en 1976 et photographiées par Sophie Zénon en 2008.

Le réalisateur italien Francesco Rosi ouvre son film Cadavres exquis (Cadaveri eccellenti), sorti en 1976, par une scène où le procureur joué par Charles Vanel déambule, tête découverte, le long d’une galerie de momies des catacombes de Palerme. Les gros plans du visage vieilli de l’acteur alternent avec ceux des momies alignées contre les murs, qui semblent se pencher vers lui pour lui délivrer un silencieux message – le prévenir, peut-être, de sa mort imminente.

Les momies de Palerme constituent un témoignage parmi d’autres du souci de conserver des corps, qui surgit à des moments différents et pour des raisons différentes dans l’histoire ; la conservation n’est d’ailleurs qu’un des modes de traitement des corps, à côté de l’inhumation ou de la crémation par exemple.

Ces traitements nous en apprennent beaucoup sur les relations que les vivants entretiennent avec les morts et la fonction qu’ils leur assignent. Dans l’Égypte ancienne, préserver l’intégrité du corps a été la condition indispensable pour assurer au défunt une seconde vie dans le royaume des morts. Pour les Capucins de Rome ou de Palerme, les momies ou les ossements des frères alignés dans les cryptes avaient valeur de memento mori et les incitaient à préparer leur salut ; aujourd’hui le touriste les visite, mu par une curiosité un peu macabre qui n’a pas grand-chose à voir avec l’au-delà. Au XIXe siècle, on embaume les chers disparus parce qu’on ne peut pas supporter l’idée d’une séparation définitive, et qu’il est consolant de penser que le défunt, figé dans un éternel sommeil, continue à reposer sous la dalle du tombeau familial, concédé à perpétuité ; l’embaumement fait partie du culte des morts qui s’ancre ici-bas. Aujourd’hui, les soins de conservation concernent plus de la moitié des corps en France, mais il s’agit avant tout de permettre un dernier adieu apaisé, qui précède de plus en plus la destruction par le feu. Le corps doit être beau, débarrassé des stigmates de la mort, pour pouvoir être regardé ; tout le contraire en somme, de la confrontation méditative et douloureuse qui ouvre le film de Rosi ou de la contemplation apaisée, à laquelle invite le beau travail de Sophie Zénon dans In case we die.

L’occasion aussi de redécouvrir notre entretien avec Sophie Zénon en juin 2021.

Découvrir aussi « Pourquoi faire l’histoire de la momie? », l’entretien donné par Anne Carol au magazine L’Histoire.

Publié le 18 janvier 2022
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