Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 entre-temps.net

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L'histoire sous vitrine : L’artisan, son chef-d’œuvre et le champion

Entre-Temps se prête au jeu du récit d’une mise en vitrine de l’histoire. Dans un musée, dans un métro, dans un resto ou tout simplement dans son salon, l’histoire se donne aussi à voir sous vitrine. Il s’agit d’explorer les motifs d’une écriture exposée de l’histoire, à partir de la photo prise d’un de ces espaces devant lesquels on s’arrête. Aujourd'hui, on embarque en canoë dans le Limousin avec Philippe Artières !

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La vitrine du canoë Trouvat (© P. Artières)

À Châteauponsac, au centre du gros bourg, dans l’ancien prieuré bénédictin du XIVe siècle, il existe un riche musée local. En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, au cœur de cette région résistante, une association est fondée par un certain René Baubérot : la Société Notre Terroir. Elle collectionne le patrimoine local archéologique mais aussi agricole et industriel. Le 8 décembre 1948, à la demande de Louis Timbal, géographe local et vice-président de la SNT, cette petite association devient un musée municipal contrôlé par la Direction des musées de France.
Au dernier étage, les visiteurs des beaux jours peuvent y faire une étonnante découverte s’ils montent sous les combles. Après avoir remonté le temps des restes préhistoriques et des objets gallo-romains, après avoir longuement pris connaissance de la vie quotidienne des femmes et des hommes du Limousin au XIXe siècle, découvert la belle salle exposant une collection de documents administratifs individuels mais aussi des écrits personnels du début du XXe siècle, après s’être étonné que les maquis de la Résistance locale ne fassent l’objet d’aucune vitrine, on trouve, derrière une grande vitre, un espace dédié à un objet unique qui relie deux hommes.

Le premier fut d’abord longtemps le charron de ce gros village du Limousin, non loin de La Souterraine ; puis Paul Trouvat, qui porte si bien son nom, décida de se reconvertir dans le travail du bois. Il travailla avec les essences locales avant de faire venir dans ce village du centre de la France de l’exotique acajou. Trouvat, sans doute influencé par les plans que son frère ingénieur aéronautique rapportait l’été, avait le goût des formes et il mit son énergie à construire non pas des ailes qui fendent le ciel mais des embarcations capables de descendre les rivières agitées de la région. Dans son atelier, au début des années 1950, l’ex-charron a une obsession : fabriquer le canoë le plus léger au monde. En 1951 et 1952, il y parvient.
Derrière la grande vitre, devant un fond bleu aquatique, est reconstituée toute la chaîne de fabrication : depuis les planches brutes de bois locaux, les lames d’acajou, les récipients – fruits de la technique ancestrale de façonner en arrondi le bois –, jusqu’au prototype du fameux canoë-kayak. La trouvaille géniale de l’artisan consiste en un croisement de fines lamelles de contreplaqué d’acajou dans un tissage à la fois souple et rigide pour réaliser un bateau de presque cinq mètres de long. Ce sont les maquettes du canoë que l’on voit au centre de la grande vitrine ; elles sont des trophées. Elles furent présentées au concours d’invention Lépine, où elles obtinrent en 1951 une médaille de bronze et en 1952 une médaille de vermeil. Toutefois, le succès du canoë Trouvat ne tient pas à ces décorations, mais à la rencontre que cette montée à Paris provoque.

Paul Trouvat y fait la connaissance du champion de canoë Pierre d’Alençon qui domine déjà la discipline : en 1949, à Genève, il a été médaillé aux championnats du monde en canoë monoplace ainsi que par équipe. Deux ans plus tard, à Steyr, il a été aussi médaillé d’or en canoë biplace. La vitrine ne fait pas état de ces exploits antérieurs de Pierre d’Alençon, mais seulement de ses titres en 1953 avec le canoë Trouvat : de champion de France puis de champion du monde en Italie, où il pulvérisa « le record du slalom en une minute trente », rapportait l’artisan. Gloire à l’artisan du pays plutôt qu’au champion mondialement félicité ! Gloire aussi à la modestie de Paul Trouvat qui, selon les informations dont on dispose, ne construisit ensuite qu’une trentaine de bateaux, refusa la production industrielle, sentant qu’il allait être très vite concurrencé par le plastique. L’artisan-inventeur poursuivit sa carrière en développant dans son atelier d’autres spécimens avec des armatures en acajou.

Paul Trouvat et Pierre d’Alençon sont tombés dans l’oubli. Cette vitrine où figurent leurs portraits respectifs mythologise cette rencontre improbable dont on imagine bien qu’elle a été aussi possible grâce à d’autres acteurs, à commencer par le frère de Trouvat. Mais l’ingénieur avait quitté le pays et n’avait donc pas sa place au musée.

Musée René Baubérot à Châteauponsac : https://museechateauponsac.fr/fr/
Musée de la Résistance de Limoges : https://resistance.limoges.fr/

Publié le 3 octobre 2023
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