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L'histoire sous vitrine: la robe du Palais Galliera

Entre-Temps propose un nouvel exercice : le récit d'une mise en vitrine de l'histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l'histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s'agit, dans cette nouvelle série, d'explorer les motifs d'une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d'un de ces espaces devant lesquels on s'arrête. Aujourd'hui, on se pavane dans l'une des vitrines du Palais Galliera.

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La robe au Palais Galliera. Photographie de l’autrice

La vitrine se trouve dans le parcours de l’exposition « Une histoire de la mode. Collectionner, exposer au Palais Galliera » qui vise à la fois à faire découvrir les collections du musée, et leur histoire. Décrite par le site internet du Palais Galliera comme un « chef-d’œuvre », la robe inscrite comme pièce maîtresse de la vitrine ici illustrée prend place dans la partie consacrée au XIXe siècle. L’exposition, combinant une logique chronologique et une perspective thématique afin de mettre en valeur la richesse des collections conservées, multiplie les vitrines foisonnantes, qui mêlent habits anciens, panneaux explicatifs et documents illustratifs. La pénombre s’explique par les impératifs de conservation des précieux textiles exposés, certains remontant au XVIIIe siècle. Ici, la robe s’accompagne à la fois d’un portrait photographique de la comtesse Greffulhe et d’un écriteau sur les liens entre cette dernière et le couturier Jean-Philippe Worth.

Il faut d’abord présenter la robe, source matérielle documentant à la fois les pratiques vestimentaires de la comtesse, l’histoire de la création de mode et les logiques de conservation du musée Galliera, celui-ci ayant reçu de la famille Gramont une cinquantaine de tenues. Présentée comme une tea-gown des années 1890, la toilette ici mise en vitrine était portée pour des réceptions intimes, d’où son nom. La robe est taillée dans un tissu de velours vert, couleur affectionnée par la comtesse. Des motifs d’inspiration ottomane la décorent, en bleu nuit, et soulignent la taille fine de sa propriétaire. Exposé sur un mannequin, qui permet d’observer à la fois ses épaulettes qui rehaussent la silhouette et l’élégante longueur du tissu, l’habit est offert de trois quarts à l’attention du spectateur.

À sa gauche, le regard se porte sur un portrait du photographe Otto Wegener datant de 1900 environ qui montre la comtesse Greffulhe dans une – autre – robe somptueuse. Photographiée de dos, la comtesse regarde le spectateur par-dessus son épaule, tenant une pose altière, peut-être pas strictement naturelle. A droite du mannequin, un court texte replace la tenue exposée au sein des collections du musée Galliera et développe les liens entre la comtesse Greffulhe et le monde de la haute couture. En effet, la robe ici exposée est l’œuvre de Jean-Philippe Worth, le fils du fameux couturier Charles Frederick Worth.

La scénographie foisonnante de la vitrine indique la double ambition de l’exposition, mais aussi la multiplicité des objets et documents permettant d’envisager une histoire de la mode. Dans sa dimension matérielle, celle-ci s’appuie très largement sur des vêtements, plus ou moins exceptionnels ou quotidiens. De façon plus large, et le choix des informations et objets ici présentés le démontrent, l’histoire de la mode est aussi une démarche visant à éclairer les usages vestimentaires. Notre vitrine ne permet pas de représenter les pratiques de groupes sociaux larges : non seulement la comtesse Greffulhe provient-elle d’une élite restreinte, mais elle occupe en plus, au sein de ce groupe social, une place particulière. Muse des photographes, des peintres et des écrivains, elle met en scène chacune de ses apparitions, abondamment commentées par la presse, et modèle son apparence afin de soigner la fascination qu’elle sait exercer sur ses contemporains, de façon directe ou indirecte.

La robe est donc un témoignage de l’influence de celle qui l’a portée. Elle permet aussi d’entrevoir l’importance croissante acquise, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, par les grandes maisons de couture. Les couturiers de renom, comme Charles Frederick Worth ou son fils, s’appuient sans aucun doute sur leur clientèle de prestige et sur l’enchantement provoqué par les apparitions qu’elles font ainsi apprêtées. Enfin, la vitrine témoigne des modalités d’acquisition d’un grand et ancien musée d’histoire de la mode. Fort de collections superbes et prestigieuses, mais peu représentatives des vêtements possédés par la majorité, le Palais Galliera ne peut que faire le choix de les exposer, tout en mettant en évidence leur singularité. Sans verser dans l’exhibition ethnologique, il demeure à trouver le moyen de mettre en lumière les usages des populations plus anodines, dont les vêtements sont bien moins fréquemment conservés. La question, dans l’exposition visitée, reste en suspens.

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Publié le 1 mars 2022
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