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Le chantier digital de Notre-Dame de Paris : un jeu de construction

Le chantier de la cathédrale de Notre-Dame de Paris donne actuellement lieu à des recherches inédites en archéologie du bâti et notamment à l’élaboration d’un double numérique de la cathédrale, permettant aux chercheurs et aux acteurs de la restauration de s’immerger totalement dans l’édifice. Martine Robert, docteure en philosophie et spécialiste des liens entre jeux vidéo et histoire, s’interroge sur la potentialité d’un tel objet pour le grand public.

Un double numérique de la cathédrale pour le grand public : le cahier des charges

Le lancement des travaux de réfection de Notre-Dame de Paris a donné lieu à la constitution progressive d’un double numérique de la cathédrale. Ce double rend compte en une base de données unifiée sous la forme d’une représentation en trois dimensions de l’ensemble des connaissances disponibles sur l’édifice. Cet outil exceptionnel a été conçu dans le cadre du groupe de travail « données numériques » coordonné par Livio de Luca, par et pour des professionnels, chercheurs en archéologie du bâti d’une part, maître d’ouvrage, maîtres d’œuvres, et conservateurs d’autre part. Leurs besoins ainsi que leurs pratiques ont donné forme à un « système d’informations monumental » qui s’appuie sur les ressources du BIM, Building Information Modeling. Les images extraites du modèle en trois dimensions de la cathédrale qui ont été publiées dans la presse impressionnent, tant par leur beauté que par les connaissances auxquelles elles donnent accès, et suscitent un grand intérêt. Comme le monument est mondialement connu et que les travaux de réfection et la pandémie réduisent considérablement l’accès à la cathédrale, il serait tout à fait opportun de concevoir et de réaliser une version grand public du double numérique. Ce chantier distinct n’a cependant pas été mis en œuvre, en partie, probablement, parce qu’il est difficile de déterminer quelle forme donner à une version de cet ordre.

On peut facilement imaginer de proposer un modèle en trois dimensions d’une résolution moindre que celui sur lequel les professionnels travaillent, mais cela ne saurait suffire. La version professionnelle n’est pas  un modèle qui permet uniquement de percevoir les espaces que définit la cathédrale : il s’agit d’un exceptionnel outil d’analyse qui, en offrant également des perspectives synthétiques, permet de comprendre comment la cathédrale est bâtie, selon toutes sortes d’approches différentes (concernant aussi bien la nature et la provenance des matériaux utilisés, que l’époque de construction ou de reprise de telle ou telle partie, le jeu des forces à l’œuvre dans telle structure architecturale, etc). On peut concevoir d’intégrer dans le modèle grand public un ensemble de « boutons » sur lesquels cliquer pour accéder à une série d’informations relatives à tel aspect ou partie de la cathédrale. Mais comment choisir ces informations, comment les hiérarchiser ? Une telle approche semble par ailleurs très réductrice et peu attrayante au regard de l’extraordinaire richesse des possibilités d’acquisition et d’élaboration de la connaissance de la version professionnelle. Cette dernière se constitue pas à pas, depuis le début, avec la rigueur d’un outil de travail qui est à la fois au service de l’archéologie du bâti et de l’entreprise de restauration. Cette rigueur est le fruit d’une intense réflexion et du dialogue continu que les différents intervenants, chercheurs, architectes et ingénieurs entretiennent à la fois entre eux et avec les membres du groupe de travail « données numériques ».

La différence essentielle entre le double numérique de la cathédrale destiné aux professionnels et un modèle simplifié destiné au grand public tient à ce que, dans ce dernier cas, la représentation et l’ensemble de ce à quoi la simulation donne accès seraient déjà constitués. Dans le double numérique actuel au contraire, on a affaire à un outil qui permet de traiter et d’organiser des données en fonction des questions que l’on se pose au moyen, par exemple, de croisements de couches d’informations, de fonctions d’analyse spatiale ou d’outils de sélection des éléments que l’on veut voir figurer dans l’édition, de l’information relative au bâti, etc[1].

Est-il possible de retrouver ces possibilités dans une version qui offrirait à un large public un outil qui lui permettrait d’explorer la cathédrale sur différents plans, historiques ou techniques, en lui proposant de n’afficher que certains éléments, de faire des mesures, ou encore d’avoir une approche conceptuelle à partir d’un ensemble de termes extraits de la nomenclature des éléments d’architecture normalisée à l’occasion du chantier ? Un outil de ce type serait évidemment plus difficile à prendre en main qu’un simple modèle en trois dimensions qui donne accès à un ensemble déjà défini d’informations à partir de boutons sur lesquels cliquer. Il ne saurait par ailleurs trouver une forme déterminée si l’on ignore quel usage le public, féru ou non d’art gothique, peut en avoir. Ce public devrait de plus être orienté dans cet usage. On peut raisonnablement partir de l’idée que le double numérique de la cathédrale destiné à un large public doit permettre non seulement d’évoluer dans les espaces de la cathédrale et d’en explorer les recoins, mais aussi d’acquérir une véritable intelligence de la manière dont elle a été construite. Quel meilleur moyen d’inviter à faire jouer les données que de proposer un jeu ? Tout jeu se définit par ce que le joueur y accomplit : il s’agirait, donc, d’un jeu de construction.

Exploration et conception

Imaginons donc le dispositif suivant : le joueur a en premier lieu accès aux modèles de la cathédrale avant et après l’incendie, ce qui l’invite à chercher les différences entre ces deux états. L’exploration, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice, de ces modèles numériques de la cathédrale lui permet d’accéder à des données concernant la période de réalisation de telle ou telle partie : à chaque grande phase de construction est associée une couleur qui recouvre d’un calque transparent un élément ou un pan de l’édifice lorsque le joueur interroge le système d’information. Si le joueur le souhaite, toutes les parties de la cathédrale qui ont été construites durant cette période peuvent apparaître de la couleur correspondante. Il est ensuite possible d’accéder à une série de vues de la cathédrale en son état le plus achevé, pour autant qu’il nous est possible de le connaître, lors de ces grandes phases d’édification. Ne figure que ce dont les chercheurs ont connaissance et cet aspect de la restitution proposée est explicite. Ces représentations en deux dimensions ont le rendu d’un dessin à la plume, à la manière des magnifiques illustrations de Macauley qui, dans Naissance d’une cathédrale, permettent de comprendre facilement de nombreux aspects techniques de l’architecture gothique[2].

Macauley, « Cathedral: the story of its construction », Boston, Houghton Mifflin, 1973

Le dessin, en ce qu’il délimite, permet souvent de mieux montrer ce que l’on entend donner à voir que le modèle 3D, et il a le mérite de mettre en évidence à la fois la distance temporelle et le travail de l’historien qui autorise la reconstitution. L’ensemble constitué de toutes les vues proposées de la cathédrale à une période donnée est susceptible à son tour d’être exploré de manière plus ou moins systématique. Le joueur qui s’intéresse à une zone particulière peut faire apparaître les délimitations d’un grand nombre d’éléments d’architecture. Ils sont nommés selon la nomenclature normalisée utilisée dans l’écosystème numérique de la cathédrale. L’ouvrage de Pérouse de Montclos, Architecture, Description et vocabulaire méthodiques, qui a servi de base pour l’élaboration de cette nomenclature, rend compte de manière illustrée des termes d’architecture et est exemplaire par sa clarté[3]. Il constitue un modèle pour constituer une base de données dans laquelle les différents éléments et dispositifs structurels sont répertoriés et datés, à ceci près que cette base de données contiendrait des modèles en trois dimensions permettant de regarder ces éléments sous tous les angles.

Que ce soit en évoluant dans la cathédrale ou à ses abords dans les modèles qui rendent compte de la cathédrale avant et après l’incendie ou en se plongeant dans des vues de ses états à différentes phases de sa construction, le joueur qui a accès au découpage des éléments constitutifs de la cathédrale est invité à la décomposer. Il se familiarise ainsi avec les principes mécaniques qui président à sa construction car la base de données ne donne pas seulement accès à un modèle 3D des éléments nommés et définis, elle rend aussi compte de leur position dans l’édifice. Leur fonction mécanique, qui est liée aux rapports qu’ils entretiennent avec une multitude d’autres parties de la cathédrale, est mise en évidence. L’exploration des deux modèles 3D de la cathédrale et des vues rendant compte de sa physionomie à des époques plus ou moins lointaines permet une collecte d’éléments qui, semblables à des pièces de lego, deviennent disponibles pour le joueur.

Ces éléments ou procédés sont par ailleurs inscrits dans une chronologie rigoureuse : lors de la phase de construction, dans laquelle le joueur découvre tel élément, celui-ci peut relever d’une technique ancienne ou au contraire toute récente. Il peut s’agir d’un savoir-faire qui a fait ses preuves depuis des décennies, voire des siècles, ou d’une façon de faire sur laquelle les bâtisseurs n’avaient pas de recul. Pour être en mesure de concevoir un édifice, le joueur cherche ainsi à disposer de suffisamment de pièces mais aussi à connaître les principes qui président à la forme générale des cathédrales gothiques, et surtout à acquérir une intelligence suffisante de l’architecture qui assure leur stabilité d’un point de vue mécanique. Dans cette phase du jeu, le joueur peut exploiter des ressources du programme qui sont proches de celles que les professionnels utilisent dans le double numérique qui a été constitué à la fois par et pour eux. Le joueur a la possibilité de ne faire apparaître que certains éléments, de prendre toutes sortes de mesures très précises et de croiser différentes couches d’informations. Lorsqu’il se sent prêt, il peut quitter le mode découverte pour entrer dans le mode conception. Il choisit la période à laquelle débute le chantier de sa cathédrale, ce qui limite ou au contraire accroît le nombre de dispositifs structuraux auxquels il a accès ; mais plus il avance dans le temps, plus les édifices auxquels il sera amené à comparer le sien seront élevés et complexes. Le modèle en 3D de tel ou tel élément dont il dispose peut être modifié en étant allongé, raccourci, horizontalement ou verticalement, épaissi ou aminci, avant d’être placé dans la cathédrale qu’imagine le joueur. Lorsque la conception de la cathédrale dans son ensemble est achevée, la construction peut commencer.

Réalisation et mise à l’épreuve

La construction est progressive et le joueur peut visiter le chantier de sa cathédrale grâce à un modèle en trois dimensions lors de chacune de ses phases décisives. Comme la construction de ces édifices durait au moins plusieurs décennies et parfois plusieurs siècles, il est possible de modifier le plan initial au fur et à mesure de l’avancée du chantier. Ce dernier a une temporalité propre qui se déploie selon deux axes distincts en fonction de la date initiale que le joueur a choisie : d’un côté le temps, fictif mais vraisemblable, selon les données historiques dont nous disposons, de la progression des travaux, et de l’autre côté la chronologie de l’édification concomitante des cathédrales et des églises épiscopales, encore une fois pour autant qu’il nous est possible de le savoir. Les commanditaires désiraient le plus souvent que leur édifice se distingue des autres par ses dimensions ou les techniques utilisées, ces deux aspects étant souvent liés[4]. Plus encore, les relations de rivalité que les commanditaires successifs d’une cathédrale entretenaient avec les commanditaires d’autres édifices les ont parfois conduits à faire détruire et reconstruire des parties qui venaient à peine d’être achevées parce qu’ils jugeaient leur style dépassé, à surélever la hauteur du chœur ou de la flèche, etc. Le joueur a connaissance de la progression de chantiers qui sont contemporains du sien et il peut, s’il le souhaite, adopter lui aussi au cours de la construction un nouvel ornement ou agrandir les ouvertures dans lesquelles s’inscrivent les vitraux.

Dans ce jeu de construction, les réalisations du joueur sont mises à l’épreuve des lois de la physique à chacune des étapes critiques d’un point de vue mécanique. C’est le cas par exemple lorsque les cintres (les structures de bois courbé sur lesquelles reposent les pierres des voûtes avant que la clé ne soit posée, ou celles des arcs boutants avant qu’ils ne soient terminés) sont retirés dans une partie de l’édifice.

Les cintres, extrait de Macauley, « Cathedral: the story of its construction », Boston, Houghton Mifflin, 1973

Le joueur définit d’ailleurs les phases de construction et il doit réfléchir à l’ordre dans lequel est mené le chantier pour assurer la stabilité des parties de l’édifice avant son achèvement, en tenant compte de la résistance au vent au regard des surfaces exposées, etc. Le processus de construction, avec les difficultés successives auxquelles les bâtisseurs ont pu se heurter est rendu sensible.

Un programme de simulation mécanique permet au joueur de savoir si sa construction risque ou non de s’effondrer, comme la cathédrale d’Amiens dont le chœur a dû a posteriori être cerclé en métal parce que les piliers des voûtes s’écartaient, menaçant ainsi tout l’édifice[5]. Le joueur doit s’assurer tout au long de l’avancée des travaux, comme le faisaient les bâtisseurs du Moyen Âge, que ce qui a été construit à l’aplomb ne dévie pas sous l’effet des forces qui s’exercent sur telle ou telle partie, qu’il n’y a pas de fissures qui apparaissent ou, tout au moins, qu’elles ne mettent pas en péril la structure de l’édifice. Cette dimension du jeu de construction que nous proposons suppose de recourir à un programme de simulation mécanique assez puissant qui s’apparente à ceux que mettent en œuvre les chercheurs du groupe de travail « structure ».

Ce groupe de travail, coordonné par Stéphane Morel, est le dernier à avoir été constitué et compte une quarantaine de membres. Il vise, conformément à son appellation initiale, « Génie civil et calcul de structure », à évaluer la stabilité des différents éléments structuraux de la cathédrale après l’incendie. Il est essentiel avant de commencer les travaux de restauration de savoir, par exemple, dans quelle mesure les pierres des voûtes qui sont toujours en place ont conservé leurs propriétés mécaniques après avoir été chauffées à très haute température, trempées par l’eau projetée pour éteindre l’incendie, alors que les poutres calcinées de la charpente se sont effondrées sur les extrados et que la disparition de la charpente vient probablement modifier l’équilibre général de l’édifice. Comment, par ailleurs, évaluer les effets sur l’ensemble de la structure de faiblesses localisées ?

Répondre à ces questions suppose d’avoir recours à une multiplicité de modèles de différentes natures qui appartiennent cependant à deux grandes familles[6]. D’un côté, on n’envisage que des volumes de maçonnerie dans leur ensemble sans tenir compte des blocs de pierre ; c’est l’approche continue dans laquelle on prend en considération un matériau qui est homogénéisé. Selon l’approche discontinue au contraire, on considère la maçonnerie comme un empilement de blocs qui sont reliés par des interfaces de joints de mortier ; on a une modélisation bloc à bloc avec un calcul par éléments distincts qui sont eux-mêmes considérés comme homogènes. Notons que les deux approches sont mixées à ce niveau. Il est possible de modéliser les effets d’une poussée qui affecte le comportement des joints de mortier (selon des loi d’interface décrivant l’élasticité, le frottement et la cohésion) voire déforme des blocs. L’approche discontinue a des inconvénients : elle nécessite un maillage bloc à bloc, ce qui est une procédure relativement lourde, et des temps de calcul importants. Elle n’est pas adaptée, par ailleurs, pour modéliser le comportement de la maçonnerie de blocage. Cette dernière est faite de pierres petites et moyennes, sans forme définie qui sont noyées dans du mortier entre des parois ou des empilements de pierres apparentes et est très souvent utilisée pour réaliser les murs et les piliers des cathédrales

Illustration extraite de l’article construction du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle » de Viollet-le-Duc, 10 vol., Paris, B. Bance, A. Morel, 1854-1868.

Avec l’approche continue, les calculs sont exécutés rapidement. Elle rend compte de l’apparition de fissures et offre la possibilité de développer un couplage thermodynamique en tenant compte de la dilatation thermique et de l’altération de la raideur[7] et de la résistance des matériaux d’un volume. En revanche la procédure d’homogénéisation interdit de prendre en compte les phénomènes de glissement entre des blocs et ne peut traiter les comportements des blocs lors de grands déplacements. Les ingénieurs cherchent ainsi à marier les deux approches, continue et discontinue, de manière optimale afin de constituer un outil d’aide à la décision permettant de déterminer où il est nécessaire d’intervenir rapidement, d’une part, et quels sont, d’autre part, les moyens de remédier aux faiblesses qui doivent être traitées de manière moins urgente lors de travaux prévus à plus long terme. Pour ce faire, des procédures relevant de l’approche discontinue sont intégrées dans un programme qui procède de l’approche continue. Certaines parties de l’édifice requièrent d’être traitées bloc par bloc, en modélisation discontinue (en vert), alors que d’autre parties ne nécessitent pas une description fine (en bleu)

Photographie prise lors de la présentation de Thomas Parent, lors du colloque des 19 et 20 octobre 2020.

Des programmes de modélisation continue et discontinue réalisés dans différents laboratoires de recherches étaient déjà disponibles. Les ingénieurs du groupe de travail « Structure » les ont croisés pour obtenir les meilleurs outils d’aide à la décision possibles pour mener au mieux les travaux de restauration. Ces outils, qui donnent accès à une meilleure compréhension du fonctionnement mécanique des différents éléments de la cathédrale, se révèlent très utiles en archéologie du bâti pour simuler différents scénarios de phasage de construction. Ils pourraient constituer une base en vue de réaliser un programme de simulation relativement avancé pour un jeu de construction qui autoriserait lui aussi une approche multi-échelles. Ce programme intégrerait aussi bien ce qui se joue à l’échelle du matériau qu’à celle de la structure globale. L’utilisation d’un programme de ce type demanderait des précautions : le joueur n’aurait pas le regard critique que l’ingénieur doit toujours porter sur l’outil de modélisation qu’il utilise. Mais si le programme est bien conçu, il offre la possibilité de proposer au joueur un substitut de l’expérience lui permettant de se confronter, en progressant par essais et erreurs, aux défis que les bâtisseurs de cathédrales ont su relever. Son édifice peut facilement s’effondrer.

Les questions que soulèvent aujourd’hui les chercheurs concernant les difficultés rencontrées par les bâtisseurs dans la maîtrise des forces pour construire d’immenses édifices feraient écho à celles auxquelles le joueur serait confronté pour construire sa cathédrale. Il s’agirait cependant d’un véritable jeu et non d’un serious game. Des gens s’amusent déjà à construire des cathédrales dans Minecraft[8].

Fig5.3NDP
Fig5.2Amiens
Fig5.1Amiens

Une reconstitution de la cathédrale d’Amiens au XIVème siècle dans Minecraft.

Le caractère rigoureux du jeu dans la dimension tant technique qu’historique doit constituer un attrait supplémentaire, comme lorsqu’on se demande en regardant un film s’il s’agit d’une « histoire vraie ». Il est possible d’intégrer à cette simulation, dans un mode « expert », des contraintes économiques et techniques : telle époque plus ou moins plus prospère[9] permet ou non de se lancer dans des projets ambitieux, telle localisation donne accès à des carrières dont la pierre, de telle qualité, permet ou non d’être travaillée de manière fine, si la nef de la cathédrale doit être construite au-dessus de la crypte romane, le tracé du plan se trouve extrêmement contraint, etc. Le but est de parvenir à faire en sorte que les joueurs comprennent en voyant de véritables cathédrales comment elles sont faites, avec une véritable intelligence – toute pratique – des défis que leurs bâtisseurs ont su relever. La simulation permet d’appréhender par l’expérience les forces qui gouvernent l’art des cathédrales gothiques. Un public plus ou moins averti peut se familiariser avec le savoir-faire de leurs bâtisseurs jusqu’à peut-être faire apparaître la logique de stratégies demeurées à ce jour inaperçues. Joueurs et chercheurs se croiseraient sur un terrain de jeu commun.

[1]   L’édition numérique est le processus par lequel, au moyen d’un logiciel, des contenus sont constitués et mis en forme à partir de bases de données pour être diffusés sur écran.

[2]   Cathedral: the story of its construction, Boston, Houghton Mifflin, 1973, pour la version originale.

[3]   Paris, Éd. du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2011.

[4]   Il faudrait ainsi que le joueur, avant de commencer à concevoir sa cathédrale, puisse savoir quelles cathédrales ou églises épiscopales existent déjà ou étaient en cours de construction à l’époque à laquelle il a choisi de commencer son propre ouvrage. Il pourrait avoir accès à certaines vues de ces édifices, semblables à celles dont il dispose s’agissant de Notre-Dame de Paris à des époques lointaines, mais en moins grand nombre.

[5]   Les effondrements liés à l’incendie de Notre-Dame de Paris sont d’ailleurs l’occasion de « chercher à savoir s’il y a des chaînages de fer insérés dans la maçonnerie des XIIe ou XIIIe siècles, pour consolider les structures, comme c’est le cas dans la nef de la basilique Saint-Denis, qui date de la même époque » explique Maxime L’Héritier, coordinateur du groupe de travail fer. Voir « Faire parler les matérieux de Notre-Dame » dans le journal du CNRS.

[6]   Sur cette question, voir la présentation de Thomas Parent, lors du colloque du 19 et 20 octobre 2020 : « Chantier scientifique Notre-Dame – état des lieux et perspectives ». Des vidéos des interventions sont disponibles en ligne.

[7]   Propension à conserver la même forme, par opposition à ce qui présente une certaine élasticité.

[8]   Cf. la réalisation de la cathédrale d’Amiens au XIVème siècle dans Minecraft, ou encore la série de sept vidéos rendant compte de la construction de Notre-Dame de Paris dans ce même jeu. Les épisodes, de quarante cinq minutes environ, comptent en moyenne 15 000 vues.

[9]    Les moyens dont le joueur dispose tiennent au contexte politique, épidémique, frumentaire, ou encore militaire, à toutes sortes de phénomènes, brefs ou de longue durée, qui ont une incidence sur l’évolution de son chantier. Se focaliser sur la dimension économique permet d’homogénéiser sous la forme de données quantitatives toutes sortes de facteurs de natures très diverses dont le jeu peut ainsi rendre compte. La construction de la cathédrale du joueur s’inscrit de manière concrète dans son époque. La simulation porte nécessairement sur un objet donné, ici la construction des cathédrales. Mais toutes sortes de facteurs affectent leur édification. On peut, après un premier mouvement d’abstraction, intégrer ces facteurs à la simulation, que ce soit ou non sous une approche économique, pour retrouver autant que possible les conditions historiques d’un chantier en fonction de ses coordonnées spatio-temporelles.

Publié le 8 juin 2021
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