Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

Façonner

L'histoire sous vitrine. Évadé !

Entre-Temps se prête au jeu du récit d’une mise en vitrine de l’histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l’histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s’agit d’explorer les motifs et les reflets d’une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d’un de ces espaces devant lesquels on s'arrête. Aujourd'hui, on explore les registres de l'évasion avec Philippe Artières.

Registre des admissions de la Maison de Charenton, Archives départementales du Val-de-Marne, 4X 522. © Philippe Artières

L’exposition que les Archives départementales du Val-de-Marne (AD 94), à Créteil, organise sur l’histoire de la Maison de Charenton, maison de force sous l’Ancien Régime (1641) puis participant de l’immense archipel asilaire du département de la Seine à partir des premières décennies du XIXe siècle, s’ouvre sur une première vitrine des plus surprenantes.

Que sa taille soit trop petite pour le document qu’elle contient, là n’est pas l’étonnement (le format des vitrines est rarement sur mesure). Que ce grand registre conservé sous la cote 4X 522 soit comme enfermé dans cette cage de verre, non plus (d’autant qu’une grande tablette numérique permet de se plonger dans les notes qui couvrent ses pages). Que la page choisie de ce registre des admissions (du 1er novembre 1865 au 9 avril 1870) à Charenton soit celle d’un inconnu, un dénommé Auguste Pierre Jacques Fulteau Puy Carlier né le 5 août 1811, marié, domicilié à Paris, sous-lieutenant, entré à Charenton le 24 janvier 1870, nulle surprise (ils sont des milliers en ce second XIXe siècle à être internés soit volontairement soit à la demande d’un tiers ou de la justice). On lit qu’il est « atteint de folie raisonnante, qu’il s’exprime avec un ton très animé, passant rapidement d’un sujet à un autre, que les propos sont exubérants, confus et mal coordonnés, que ses raisonnements sont presque entachés de fausseté, que l’état de sa personne et de ses vêtements dénote des habitudes de malpropreté repoussante, qu’il est exalté et incapable d’apprécier la portée et les conséquences de ses actions. » On lit beaucoup d’autres choses qui sont conformes aux modes de descriptions des comportements jugés alors comme « anormaux ». 

Non, ce qui est singulier dans cette vitre est inscrit au coin haut droit du registre dans la colonne « Dates de sortie et décès ». Auguste est noté « évadé le 5 avril 1870 ».

Nous qui pensions la vitrine redoubler l’acte d’enfermement du registre… Ces archives du disciplinaire, disait Foucault, là voilà le lieu de l’évasion. 

Et soudain, un nouveau rêve d’histoire surgit : faire l’histoire des évadés des asiles à la manière dont on a pu écrire celle des évadés du bagne de Brest ou de Cayenne ou de ceux qui ont fait le mur des colonies pénitentiaires et des prisons. Que devenaient-iels, celles et ceux qui fuyaient Charenton ? Où allaient-iels ? Quelles vies iels menaient ? Iels sont les oublié·e·s de la grande histoire de la folie. Iels sont sorti·e·s du registre, sorti·e·s aussi de ce cube de verre, de la vitrine, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’histoire.

L’affiche de l’exposition. © Archives départementales du Val-de-Marne

Exposition « Aux sources de la psychiatrie, la Maison de Charenton (1641-1920) »

Archives départementales du Val de Marne à Créteil du 18 octobre 2024 au 27 juin 2025

Publié le 26 novembre 2024
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