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Narration historique et narration vidéoludique

Ces dernières années, les différents opus de la série de jeux vidéo Assassin’s Creed – dont les intrigues se déroulent dans le Paris révolutionnaire, l’Egypte de Cléopâtre ou la Grèce de la guerre du Péloponnèse – n'ont cessé d’intriguer une communauté historienne qui cherche encore des outils d’analyse adaptés aux spécificités de cette forme jouable de narration « historique ». La sortie récente du jeu vidéo « We. The Revolution », qui propose aux joueurs d’incarner un membre du Tribunal révolutionnaire à Paris, peut être l’occasion de s’interroger sur l’expérience d’immersion dans une reconstitution vidéoludique du passé. C'est ce que propose Marc Matri, Professeur en langue, littérature et civilisation espagnoles à l’Université Nice Sophia Antipolis, dans un article publié dans le dernier numéro de la revue Sciences du jeu consacré à la « ludicisation » de la guerre d’Espagne.

wethe-revolution-jaquett-5c77eb2919e3eWe. The Revolution, image promotionnelle du jeu (Polyslash / Klabater, 2019).

Le 21 mars 2019 est sorti le jeu vidéo We. The Revolution développé par le studio polonais Polyslash qui propose, d’après son site officiel, d’incarner le président – « alcoolique » et « parieur » compulsif – du Tribunal révolutionnaire et de décider du sort des « criminels et contre-révolutionnaires, mais aussi des Parisiens innocents » qui comparaissent devant lui. Le principe du jeu est de mettre le joueur face à des dilemmes à prétention morale : il peut choisir de défendre la « justice » ou de tirer « profit » de ses sentences, sachant que ses choix ont une incidence sur le devenir des « factions » du Paris révolutionnaire, sur la destinée de sa famille et sur ses propres chances d’échapper à la guillotine. Placé au cœur d’une narration à la fois procédurale (car les cas à juger sont générés de façon aléatoire) et émergente (car ses choix font émerger des configurations inédites), le joueur peut être tiraillé entre l’envie de s’immerger dans son rôle « historique » de juge quitte à (se) perdre à cause de choix trop consciencieux et l’envie de gagner, donc d’opter pour des décisions stratégiques conditionnées non par son immersion dans le contexte historique présenté, mais par sa compréhension des mécaniques du jeu. Dans son article consacré à ce qu’il appelle une « généalogie narrative problématique », Marc Matri s’interroge sur les conditions d’existence d’une narration vidéoludique qui pourrait se saisir de « l’Histoire » sans en faire « un habillement de plus d’une jouabilité (gameplay) éprouvée ».

Lire l’article de Marc Matri intitulé « L’Histoire dans le jeu vidéo, une généalogie narrative problématique ? Le cas de la guerre d’Espagne (1936-1939) et de sa ludicisation » sur le site OpenEdition.

Publié le 6 avril 2019
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