La danse du grand calumet de la paix
Chaque semaine, Entre-Temps accompagne la diffusion du dernier numéro de « Faire l'histoire », le nouveau magazine d'Arte qui raconte l'histoire à partir des objets. L'historien·ne présent·e à l'écran exhume un article, des images, une vidéo pour prolonger l'épisode, plus loin, ou ailleurs. Cette semaine, en écho à son histoire du calumet de la paix, Yann Lignereux nous donne à voir différents extraits de l'opéra "Les Indes galantes" de Jean-Philippe Rameau, composé, pour sa version initiale, en 1735.
« Le calumet de la paix » fait partie de ces expressions consacrées qui se passent souvent d’explication. Pour en faire l’histoire, il faut revenir sur le rêve d’une Amérique française au XVIIe siècle et sur la projection fantasmée d’un roi de France, Louis XIV, empereur des Indiens. C’est ce à quoi s’emploie Yann Lignereux dans cet épisode qui retrace la généalogie de ce geste diplomatique où la parole s’efface devant le rituel mais qui évoque aussi l’histoire de la colonisation moderne.
En écho à cette histoire, Yann Lignereux nous donne à voir « La danse du grand calumet de la paix » de l’opéra Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, composé, pour sa version initiale, en 1735.
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Connu, depuis la fin des années 1670, à travers le récit du Père Marquette, ceux du baron Lahontan dans les premières années du XVIIIe siècle et par un ambitieux traité du Père Lafiteau publié en 1728, le calumet de paix fait une entrée spectaculaire, dans les rythmes d’un rondeau, d’un menuet et d’une chacone, devant le public parisien venu voir l’opéra de Jean-Philippe Rameau, Les Indes galantes. Absent de la première version de 1735, un 4e tableau est ajouté l’année suivante. Intitulé « Les sauvages », il en est venu à résumer l’œuvre toute entière tant son dernier mouvement, la pièce n°6, « La danse du grand calumet de la paix » est un rondeau fascinant, reconnaissable entre mille.
Au morceau de bravoure musical répondent des enjeux tout aussi formidables aujourd’hui de mise en scène et de représentation devant le public d’une œuvre souvent qualifiée de « coloniale ». À l’ironie distanciée des stéréotypes outrés mise en œuvre par les Arts florissants de William Christie à l’Opéra de Paris en 2003 avec Andrei Serban et Bianci Li répond, par exemple, une autre forme de distanciation choisie par Laura Scozzi, Christophe Rousset et les Talents lyriques au Capitole de Toulouse en 2012. La version qu’ont choisie d’en donner Clément Cogitore et Bintou Dembelé pour l’Opéra Bastille en 2019 est toute autre. Au lieu de la distance, ils ont choisi de rapprocher un opéra exotique et baroque pour le confronter au temps d’aujourd’hui en le donnant à voir dans la musicalité, la gestuelle, la culture et la politique propres du break dance, du voguing, du flexing et du krump. Provocante, l’œuvre n’est pas choquante : elle dit avec des choix extrêmement justes l’histoire du calumet de paix, c’est-à-dire ce qu’il a été et ce qu’il peut encore dans l’actualité tragique, au Canada, des pensionnats autochtones, et en France, dans celle renouvelée ad nauseam des «Apaches » d’hier et des « Sauvageons » d’aujourd’hui.
Découvrir aussi « Pourquoi faire l’histoire du calumet de la paix ? », l’entretien donné par Yann Lignereux au magazine L’Histoire.