La vie tourmentée de l'espion Peter K : un entretien en prison
Entre-Temps propose cette année un jeu d'écriture biographique participative. Comme point de départ, un document d'archives anonyme retraçant, sous la forme d'une brochure, le parcours de Peter K, espion entre la RDA et la France dans les années 1950-1960. Le but du jeu : constituer sur ce personnage énigmatique un dossier documentaire, un carton d’archives dont seule la première pièce – la brochure – sera authentique. Cette semaine, Philippe Artières propose l'extrait d'un entretien avec Peter incarcéré.
Bande 1. 3/04/1972
Je voulais commencer par vous demander pourquoi vous aviez accepté de répondre à nos questions. Vous êtes resté très silencieux depuis votre procès devant la Cour de sûreté de l’État.
Je n’ai pas eu d’abord la possibilité de parler. J’avais interdiction d’entrer en contact avec la presse française et allemande. Les seuls messages qui me sont parvenus de Berlin, c’était de ne plus faire parler de moi. Sous-entendu si vous vous répandez dans les journaux, alors vous allez réentendre parler de nous, à commencer par ceux de vos proches en DDR.
Et les services français ?
Ils auraient bien aimé que je parle avant ; je suis un trophée qu’ils ne pouvaient pas exposer. Ils savaient que parler pouvait avoir des conséquences graves pour ma famille qui est déjà dans une situation critique ; mais je ne me fais pas d’illusion : ils craignaient surtout que cela envenime un peu plus leur relation avec les Est-allemands.
Pourquoi rompre ce silence ?
Parce que la justice française m’y a autorisé car votre proposition est singulière. Vous n’êtes pas journaliste. Jusqu’alors les demandes d’entretiens émanaient de la presse. Dans votre lettre vous vous êtes présenté comme étant un historien. Un historien qui s’intéresse à mon cas. Ça m’a paru suffisamment atypique pour vous rencontrer. Et puis vous m’avez dit connaître Katharina von Bülow.
Avant de revenir sur votre vie, dites-nous d’abord, Peter K. comment vous vous sentez aujourd’hui. Voilà presque onze ans que vous êtes ici …
Je me sens bien. (silence) Je me sens même plutôt mieux qu’avant, je veux dire [mieux] qu’avant mon arrestation. Ici je suis pas mal même si la vie quotidienne en détention est parfois très pénible. Depuis l’automne avec les révoltes, l’atmosphère est tendue. Il y a sans cesse des fouilles de cellules, les surveillants sont inquiets. Mais bon, j’ai la chance d’être seul et d’avoir été placé dans un couloir un peu isolé des autres détenus.
Vous avez un statut pénitentiaire particulier ?
Non. Pas officiellement. Je ne suis pas considéré comme un prisonnier politique. Ça n’existe pas en France. Les premiers mois de mon incarcération, je partageais même ma cellule avec un faussaire. Un type qui était en prison pour fausse-monnaie. On s’entendait bien. Il était précis. J’aime les gens précis. Mais le directeur de l’établissement, c’était Melun alors, est venu un jour nous expliquer que bien qu’il n’avait rien contre nous, c’était compliqué de nous laisser ensemble. Disons qu’on avait des savoirs complémentaires et que ce n’était pas du goût de Pleven.
Ça ne vous gêne pas d’être sous l’œil des surveillants jour et nuit ?
Vivre en se demandant en permanence si on n’est pas surveillé, c’est très fatigant. Pendant dix ans, je vérifiais sans cesse que personne ne me suivait, que mon téléphone n’était pas sur écoute, que personne n’était entré en notre absence dans l’appartement… Ici, je sais qu’on m’observe presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je sais qu’ils savent qui je suis, pourquoi je suis là. Ils m’appellent par mon nom …
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Depuis le mois de décembre, la revue Entre-Temps publie une nouvelle pièce toutes les deux semaines. Lectrices et lecteurs sont invité•es à participer tout en s’engageant à prendre en compte les informations contenues dans les pièces déjà produites, ainsi que dans la brochure. Envoyez vos propositions à la rédaction : entretemps.editorial@gmail.com.