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La vie tourmentée de l'espion Peter K : les règles du jeu

La revue Entre-Temps lance aujourd'hui un jeu d'écriture biographique collective. Comme point de départ, un document d'archives anonyme retraçant, sous la forme d'une brochure, le parcours de Peter K, espion entre la RDA et la France dans les années 1950-1960. Le but du jeu : constituer sur ce personnage énigmatique un dossier documentaire, un carton d’archives dont seule la première pièce – la brochure – sera authentique.

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Cette année, la revue Entre-Temps lance un jeu d’écriture biographique collective. Comme point de départ de l’histoire, un personnage attesté dans un document d’archives anonyme conservé aux Archives nationales, rédigé en 1966 et publié en brochure l’année suivante. Ce document retrace au lendemain de sa condamnation les différentes étapes du parcours de l’espion Peter Kranick, entre la RDA et la France, dans les années 1950 et 1960.

Le but du jeu est le suivant : constituer sur ce personnage énigmatique et dont nous connaissons le parcours à grands traits un dossier documentaire, un carton d’archives dont seule la première pièce – la brochure – sera authentique. Pour le reste, il appartient aux participantes et aux participants d’imaginer, d’inventer, de produire une archive susceptible d’être versée au dossier.

Chaque document doit contribuer à la connaissance de la vie de Peter Kranick, de manière directe ou indirecte : il peut par exemple s’agir du témoignage d’une personne l’ayant rencontré, de la description d’un lieu qu’il a fréquenté, d’un élément touchant l’un des autres personnages évoqués dans la brochure, etc., et ce à n’importe quel moment de son parcours. Le format des pièces proposées et destinées à intégrer le corpus est libre : texte, image, vidéo, son. Il peut s’agir d’une production individuelle ou collective, personnelle ou réalisée dans un cadre pédagogique.

Chaque participant.e s’engage à prendre en compte la ou les participations précédentes et les informations contenues dans les pièces déjà produites, ainsi que dans la brochure.

Pour ce tout premier épisode, nous publions la première pièce, la seule authentique et le point de départ du jeu. À compter du mois de décembre, la revue Entre-Temps publiera une nouvelle pièce toutes les deux semaines, en renouvelant à chaque publication l’invitation aux lectrices et aux lecteurs à participer en nous contactant à l’adresse suivante : entretemps.editorial@gmail.com

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Le texte de cette brochure a été élaboré après l’arrestation des époux KRANICK et BAMMLER, en juin 1966. 

Elle est publiée au lendemain des débats de la Cour de Sûreté de l’Etat qui, le 27 avril 1967, a infligé les condamnation suivantes : 

  • Peter KRANICK : 20 ans de détention criminelle 
  • Renée KRANICK, née LEVIN : 14 ans de détention criminelle 
  • Hans BAMMLER : 18 ans de détention criminelle 
  • Marianne BAMMLER, née MUHLE : 12 ans de détention criminelle

Introduction

Sans attendre les résultats complets de l’enquête judiciaire en cours, il est possible dès maintenant d’établir un premier bilan des activités des agents secrets de la R.D.A Kranick Peter et Bammler Hans Joachim, arrêtés par la D.S.T le 25 mai 1966, et d’en tirer des enseignements sur le plan psychologique, sur certains des objectifs poursuivis et sur les méthodes employées.

Nous analyserons l’activité du couple Kranick, agents de renseignement chargés de pénétrer dans l’objectif, qui fut d’abord le gouvernement militaire français à Berlin et ensuite l’O.T.A.N.

Puis nous verrons la formation, l’implantation et les activités du couple Bammler.

Deux mises au point de nos connaissances sur la micro-photographie et sur les émissions brèves situeront enfin ce cas particulier dans l’ensemble de l’activité des services d’espionnage de l’Est.

La vie tourmentée de Peter Kranick, ancien légionnaire

Peter Kranick est né à Berlin, le 21 octobre 1930.

Fils d’un ancien fonctionnaire de police de la République de Weimar il a vécu à Berlin jusqu’en 1939 puis à Hallenderg où son père avait été muté.

Il passe de l’école primaire à Berlin à l’école supérieure de Frankenberg d’où il sort à la fin de la guerre sans diplôme. Il est apprenti boucher jusqu’en 1948, date du divorce de ses parents.

De 1948 à 1950, il occupe plusieurs emplois dans une scierie. Puis sa mère ayant regagné Berlin-Est où elle possède plusieurs immeubles, mais ne voulant pas que son fils vienne la retrouver en secteur oriental, Peter Kranick s’engage dans la légion étrangère en janvier 1951.

Il sert en Algérie, puis en Indochine. Titulaire de la croix de guerre des T.O.E. et de plusieurs autres décorations, il est grièvement blessé à Dien-Bien-Phu. Réformé, il est dégagé de toutes obligations militaires en mars 1955 et pensionné comme sergent à 85%.

Il revient alors à Berlin en novembre 1954 où ses antécédents lui permettent d’entrer aisément au gouvernement militaire français. Il y est archiviste au service de presse Quartier Napoléon, à compter du 14 mars 1955.

Son pays natal a été écrasé et disloqué. Sa famille est dispersée.

Il a 25 ans. Il a été tour à tour boucher, charpentier, soldat glorieux de sa patrie d’adoption. Soldat à nouveau vaincu, blessé, il est désormais cantonné dans un emploi subalterne. Il se livre aussi au commerce de voitures d’occasion.

Conversion

Que se passa-t-il dans sa tête lorsque deux ou trois mois plus tard il est victime d’un accident de la circulation ? Une voiture école de la police le renverse alors qu’il se rend chez sa mère en vélomoteur à Berlin-Est. Un fonctionnaire du M.F.S. (service d’espionnage de l’Allemagne de l’Est) prévenu, le contacte, puis le revoit. Combien a-t-il fallu de rencontres pour que Peter Kranick accepte de travailler pour les services de l’Allemagne communiste ? Apparemment peu.

Quelques mois plus tard, en 1956, il adhèrera au S.E.D (Parti socialiste unifié). Ensuite, il signera un contrat avec la centrale M.F.S. et sera soumis à une formation S.R. pour l’emploi des codes, la préparation des micro-points et l’utilisation des carbones blancs.

Activités d’espionnage

Au quartier Napoléon, les archives était situées à proximité de la section politique, qui intéressait davantage les services de la D.D.R. que les renseignements que pouvait fournir Kranick sur les mouvements de troupes ou les noms et affectations des officiers français. C’est dans cette direction en effet que fut axée la manipulation de cet agent, aussi longtemps que le permirent les circonstances. La preuve en est que lorsque le service politique déménagea du quartier Napoléon, la centrale prit la décision de le muter en France, les renseignements qu’il pouvait continuer à glaner ne l’intéressant apparemment plus.

Ses services avaient néanmoins été appréciés, puisqu’il avait été promu officier et décoré. Il dit avoir actuellement le grade de lieutenant-colonel dans le M.F.S. et estime avoir perçu depuis le début de son utilisation par ce service une somme globale de 50 millions de francs anciens.

Transmissions

Recueillir des renseignements n’est rien, si l’on ne peut les transmettre.

Au début, il n’y avait aucune difficulté pour Peter Kranick, la circulation étant libre entre les deux secteurs de Berlin. Il se rendait alors toutes les semaines auprès de sa centrale. Après la construction du mur, celle-ci lui adressa un courrier, Bammler, alias Erick, qui lui apporta un appareil de transmission à infra-rouge.

Pour utiliser cet appareil, Kranick avait loué un petit bout de terrain où il prétendait faire du jardinage, à proximité de la frontière, une petite hutte lui permettait de procéder à ses manipulations.

Plus tard, la végétation ayant poussé, l’utilisation en devint impossible en raison des obstacles qui s’intercalaient entre l’appareil et le récepteur du côté Est.

On en revint à la formule du courrier Erick Bammler jusqu’au départ pour Paris.

Nouvelle vie – nouvelle mission

La vie privée de Peter Kranick n’est pas indépendante de sa mission. S’étant séparé peu à peu de sa première femme, il avait fait, vers 1958, la connaissance au G.M.F.B. de Renée Levin qui travaillait comme rédactrice dans son service. L’attirance avait joué dès 1959, mais fin 1961, Levin regagne Paris avec ses parents. De parents allemands, elle est née à Paris où elle a fait toutes ses classes et elle est pensionné à titre de déportée par le gouvernement ouest-allemand.

Il va la voir à Paris en décembre 1962, ne s’y plaît pas, revient et reprend du service au quartier Napoléon où il s’occupe du fichier (secret) au 4e bureau, concernant le personnel français en poste à Berlin. Mais ce travail n’intéresse pas sa centrale qui l’engage, puisqu’il a une carte de résident privilégié pour la France, à s’y établir. Elle lui avance les frais de voyage.

Le service secret de la D.D.R. facilite les formalités de son divorce, accepte de payer une pension à son ex-femme qui s’installe comme vendeuse à Dresde.

Lui, sans attendre le divorce qui sera prononcé seulement en 1964 et qui vit séparé de sa femme, gagne Paris en 1963 avec pour mission de pénétrer à l’O.T.A.N. et la promesse qu’il sera le chef de ce réseau s’il réussit à l’installer.

Celle qui sera sa future femme, Renée Levin, avec qui il se met en ménage en 1963, avait trouvé un emploi à l’ambassade d’Allemagne à Paris où elle s’occupe des dédommagements des israélites, puis des légionnaires allemands emprisonnés après les événements d’Alger. Tout ceci n’intéresse pas le M.F.S.

Comment un espion enrôle sa femme

C’est dans le courant de l’année 1963, avant son mariage avec Renée Levin et alors que cette dernière était encore employée à l’ambassade d’Allemagne à Paris, que Kranick met sa future épouse au courant de ses activités au profit des services de renseignement de la D.D.R. et lui demande de « travailler » avec lui.

Sur son acceptation, il l’emmène à Berlin-Est où il la présente à son chef hiérarchique qui, l’ayant félicitée d’apporter sa collaboration au M.F.S. et son aide à Kranick pour s’installer à Paris, la pressant d’entrer à l’O.T.A.N.

C’est alors que Peter Kranick apprend que le père de Levin connait un certain Boker, lequel est le deuxième responsable de la section politique de l’O.T.A.N. Il conseille à Renée Levin de lui écrire pour obtenir une recommandation. Bien que muté à Bonn, Boker l’adresse à son ancienne secrétaire, Mme Schump-Schmets, après les enquêtes de rigueur, Levin obtient satisfaction environ un an plus tard et quitte l’ambassade d’Allemagne en février 1964.

Après deux mois au pool des dactylos, elle est désignée comme secrétaire du « briefing-officer » au service de l’information (relations publiques) où elle est encore en mai 1966.

Depuis 1963, Renée Levin a fait plusieurs voyages à Berlin-Est en compagnie de son époux, lequel s’y rendait fréquemment utilisant, à plusieurs reprises, une fausse carte d’identité de l’Allemagne de l’Ouest au nom de Bauer. Elle y a rencontré, dans une villa appartenant aux services spéciaux est-allemands, le supérieur de son mari qui lui a donné des précisions sur la nature des renseignements intéressant le M.F.S.

Par ailleurs, après avoir accepté d’apporter sa collaboration, elle a assisté régulièrement aux émissions radio codées destinées à Kranick et a appris à les déchiffrer.

Patience et universalité dans l’espionnage

Cependant, Levin, secrétaire du « briefing-officier » des relations publiques à l’information, est amenée rapidement à faire aussi des travaux personnels pour le Comte R. Adelman, directeur de l’information au secrétariat général de l’O.T.A.N.

En réalité, il apparaît bien que les services de la D.D.R. en sont encore, en ce qui concerne Kranick et Levin, au stade de l’installation. Ils recommandent à Kranick de trouver en France une situation, de monter une petite entreprise, et lui remettent à cette fin 20 000 marks ; ils sont même d’accord pour avancer une somme pouvant aller jusqu’à 10 millions de francs anciens. Il s’agit essentiellement, pour les époux Kranick, de se faire admettre tout en faisant l’apprentissage de la clandestinité. La centrale demandera à Levin des renseignements biographiques sur les fonctionnaires qu’elle peut connaître, hauts et moins hauts. Une approche sur une secrétaire sera envisagée. Ainsi avait procédé Georges Paques avant de livrer de plus pesantes fournitures.

Banalités pour le spectateur. Mais qui jugera que tel détail est insignifiant ? Le service du M.F.S. lui, fait passer ces bavardages, qui lui donnent un peu de l’atmosphère morale régnant à l’O.T.A.N., par le canal le plus compliqué qui soit : les micro-points. Ainsi au moins s’assure-t-il une liaison inviolable pour le jour où quelque tension supprimerait les courriers irréguliers.

Ici, apparaissent les Bammler.

« Nachrichtendienst ist herrendienst » – « Le renseignement est un travail de seigneur »

Bammler Hans Joachim, alias Georg Wegner, est né à Berlin le 13 juillet 1925. Il est le fils du général Rudolph Bammler.

Le général R. Bammler, lieutenant en 1918, a été en 1938 chef de section dans le service de contre-espionnage de l’amiral Canaris au Haut État-Major de la Wehrmacht. Commandant militaire de Dantzig en 1940, chef d’État-Major du corps expéditionnaire en Norvège, général de division en 1943, il est fait prisonnier à la tête de la 12e division le 1er juin 1944. Il se serait livré à un travail antifasciste et participe au Comité pour l’Allemagne libre. Libéré, en 1950, il est revenu s’installer en Allemagne de l’Est à Postdam. Il a repris du service et il était général de brigade des Vopos lorsqu’il a pris sa retraite à Erfurt, après avoir été directeur de l’école technique pour officiers de chars à la K.V.P. Il est signataire de tracts pro-communistes diffusés en R.F.A.

Hans Joachim avait fait ses études primaires et secondaires à Berlin jusqu’en 1938. Puis à Vienne où son père avait été muté. Baccalauréat en 1943, trois mois de travail obligatoire et il est affecté au régiment de chars « Gross-Deutschland ». Combats en Lettonie jusqu’en février 1945. De là, il est envoyé dans une école d’officiers à Pilzen (Tchécoslovaquie) qui, à quelques jours de l’armistice, est constituée en régiment, les officiers instructeurs encadrent les élèves nommés au grade de lieutenant. Fait prisonnier par les Américains, il est interné au camp de Weider.

Pour se faire libérer plus tôt, il prétend qu’il est ouvrier agricole et travaillera comme tel pendant un an à Crispendorf, en Thuringe. Ensuite, il sera imprimeur à Stuttgart.

C’est en 1950 qu’il apprend que son père est prisonnier des Russes. Il suit les cours d’ingénieur de l’école supérieure technique de Reutlingen, puis rejoint son père à Postdam. Il tente, à nouveau, en vain, de reprendre ses études d’ingénieur et part, en 1953, pour Berlin où il trouve un emploi d’agent publicitaire au théâtre « Maxime-Gorki ».

Conversion de Bammler

« C’est à cette époque, dit Bammler, que peu à peu je me suis converti au communisme. Les pièces de théâtre que je voyais, les conférences auxquelles j’assistais, m’ont convaincu que c’était là la meilleure idéologie. J’ai adhéré au parti communiste en 1956 et depuis cette époque j’ai toujours milité. »

Une autre raison aussi forte sans doute s’ajoute à celle-là. « Après que mon père eut été fait prisonnier par les Russes en 1944, ma mère a été déportée au camp de Dachau. Il était en effet inadmissible au régime nazi qu’un général ait pu être fait prisonnier. Ma mère ayant refusé de divorcer, elle a donc été déportée et est morte en 1945 des suites des sévices subis. Les conditions dans lesquelles ma mère est décédée ont été pour beaucoup dans le fait que mon père et moi-même avons choisi le camp communiste. »

Premier engagement à mi-temps dans le M.F.S.

Hans est parti du théâtre « Maxime-Gorki », en juin 1957, à cause des intrigues qui y règnent. Il entre comme chef de publicité au « Gastspiel-bühne », puis comme organisateur de spectacle au « Konzertgastspieldirektion » à Berlin, en septembre 1958.

C’est là qu’en janvier 1960 le responsable du M.F.S. pour la direction des spectacles s’est présenté à son bureau pour lui demander de collaborer en rapportant tout ce qu’il savait sur le milieu des artistes. « J’ai accepté immédiatement, comme c’était mon devoir ».

À la fin de l’année 1961, il a été mis en contact avec un autre agent du M.F.S. qui, après lui avoir dit que le service était content de lui, lui a proposé un travail plus engagé.

Il a servi alors de courrier clandestin entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, il devait franchir le « mur » et entrer en contact avec un agent qui lui remettrait des renseignements. Ce furent ses premiers contacts avec Peter Kranick. Ils devaient durer jusqu’à la fin 1962, époque à laquelle Kranick est parti à Paris.

Formation d’un illégal

Après le départ de Kranick, l’officier traitant de Bammler, le nommé Werner, lui dit qu’il cherchait quelqu’un pour effectuer une mission en France. Il s’agissait de s’installer à Paris pour diriger un réseau.

Hans Bammler était tenté, mais ne voulait pas partir sans sa femme. Qu’à cela ne tienne, si elle est d’accord, le service est disposé à les employer tous les deux. Lorsque Bammler eut convaincu sa femme, ils furent invités à quitter leur emploi.

« Tout de suite après Werner a commencé notre instruction d’agent du S.R. Cette instruction a duré pendant toute l’année 1963 et a porté surtout sur l’O.T.A.N., son organisation, sa structure militaire et politique, son but et son implantation en France. Tous ces cours que nous prenions, ma femme et moi avaient lieu à notre domicile. »

« Notre formation technique nous a été donnée par trois autres agents du M.F.S. dont j’ignore les noms et sur lesquels je ne sais absolument rien. Le premier était chargé de la radio, le second du chiffre et le troisième de la photographie. Le technicien radio nous a donné l’entraînement pour recevoir des messages chiffrés et le photographe nous a appris surtout à photographie des documents et à faire des micro-points »

« Pendant ce temps, Werner nous a appris notre « légende » nous apprenant à vivre avec notre nouvelle personnalité. C’est ainsi qu’en 1963 je me suis rendu en Autriche pour connaître les endroits où j’étais censé avoir vécu et en Égypte, en 1964, pendant trois semaines environ, toujours pour parfaire ma légende. »

C’est cette légende à laquelle Bammler s’est tenu pendant les trois premiers jours de son interrogatoire.

À la fin de l’instruction, on lui remit un passeport au nom de Wegner et une carte d’identité au nom de Henkel.

Le véritable Wegner Georg vit toujours en D.D.R. et il a effectivement vécu en Autriche dans les conditions décrites dans la légende. Mieux encore : le passeport utilisé est également le sien sur lequel on a mis la photographie de Bammler !

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Installation préparatoire

Le premier temps de la mission consistait à venir à Mulhouse, y trouver du travail, s’y installer. Ensuite faire venir sa femme… et se marier à Mulhouse. Une seconde fois ! Routine ? Renforcement du camouflage avec de « vrais » papiers d’état-civil ?

Les communications avec la centrale de Berlin-Est s’effectueront par message radio fixé, il répondra par « carbone blanc » dans un premier temps.

Tout se passe comme prévu. Le couple, une nouvelle fois marié à Mulhouse sous le nom de Wegner est invité à envisager son installation à Paris. Ils viennent passer huit jours de congé dans la capitale pendant lesquels ils prospectent logement et travail, puis ils vont rendre compte à leur officier-traitant à Berlin-Est le 15 juillet 1964 et celui-ci leur conseille de prendre le logement qu’ils ont retenu à Noisy-le-Sec et leur donne une année pleine pour s’installer complètement. Après une visite de quelques jours à leurs parents, ils repartent sous une fausse identité, chacun de leur côté.

Lui, passera à Berlin-Ouest sous le nom de Henkel et à partir de Cologne reprendra son identité de Wegner. Elle, quittera Berlin sous le nom de Hoffman pour gagner la Suisse, puis rejoindra Mulhouse sous le nom de Wegner.

Au mois d’août, le couple s’installe à Noisy-le-Sec et, en septembre, Bammler commence à travailler à la Société parisienne d’imprimerie et de teinturerie à Pantin. Elle, va essayer de suivre les cours de l’Alliance française qu’elle abandonne à la fin de novembre.

De Noisy-le-Sec, puis de Neuilly-Plaisance où ils ont emménagé à la fin de l’année 1964, ils ont repris les contacts avec la centrale de Berlin. C’est l’épouse qui est chargée de prendre l’écoute radio toutes les deux semaines, le dimanche soir à 22 heures.

En mai 1965, ils s’installent à Paris et sont prêts au travail : pénétrer l’O.T.A.N.

Mission sur l’O.T.A.N.

Les deux faisceaux, l’un formé du couple Kranick-Levin, l’autre formé du couple Bammler, se retrouvent donc à Paris et la centrale de Berlin-Est va pouvoir améliorer la sûreté de ses communications.

Ce n’est pas assez que les renseignements obtenus par Levin dans l’O.T.A.N. soient recueillis par Kranick : on brouillera davantage la piste en les faisant transiter par Bammler, qui les mettra en forme, les fera dactylographier par sa femme pour les photographier et les transformer en micro-points.

Le micro-point était glissé sous un timbre, l’accusé de réception arrivait sous forme d’émissions radio en morse et codées.

Fabrication des micro-points

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La photographie n°1 ci-dessus montre un appareil spécialement conçu pour la confection des micro-points ou plutôt des « mikrat » suivant la terminologie allemande.

Le micro-point, proprement dit, nécessitait en effet un appareillage plus compliqué comprenant un véritable microscope avec une technique de prise de vue très délicate nécessitant une dextérité de spécialiste éprouvée. À l’autre bout de la chaîne d’exploitation de la reproduction microscopique était également malaisée, la difficulté commençait par le repérage du « micro-point » qui devenait trop souvent invisible ou indécelable (voir photographie n°2)

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Le « mikrat » ne nécessite que l’appareil présent sur la photographie n°1 dont les dimensions, un centimètre et demi sur deux, permet un camouflage facile et qui n’a besoin que d’une réglette fixe pour toute mise au point.

La pellicule est constituée par un petit disque d’un centimètre et demi de diamètre qui peut recevoir douze images par simple rotation d’une molette graduée. Les images sont découpées dans le disque et ramenées à une dimension de l’ordre du millimètre, ce qui permet une maniabilité suffisante tout en gardant des possibilités illimitées de camouflage sous un timbre, dans l’épaisseur d’une carte postale, un coin d’enveloppe, etc…

C’est un procédé de transmission à peu près inviolable et qui permet la transmission facile des rapports qui peuvent être abondants. Son utilisation est devenue d’usage courant.

Émission brève

Le seul inconvénient du micro-point ou du « mikrat » réside dans les délais imposés par la poste, le risque perte étant non négligeable.

Les émissions radio ont l’avantage de l’instantanéité. Mais elles sont indiscrètes. Tout le monde peut les entendre. Et même, si elles durent tant soit peu, la goniométrie permet rapidement de repérer l’émetteur.

C’est pour éviter ce dernier inconvénient que les « émissions brèves » ont été mises au point. Par un procédé mécanique simple, l’émission en morse qui a été préalablement enregistrée sur une bande perforée ou sur un fil magnétique passe à très grande vitesse dans l’émetteur.

L’émission normale, qui durait plusieurs minutes, est ainsi réduite à quelques secondes (10 à 20). À une oreille suffisamment exercée, elle peut passer pour un bruit de parasite. Il faut être en alerte permanente pour pouvoir la capter, l’enregistrer et ensuite la « traiter » pour rendre lisible les signes interceptés. On obtient alors le message chiffré : reste à briser le code dans lequel il a été transmis pratiquement inviolable au décryptement.

Jusqu’à présent, ce moyen de communication est le plus rapide et le plus sûr de tous. Les problèmes posés par le repérage de l’émetteur sont loin d’être tous résolus. Et cependant on jugera de leur importance si l’on imagine que les sous-marins atomiques emploient ce moyen, plus perfectionné il est vrai, pour communiquer à leur base et que c’est seulement pendant ces brèves secondes, 2, 3, 4, 5 au maximum, qu’il peut être repéré ! Nous y travaillons.

Ce moyen de communication, de l’agent vers sa centrale, donne toute satisfaction et il semble que son utilisation soit de plus en plus répandue.

Les liaisons radio de la centrale vers l’agent, comme celles que recevaient Kranick et Bammler, sont systématisées pour les agents secrets.

Le dimanche à 22 heures pour Kranick et le jeudi à 22h30 pour Bammler, la centrale de Berlin-Est émettait un indicatif musical ou morse suivi de séries de cinq chiffres sur une longueur d’onde et avec un type de modulation propre à être reçus sur un récepteur radio grand public. Les trois premiers chiffres donnent une indication de surchiffrement qui est différente pour chaque agent. Ceux qui sont à l’écoute à ce moment savent en l’entendant s’il y a un message pour eux. Les deux derniers chiffres leur indiquent la minute à laquelle le message qui leur est destiné passera. Aussi, tel jeudi à 22h28 avons-nous pu prendre un message destiné à l’un de nos prisonniers et le déchiffrer grâce au code en notre possession.

À chaque émission, ce sont de cinq à quinze agents qui sont ainsi alertés et reçoivent leurs consignes. Nous connaissons plusieurs centaines d’indicatifs ainsi utilisés.

La plupart répondent par lettre ou micro-points. Un nombre de plus en plus grand répondent par émissions brèves au moyen d’appareils dont la construction a dépassé le cadre artisanal et se miniaturisent de plus en plus. Ceux que nous avons pu déceler dépassent largement la centaine !

 

 

Publié le 24 novembre 2020
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