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Des étudiant·e·s face aux vitrines – ép. 2 : la Dame de Renancourt et la Grande Verrière

L'année dernière, les maître·sse·s de conférences de l'université de Lille Marie Derrien et Tristan Martine ont proposé à leurs étudiant·e·s lillois·e·s un exercice inspiré de la série "L'histoire sous vitrine" d'Entre-Temps. De quoi réjouir notre comité de rédaction ! Dans ce 2e épisode, deux vitrines d'étudiant·e·s : la petite Dame de Renancourt entourée de grands mystères et la ménagerie paralysée par la taxidermie de la Grande Verrière à Lille.

La Dame de Renancourt

La Dame de Renancourt, au loin. Photographie des autrices.

Bifaces du paléolithique, objets funéraires du néolithique, bijoux de l’âge de bronze et armes de l’âge de fer : l’exposition permanente du musée de Picardie offre au visiteur les plus beaux objets archéologiques de ses collections dans l’optique d’une valorisation du patrimoine régional. Cette exposition reflète le caractère local des trésors archéologiques du musée, en mettant en exergue la longue histoire de la ville d’Amiens et de sa région. Au sous-sol du musée, la collection d’archéologie est présentée dans un parcours circulaire. Immanquablement, que ce soit au début ou à la fin de la visite, le visiteur aperçoit au loin le couloir menant à la Dame de Renancourt.  Au bout de ce couloir se situe une pièce sombre dans laquelle se trouve, éclairée, cette unique vitrine. La statuette illuminée interpelle, sa position centrale et les jeux d’éclairage la rendent spectaculaire.

La Dame de Renancourt est la seule statuette découverte intacte d’une série de 15 statuettes du Paléolithique supérieur mises au jour entre 2014 et 2019 à Amiens.  Cette trouvaille archéologique vieille de près de 23 000 ans fait la fierté du musée. La Vénus est l’un des objets les plus anciens de l’exposition et son caractère intact en fait l’un des plus particuliers : elle est présentée par le musée comme le plus précieux de tous les objets de l’exposition archéologique.

La Dame de Renancourt. Photographie des autrices.

La scénographie met l’accent sur la rareté et la préciosité de la statuette. Dans la pièce sombre, la statuette est le seul point éclairé, au sein de la seule vitrine, afin d’intriguer le visiteur ou la visiteuse. Posée sur un piédestal, la vitrine est très grande, presque démesurée par rapport à la taille de la statuette, laquelle ne mesure que 4 cm. Cela permet non seulement de voir la Dame de Renancourt à hauteur d’yeux, mais aussi de la distinguer correctement. On peut tourner autour de la vitrine et observer sous tous les angles la petite Vénus, maintenue par une tige qui enserre sa tête et ses cuisses sans les cacher. L’accent est mis sur la valeur esthétique de l’objet. Les visiteurs peuvent focaliser leur attention sur la finesse de la Vénus. Ils peuvent ressentir émotion et admiration pour une statuette qui témoigne de la technicité des populations de la région 23 000 ans plus tôt. Cette admiration peut se mêler d’étonnement face au bon état de conservation. Des explications sont affichées sur un des murs de la pièce pour mettre en regard la statuette avec d’autres Vénus préhistoriques connues, notamment la Dame à la capuche et la Vénus de Willendorf. La contextualisation historique est assez succincte. Bien des mystères demeurent concernant ces statuettes.

Adeline Betton, Solène Demaret, Léonore Ghetemme, Aline Konieczny & Clara Le Menach

La Grande Verrière du musée d’Histoire naturelle de Lille

La Grande Verrière. Photographie des auteurices.

En 2002, la Grande Verrière du musée d’Histoire naturelle de Lille a été victime d’un dégât des eaux endommageant considérablement son décor. Cachée pendant longtemps au grand public, la vitrine a finalement été rénovée en 2015. Alors que les rapports entre l’homme et l’animal font l’objet de débats, nous avons été intrigués par cette imposante vitrine qui suscitait chez nous des sentiments ambivalents.

Dès notre entrée dans l’espace dédié aux mammifères, il est impossible de la manquer. Elle occupe tout le mur du fond de la pièce, comme pour nous accueillir. Trente spécimens de mammifères empaillés y sont disposés sur des rochers artificiels, plus ou moins en hauteur, le tout dans un décor peint imitant un espace naturel. Sommes-nous en pleine savane ? En montagne ? Les animaux ainsi mis en scène paraissent vivants et animés. Le guépard course sa proie, le roi des animaux nous regarde, bouche ouverte et prêt à rugir, l’ours kodiak se gratte la tête et l’orang-outang s’agrippe à un arbre isolé. Chacun occupe une place bien à lui. Les mammifères d’altitude se trouvent sur les rochers les plus hauts, et ceux de la terre ferme sont placés près du sol. Cette pièce de théâtre statuée est éclairée par l’avant de la scène. Nous nous sentons immergés dans l’univers qui se présente à nous, qu’on a envie d’approcher et de contempler dans le détail. Mais nous sommes malgré tout tenus à distance par le dispositif de la vitrine. La paroi, bien que transparente, sépare nettement le monde des hommes de celui des animaux. À quel camp la férocité appartient-elle ? Certes, nous semblons observer une nature qui reprend ses droits : la vitrine nous rappelle notamment l’existence d’espèces souveraines surplombant la Terre. Toutefois, cette ménagerie paralysée par la taxidermie témoigne de la violence humaine.

La taxidermie désigne le procédé de conservation d’animaux morts. L’empaillage ne correspond qu’à l’étape du rembourrage à la paille. Plusieurs méthodes ont été mises au point pour lutter contre les dégradations des spécimens ramenés de voyages par des explorateurs, des scientifiques et des amateurs de curiosités. Au début du XVIIIe siècle, le naturaliste Réaumur initia la plus efficace : « en remplissant la peau […] de quelques matières molles, soit de paille, soit de foin, soit de bourre,  soit de filasse ou même en l’étendant sur un moule solide qui a la figure du corps de l’oiseau, on fait reprendre tant que possible, à cette peau la forme qu’elle avait lorsqu’elle recouvre des chairs et des os »[1]. Aujourd’hui, le dictionnaire présente la taxidermie comme « l’art de donner l’apparence du vivant à des animaux ». Lucienne Strivay, anthropologue de la nature à l’université de Liège, estime que les taxidermistes, profession « en voie de disparition », jouent un rôle essentiel : « ils luttent pour sauver de l’effacement ce qui peut l’être »[2]. Pourtant, pour être ainsi préservés, ces animaux ont d’abord dû être tués… tragique paradoxe !

Selma Ben Yacoub & Swann Richart


[1] René-Antoine Ferchault de Réaumur, Différents moyens d’empêcher de se corrompre les oiseaux morts qu’on veut envoyer dans des pays éloignez, et de les y faire arriver bien conditionnez, s. l., 1748, p. 2.

[2] Lucienne Strivay, « Les messagers. Configurations et reconfigurations en taxidermie », Cahiers d’anthropologie sociale, 19/2, 2019, p. 159-173.

Publié le 13 février 2024
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