Façonner

L'histoire sous vitrine: une vitrine sous-marine

Entre-Temps se prête au jeu d'un nouveau format : le récit d'une mise en vitrine de l'histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l'histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s'agit, dans cette nouvelle série, d'explorer les motifs d'une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d'un de ces espaces devant lesquels on s'arrête. Cette semaine, on prend le métro !

ET Photo vitrine arts et met
Vitrine-hublot de la station Arts et Métiers à Paris. Photographie de l’auteur.

Cette vitrine ronde vitrée présente une maquette d’une roue hydraulique au début du XIXe siècle comme le précise son cartel. Sa singularité ne tient pas à ce contenu — la vitrine ne protège ni un objet rare ou précieux ni une œuvre d’art — mais son originalité tient à sa localisation.  Elle n’est pas dans un musée, mais dans une station de métro.

Cette vitrine n’est pas unique dans la station Arts-Métiers de la ligne 11 ; elle s’inscrit dans la scénographie conçue par l’artiste François Schuiten, sous la direction scientifique de Benoît Peeters et de Bruno Jacomy en 1994. La RATP avait en effet proposé à un respectable voisin, le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), à l’occasion de son bicentenaire en 1794, de décorer la station de métro qui porte son nom.

La choix de François Shuiten fut d’investir le quai de la ligne 11 en présentant des maquettes d’une série d’inventions techniques majeures. Réalisée par la société Bleu Méthylène avec le concours de l’atelier de restauration du Musée des arts et métiers, presque 60 ans après sa mise en service, le 28 avril 1935, la station changea donc.

Faire d’une station un lieu d’histoire vivante n’est pas très originale : la station Parmentier compte des vitrines depuis 1950. En mai 1989, une fresque en céramique réalisée par les artistes Liliane Belembert et Odile Jacquot fut installée à la station Bastille, décrivant les principaux événements de la Révolution française de 1789 pour en célébrer le bicentenaire.

La station Louvre participe aussi de cette histoire. Elle fut métamorphosée en 1968, à l’initiative d’André Malraux, ministre des Affaires culturelles, avec l’installation de répliques de sculptures du Louvre dans un espace conçu par l’architecte Robert Venter. Dans ces vitrines sont présentés quatre moulages qui représentent quatre périodes de l’histoire de l’art : l’antiquité égyptienne, la période gréco-romaine, les civilisations orientales et le Moyen-Âge français.  Cette station comme vitrine du musée fut largement contestée par une contre-culture urbaine, celle des graffeurs. Le 1er mai 1991, un groupe de graffeurs défraient la chronique recouvrant entièrement « la plus belle station du métro parisien » de leurs fresques à la bombe aérosols, puis en janvier 1992, elle fait à nouveau l’objet d’une « attaque graphique ».

A la station Arts-et-Métiers, François Schuiten a déjoué cette extension de l’institution muséal qui peut apparaître, comme au Louvre ou à la station Varenne avec les bronzes de Rodin, comme l’imposition de la culture dominante au sein de l’espace populaire du métro. Schuiten mobilise certes une référence littéraire mais pas n’importe laquelle: Jules Verne, et le sous-marins Nautilus de son roman Vingt Mille Lieues sous les mers (1869). Les murs de la station sont en effet entièrement recouverts de métal cuivré, produisant chez l’usager du métro le sentiment qu’il est soudain sous la mer dans un sous-marin. Autrement dit, l’artiste inverse l’idée que le métro incarne la ville monument ; les vitrines ne sont pas une extension du musée ; ce sont des hublots à partir desquels on voit le monde. Ce dispositif porte ainsi en lui une dimension critique. La cité au-dessus est une ville qu’on cherche à transformer en un vaste espace musée. Or, ce qu’on voit dans ces vitrines, ce sont des éléments de la vie la plus ordinaire. La station de métro telle qu’elle est scénographiée fait de chaque rame qui entre sur le quai le contenu de la vitrine. Des hublots, on imagine des visages surgir et soudain nous regarder vivre.

Publié le 11 avril 2023
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