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Des histoires d'isoloir

En cette rentrée, Entre-Temps poursuit son partenariat avec « Faire l'histoire », le magazine d'Arte qui raconte l'histoire à partir des objets. L'historien·ne présent·e à l'écran exhume un article, des images, une vidéo pour prolonger l'épisode, plus loin, ou ailleurs. Cette semaine, pour prolonger son histoire du secret du vote, l'historienne Mathilde Larrère nous propose de lire deux articles de référence sur les enjeux et les origines de l'isoloir.

La semaine dernière, Mathilde Larrère, historienne des luttes et de l’émancipation politique, a retracé, dans Faire l’histoire, l’histoire du suffrage universel et du rituel électoral en France à travers deux objets qui garantissent et matérialisent le secret du vote : l’urne en bois, bientôt complétée par l’isoloir.

Sur Entre-Temps, elle propose de prolonger cette émission en donnant à lire deux articles incontournables pour retracer cette histoire. Celui d’Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir » paru en 1988 dans les Actes de la recherche en sciences sociales et celui, plus récent, de Malcolm et Tom Crook, « L’isoloir universel ? La globalisation du scrutin secret au XIXe siècle » qui a été publié dans la Revue d’histoire du XIXe siècle en 2015 et qui adopte une approche transnationale.

Résumé de « Le secret de l’isoloir » d’Alain Garrigou (Les Actes de la recherche en sciences sociales, 1988):

Progressivement adopté dans les autres pays, l’isoloir a fait l’objet, en France, d’une forte résistance et a donné lieu, de 1880 à 1913, à une âpre controverse. L’analyse des débats et scrutins parlementaires de cette période montre que le refus de l’isoloir était principalement le fait des élus conservateurs et des républicains modérés et obéissait aussi bien à des calculs stratégiques partisans qu’à des conceptions patrimoniales. Pour ces notables, en effet, l’isoloir est associé aux phantasmes de la désagrégation sociale, d’autant plus qu’ils considèrent leur élection comme le prolongement naturel de leur domination sociale. A l’opposé, les réformateurs, partisans de l’isoloir, tentaient par là d’imposer une définition légitime de la transaction électorale conforme à leurs conceptions et à leurs intérêts d’entrepreneurs politiques spécialisés, d’autant plus portés à séparer l’activité politique des autres activités sociales qu’ils devaient, la plupart du temps, leur position sociale à leur élection. Imposer l’isoloir, ce n’est plus seulement mettre l’électeur à l’abri des pressions, c’est aussi imposer une nouvelle définition de l’électeur comme individu abstrait, rationnel, dissocié de son environnement social dans l’accomplissement d’un rôle spécifiquement politique.

Résumé de « L’isoloir universel ? La globalisation du scrutin secret au XIXe siècle » de Malcolm et Tom Crook (Revue d’histoire du XIXe siècle, 2015):

Le vote secret est actuellement considéré comme la seule méthode qui puisse assurer la sincérité des élections. Tel n’a pas toujours été le cas. Cet article se veut une contribution à une histoire critique et en devenir de l’acte de vote. Au cours du «  long  » dix-neuvième siècle, l’adoption du vote secret provoqua un grand débat dans les pays occidentaux. Cette discussion devint globale à travers la comparaison entre les systèmes électoraux. Cette approche transnationale de la réforme, fondée sur des réseaux internationaux de communication plus rapides, est cependant restée dans l’ombre, alors qu’elle est essentielle pour comprendre l’invention et la diffusion à travers le monde de l’«  australian ballot  », avec son bulletin officiel imprimé et surtout son isoloir. Une innovation d’origine coloniale a ainsi inspiré le renouveau des procédures électorales en Angleterre et aux États-Unis, puis en Belgique et en France. La diffusion du vote secret offre un excellent exemple de circulation des idées et des pratiques. Dans ce cas néanmoins, des spécificités locales ont persisté, faisant ainsi obstacle à l’adoption d’un modèle uniforme.

Publié le 27 septembre 2022
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