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L'histoire sous vitrine: Visages de l’exploration au XIXe siècle. La vitrine en vitrine

Entre-Temps se prête au jeu d'un nouveau format : le récit d'une mise en vitrine de l'histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l'histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s'agit, dans cette nouvelle série, d'explorer les motifs d'une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d'un de ces espaces devant lesquels on s'arrête. Cette semaine, retour sur la mise en abyme de la dernière salle de l'exposition "Visages de l'exploration au XIXe siècle. Du mythe à l'histoire" qui s'est tenue à la Bibliothèque nationale de France du 10 mai au 21 août dernier.

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Photographie prise par l’auteur au sein de l’exposition « Visages de l’exploration au XIXe siècle. Du mythe à l’histoire » (Bibliothèque nationale de France)

« Que reste-t-il du voyage, une fois celui-ci achevé ? »[1] Après avoir décliné de salle en salle les différentes facettes de l’exploration au XIXe siècle – parcours d’explorateurs, hommes et femmes, Européen.ne.s ou non ; organisation et financement des explorations ; dimension savante de ces dernières ; expérience quotidienne du voyage ; rôle des facilitateurs, guides et interprètes ; interactions avec les populations rencontrées et les autorités politiques ; liens entre l’exploration et la conquête coloniale –, l’exposition montée à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 21 août par Hélène Blais et Olivier Loiseaux en vient aux traces que laisse derrière lui le voyage. Elles sont d’autant plus déterminantes que ce sont ces carnets, ces objets collectés (pillés souvent), ces spécimens naturalisés, ces croquis, cartes, photographies, rapports et récits de voyage qui permettent de retracer l’histoire même du voyage, et peuplent donc chacune des salles de l’exposition. Aussi les dernières salles, consacrées aux modes de narration, de restitution et de mise en scène de l’exploration – des collections anthropologiques aux conférences étayées de projections photographiques – jettent-elles une lumière précieuse sur toutes celles qui précèdent.

Arrêtons-nous, à quelques mètres de la sortie, sur la vitrine qui retrace l’expédition de Joseph Martin en Sibérie. Formé à l’École des Mines de Paris puis à Saint-Pétersbourg, recruté en Sibérie par un riche propriétaire de mines d’or pour prospecter de nouveaux gisements, il explore la toundra au cours des années 1880 et amasse une riche collection de photographies, d’échantillons géologiques, de faune et de flore sibériennes, d’objets et costumes de la vie quotidienne qu’il met en scène, en 1887, au palais du Trocadéro. C’est à une véritable mise en abyme que procède l’exposition de la BnF pour donner à voir l’histoire de cette mise en scène. Au cœur de la pièce, plusieurs des objets exposés en 1887, et conservés depuis au Musée du quai Branly-Jacques Chirac : costume de riche marchand en peau de renne, fourrure de renne et de renard (manteau, bonnet, bottes et moufles) de la seconde moitié du XIXe siècle ; épieu à ours avec fourreau du milieu du XIXe siècle ; couteau avec fourreau du tournant du XXe siècle ; ensemble d’objets sibériens du milieu du XIXe siècle (pendeloques, accessoires de costume chamanique, supports d’esprit et troussequins). Derrière, en toile de fond, une photographie agrandie de l’exposition de 1887, conservée dans les collections de la Bibliothèque nationale de France. L’original de cette photographie est exposé, avec une photographie du costume de marchand tel qu’il était présenté en 1887 – à côté du costume rituel d’un chamane évenk –, à même cette toile de fond. À gauche, un cartel illustré de son portrait photographique présente le parcours de Joseph Martin. Il y a là davantage qu’un simple jeu de reconstitution. Collecte, usages savants et médiatiques, exposition et mise en scène : c’est toute la vie sociale des objets de l’exploration que retrace, de salle en salle, cette exposition où la vitrine en vient à se prendre elle-même pour objet.

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« Exposition au Palais du Trocadéro à Paris, d’objets rapportés de la Sibérie orientale par Joseph Napoléon Martin 1882-1886 », mai-juin 1887 (BnF-SG) Daria Cevoli, « Joseph-Napoléon Martin ou la quête de l’or sibérien », in Hélène Blais et Olivier Loiseaux (dir.), Visages de l’exploration au XIXe siècle. Du mythe à l’histoire, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2022, p. 205.

 

[1]Hélène Blais, « Le temps du retour », , in Hélène Blais et Olivier Loiseaux (dir.), Visages de l’exploration au XIXe siècle. Du mythe à l’histoire, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2022, p. 169.

Publié le 18 octobre 2022
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