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La boîte de conserve sur le champ de bataille

Chaque semaine, Entre-Temps accompagne la diffusion du dernier numéro de « Faire l'histoire », le nouveau magazine d'Arte qui raconte l'histoire à partir des objets. L'historien·ne présent·e à l'écran exhume un article, des images, une vidéo pour prolonger l'épisode, plus loin, ou ailleurs. Historienne des cultures militaires et coloniales, Stéphanie Soubrier nous invite, cette semaine, à prolonger son histoire de la boîte de conserve par la lecture d'un article de Martin Bruegel sur son introduction dans l'armée.

Stéphanie Soubrier propose, dans cet épisode, une histoire de la boîte de conserve. Fruit d’un procédé d’aseptisation dans un récipient en verre inventé par Nicolas Appert pour la marine française en 1810, son évolution en boîte métallique incassable lui permet d’accompagner armées et voyageurs de toute sorte au cours du XIXe siècle, avant de former la réserve des populations conquérantes et coloniales. Aux États-Unis, sa durabilité va de pair avec les grands espaces. En suivant le modèle américain, elle s’installe définitivement dans les garde-manger du monde entier après la Seconde Guerre mondiale.

Historienne des cultures militaires et coloniales, Stéphanie Soubrier nous invite à prolonger cette histoire par la lecture d’un article de Martin Bruegel sur l’introduction de la boîte de conserve dans l’armée. Publié dans la Revue historique et intitulé «  »Un sacrifice de plus à demander au soldat »: l’armée et l’introduction de la boîte de conserve dans l’alimentation française, 1872-1920″, il revient notamment sur les réticences initiales des soldats.

« L’hygiène dans l’armée doit précéder l’hygiène dans les populations », déclare le médecin-major de 2e classe Antony en 1884. Le projet unificateur de la Troisième République rend l’armée aussi susceptible que l’école de diffuser les valeurs qui transformeraient la France aux cultures multiples en une nation. Loin d’être exclusivement politique, l’objectif de cette mission est de réformer tous les aspects de la vie en les calquant sur le modèle bourgeois de comportement social. La nourriture et les pratiques alimentaires deviennent ainsi des enjeux sociaux car, comme l’a observé Claude Lévi-Strauss, « la cuisine d’une société est un langage dans lequel elle traduit inconsciemment sa structure, à moins que, sans le savoir davantage, elle ne se résigne à y dévoiler ses contradictions ». L’exemple de la composition des repas et de leur nombre journalier montre que le modèle bourgeois d’agencer le temps de manger ne s’est imposé comme règle générale qu’après une période conflictuelle prolongée pendant laquelle l’école, l’usine et l’armée fonctionnent comme instruments du changement.

Le surmenage du soldat soumis à un exercice astreignant alerte les hygiénistes. Animés par une motivation philanthropique, les réformateurs préconisent une alimentation variée afin de remédier aux troubles physiques et à l’épuisement des militaires. Selon Germain Sée, une quantité excessive de pain et une carence en viande et légumes caractérisent la diète militaire dont les réformes de 1885 et 1886 altèrent à peine le déséquilibre et l’uniformité. La volonté « d’améliorer les préparations culinaires de nos soldats », de diversifier la composition des repas fournis aux troupes, d’y introduire « une foule de denrées (volailles, oeufs, fromage, poisson, légumes divers, fruits) que le soldat ne voit jamais que sur les marchés », de « distribuer aux hommes un ou plusieurs plats par repas, former chaque plat d’une seule espèce d’aliment ou d’une combinaison simple d’une viande et d’un légume (…) appliquer, en un mot, à l’alimentation du soldat la méthode qu’on appelle vulgairement cuisine bourgeoise », participe de la réflexion sur les liens entre nourriture, santé et performance. Avec vingt-sept pour cent des lits occupés, les troubles d’origine alimentaire affectent de loin le groupe le plus large des patients dans les infirmeries militaires. En conséquence, les réformateurs avancent l’argument que les dépenses encourues lors d’une amélioration des vivres équivaudraient à une économie de soins prodigués dans les hôpitaux. Mais ce programme comporte aussi
une modification profonde des manières populaires de concevoir la subsistance.

Lire la suite de l’article de Martin Bruegel sur Gallica.

Découvrir aussi « Pourquoi faire l’histoire de la boîte de conserve ? », l’entretien donné par Stéphanie Soubrier au magazine L’Histoire.

Publié le 8 février 2022
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