Façonner

L'histoire sous vitrine : la vitrine-miroir du Centre Pompidou

Entre-Temps se prête au jeu d’un nouveau format : le récit d’une mise en vitrine de l’histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l’histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s’agit, dans cette nouvelle série, d’explorer les motifs d’une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d’un de ces espaces devant lesquels on s’arrête. Cette semaine, direction le Centre Pompidou où l'on découvre, vitrée, la première pierre de l'édifice.

Photographies de l'auteur

Photographies de l'auteur

La vitrine est apparemment seule, et cette solitude lui vaut ce dimanche-là d’avoir servie de table de piquenique — une frite a été laissée sur son capot. La vitrine n’est pourtant pas vide, elle est même pleine à craquer d’épais volumes, ceux du concours d’architecture pour la réalisation du centre sur le plateau Beaubourg frappés d’un majuscule RF. Dans cette boite vitrée, que l’on peut voir depuis décembre 2022 sur la mezzanine nord du forum du Centre Pompidou à Paris, il y a la première pierre, le premier document de ce qui devient en 1977 le Centre Georges Pompidou. Vitrine d’archéologie au milieu d’un lieu dédié au contemporain.

La vitrine agit ici comme un miroir : en elle se reflète le lieu, à commencer par le mur contre lequel elle a été adossée. Or, ce mur n’est pas comme les autres, il est composé de centaines de dates qui composent bout à bout des lignes, des strates, des couches de sédimentation. Rien de très spectaculaire sauf quand on n’y prête pas attention. En ce jour de janvier, une ligne est formée de documents qui déplient la vitrine : des plans, des élévations, des lettres. Ouvrir la vitrine pour en déplier le contenu et tout ce que celui-ci a produit. Vitrine matricielle dans le lieu devenu.

La vitrine témoigne aussi d’une activité, d’un événement : une équipe d’étudiant.e.s avec à leur tête l’historien Antoine de Baecque, ont entrepris à l’invitation de son nouveau président Laurent Le Bon d’explorer les archives du Centre Pompidou. Plusieurs centaines de mètres linéaires de documents ont été soigneusement conservés sous la piazza ; chaque semaine, elles et ils pratiquent la plongée en archives. Plutôt que de refouler ses 45 ans, le centre s’attaque à sa mémoire.

Par ce mur-vitrine, il s’agit aussi d’activer ces archives, en faisant venir des témoins, en les confrontant à leurs traces. Car la vitrine est vite un piège : on a le dos à peine tourné et nous voilà dans la boite. Avec ce dispositif imaginé par le Laboratoire d’histoire permanente — c’est le nom donné à ce projet qui va être mené jusqu’à la fin 2024 — nul risque que la vitrine devienne mausolée. Le mur gardera la trace de ces multiples plongées pour dessiner à terme une vitrine verticale où se chevaucheront les dizaines de documents.

Quelques minutes plus tard, dans le Musée d’art moderne, quatre étage au-dessus, je tombe sur l’œuvre Michelangelo Pistoletto, Metrocubo d’infinito appartenant à la série des « Oggetti in meno » (« Objets en moins ») de 1966. Ce sont six miroirs qui forment un mètre cube à l’intérieur duquel les six surfaces se réfléchissent à l’infini en même temps qu’elles contiennent l’infini du reflet dans leur clôture. Je ne peux m’empêcher de penser à la vitrine de l’Observatoire.

Publié le 31 janvier 2023
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