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Pour l'été : conseils de lecture de la rédaction

Louise Gentil

Léa Pouyau

Philippe Artières

Clément Fabre

Lucie Moruzzis

Élisabeth Schmit

Louise Gentil

Louise Gentil est historienne médiéviste. Elle prépare actuellement une thèse, sous la direction conjointe de Laurent Feller (LaMOP – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Paolo Grillo (Dipartimento di studi storici – Università degli Studi di Milano), qui s’intitule « Écrire la terre » et porte sur l’administration foncière de l’abbaye cistercienne de Chiaravalle (Lombardie) entre XIIe et XIVe siècles. Elle s’intéresse plus largement à l’histoire de l’économie médiévale, mais aussi à l’organisation des espaces ruraux. Après avoir enseigné de 2018 à 2022 à l’Université Paris 1 comme doctorante contractuelle puis ATER, elle est désormais pensionnaire de la fondation Dosne-Thiers. Elle est l’une des rédactrices en chef adjointes de la revue.

Léa Pouyau

Agrégée d'histoire-géographie, Léa Pouyau enseigne ces disciplines au collège Beau-Soleil à Chellesq. Elle est membre du comité de rédaction d'Entre-Temps.

Philippe Artières

Philippe Artières est directeur de recherches au CNRS à l’EHESS, au sein de l’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux). Il travaille et a publié plusieurs ouvrages sur les archives mineures et les écritures dites ordinaires. Il s’intéresse à l’écriture aussi bien qu’à l’image de la fin du XIXe à la fin du XXe siècle, mais aussi aux pratiques d’archivage de ces documents. Parallèlement à ses travaux, il expérimente régulièrement d’autres formes d’écriture de l’histoire : le récit, les expériences d’écriture, le montage d’archives, les expositions ou le documentaire radiophonique. Proche collaborateur de la revue depuis sa création, il a rejoint le comité éditorial en 2020.

Clément Fabre

Clément Fabre est agrégé d’histoire et docteur en histoire contemporaine. Il est actuellement ATER à l’Université Paris Est Créteil. Il s’intéresse aux dimensions linguistique, corporelle et matérielle des relations sino-occidentales au XIXe siècle. Sa thèse, dirigée par Anne Carol et Pierre Singaravélou, porte sur les savoirs et savoir-faire pratiques développés par les diplomates, missionnaires et médecins occidentaux autour des corps chinois, des années 1830 aux années 1920. Il a également travaillé sur l’histoire mondiale de la langue chinoise (à partir du cas de la langue chinoise dans la France du XIXe siècle), et sur la vie quotidienne des lieux de mémoire (en s’intéressant notamment aux usages mémoriels, profanateurs, ludiques et militants autour du monument aux morts de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm). Il est depuis 2020 membre du comité scientifique de la revue L’Histoire, et rédacteur du magazine Faire l’Histoire diffusé sur Arte depuis 2021.

Lucie Moruzzis

Lucie Moruzzis est relieure, conservatrice-restauratrice spécialisée dans les documents reliés et docteure en histoire et archéologie du livre rattachée au Centre Jean Mabillon (École nationale des chartes) et au centre Gabriel Naudé (ENSSIB). Ses travaux portent sur les stratégies et les modalités pratiques de la conservation des documents reliés à travers le temps au sein d’établissement communautaires religieux et laïcs. Elle s’est plus particulièrement intéressée à la conservation des archives de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et à celle des ouvrages provenant de la bibliothèque enchaînée du collège de Sorbonne. Elle exerce à l’atelier des Archives nationales et enseigne auprès des étudiant⸱e⸱s en conservation-restauration à l’Université Paris 1.

Élisabeth Schmit

Élisabeth Schmit est agrégée d’histoire et docteure en histoire du Moyen Âge. Elle enseigne au Lycée Pablo-Picasso à Fontenay-sous-Bois. Elle est l’auteure d’une thèse sur la transformation des institutions judiciaires en France après les bouleversements de la guerre de Cent ans (Paris 1 / Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris), publiée en 2022 aux éditions de la Sorbonne, et s’intéresse plus largement à l’histoire des pratiques judiciaires à la fin du Moyen Âge. Après avoir enseigné à l’Université Paris 1 et à l’Université de Franche-Comté, elle occupe entre 2019 et 2021 le poste ATER attaché à la chaire du Pr. Patrick Boucheron au Collège de France et dirige alors la rédaction de la revue. Elle a par la suite mené un projet de recherche post-doctorale sur la représentation en justice à la fin du Moyen Âge, à travers l’étude des usages de la procuration au parlement de Paris (LabEx Hastec / Archives nationales). Elle est l’une des rédactrices en chef adjointes de la revue.

C’est presque rituel : avant les vacances d’été, Entre-Temps publie les conseils de lecture de la rédaction ; après vient la pause estivale. Aujourd’hui, il n’est pourtant pas évident de clore l’année, ni de se poser, alors que s’est ouvert le 9 juin dernier un temps d’incertitudes, loin d'être refermé.
Avec ces conseils de lecture, ce n’est donc pas tant un point que trois petits points que nous apposons aux publications d’Entre-Temps, qui reprendront courant septembre, avec toujours au cœur, la diversité des façons de faire l’expérience de l’histoire, de l’écrire et de la transmettre, de la travailler et de la questionner, de la vivre. Prenons des forces, dans les textes, les paroles, les musiques et les images, dans les discussions et les échanges, partout où nous pouvons, partout où nous pourrons.

ENQUÊTE – Jospeh Andras, Kanaky. Sur les traces d’Alphonse Dianou, Actes Sud, 2018.

« Le journaliste examine, l’historien élucide, le militant élabore, le poète empoigne ; reste à l’écrivain de cheminer entre ces quatre frères : il n’a pas la réserve du premier, le recul du second, la force de persuasion du troisième ni l’élan du dernier. »

« Nul ne vit jamais au-dessus de la mêlée : ne pas choisir est un choix, ne pas trancher un geste, ne pas prendre position un parti. Nul jamais n’écrit le cœur sec, scribe sans affects, greffier hors les murs, main propres et conscience claire de l’humanisme : la neutralité est l’autre nom de la collaboration »

Deux citations qui éclairent la force de ce livre sans le résumer. C’est l’histoire d’un homme, Alphonse Dianou, on pourrait dire une biographie mais Joseph Andras réussit le pari de ne jamais détacher l’individu des collectifs qui l’ont nourri et au sein desquels il s’est inscrit. À la croisée des chemins entre sociologie, journalisme, poésie et histoire ces quelques 300 pages tissent le récit des mois d’avril et mai 1988 et de leurs retentissements jusqu’au referendum d’indépendance de 2018 en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Cette enquête résonne, elle fait vibrer d’un son nouveau les échos de ces dernières semaines. Elle remet en mouvement nos pensées et nos projections sur les îles de Grande Terre et d’Ouvéa mais aussi sur les populations qui y vivent. C’est un ouvrage beau et nécessaire qui traite aussi de tensions politiques, de cohabitation et d’élection présidentielle. Décidément un livre à lire pour aguerrir nos esprits en ces temps troublés. 

Louise Gentil

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BANDE DESSINÉE – Noémie Fachan [Maedusa], L’œil de la Gorgone, Leduc Graphic, 2023.

Dans cette bande dessinée aussi belle qu’envoûtante, Noémie Fachan revisite des figures féminines de la mythologie grecque et en propose une nouvelle lecture féministe et inclusive. Elle s’empare des destins bien connus de Méduse, Médée, Pandore, Athéna, Circé ou encore Cassandre pour déconstruire la vision des rapports de genre que les auteurs grecs et latins ont portée jusqu’à nous. Elle donne à ces figures mythologiques des traits de gorgones aux cheveux de serpents. Des femmes fortes et solidaires qui se battent pour défendre leurs libertés et trouver leur place au-delà de celle que la société leur assigne. Ce faisant l’autrice questionne aussi bien la culture du viol que le regret maternel, l’âgisme, la lesbophobie, le consentement ou encore le déterminisme social. À lire à tout âge, au bord de la piscine ou dans le train, soyons toustes des gorgones !

Léa Pouyau

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RÉCIT – Grégoire Kauffmann, L’enlèvement, Flammarion, 2023.

À partir des archives retrouvées du comité de soutien constitué en 1985 par la femme et les amis du journaliste Jean-Paul Kauffmann pour la libération de celui-ci, otage du Hezbollah au Liban, Grégoire Kauffmann livre à quarante années de distance le récit de ce combat et reconstitue l’atmosphère de ces années 1980. Un vrai et beau livre d’histoire subjective, un livre d’amour aussi, hommage à une mère qui jamais ne céda aux injonctions des politiques, un portrait sans complaisance enfin de l’adolescent indiscipliné que l’auteur était alors. Bref, un livre qui sonne juste.

Philippe Artières

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ROMAN – Sinclair Lewis, It Can’t Happen Here. A Novel, Doubleday, Doran & Company, 1935. Traduction française : Impossible Ici, trad. Raymond Queneau, Gallimard, 1937.

En 2016, à la faveur de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis redécouvraient ce roman de Sinclair Lewis. Dans It Can’t Happen Here, l’auteur de Babbitt imaginait en 1935 la victoire, un an plus tard, d’un outsider aux élections présidentielles. Porté par un programme conservateur et populiste, le sénateur Berzelius Windrip, alias Buzz Windrip, obtenait contre Franklin Delano Roosevelt l’investiture du parti démocrate puis remportait les élections et instaurait sur le sol américain une véritable dictature fasciste : restrictions du droit de vote, retour des femmes au foyer, persécution des minorités religieuses et ethniques, des oppositions politiques et de la presse, autodafés et camps de concentration. Sinclair Lewis s’inquiétait d’une possible victoire en 1936 du sénateur de Floride Huey Long, avec le soutien d’autres figures populistes des années 30, tel le célèbre « prêtre de la radio », le père Coughlin, alias l’évêque Prang dans la fiction – une crainte bientôt balayée par l’assassinat de Huey Long et la réélection triomphale de Roosevelt.

On réduit souvent ce type d’uchronies, ou de récits contrefactuels, à de rassurantes bifurcations, à un « et si… » évité de justesse : l’histoire a pris une autre voie, le pire est évité. L’important, toutefois, n’est pas que ces futurs aient été évités : c’est qu’ils aient été possibles, qu’ils aient paru crédibles, qu’on les ait craints ou espérés. En 1935, Sinclair Lewis écrivait l’élection de Buzz Windrip pour éviter qu’elle n’advienne, et son roman montre combien le glissement fasciste qu’il cauchemardait était alors crédible, combien il aurait pu s’inscrire logiquement dans l’histoire américaine de l’entre-deux-guerres. 

À quatre-vingts ans de distance, certains ont voulu voir dans ce roman, détaché de son contexte de production initial, une forme de prémonition : oui, cela pouvait bien arriver ici, et la démocratie américaine n’était pas une garantie suffisante contre la contagion fasciste. Lire It Can’t Happen Here en cet été 2024, c’est s’interroger sur les fils qui le relient aux années 30, plutôt que de céder à la fatalité du télescopage qui semble les rabattre inexorablement sur notre présent.

Clément Fabre

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BANDE DESSINÉE – Raphaël Meyssan, Les damnés de la Commune, 3 t., Delcourt, 2017-2019.

Depuis quelques années, la BD historique a le vent en poupe. Mais Les damnés de la Commune de Raphaël Meyssan, BD en trois tomes publiés entre 2017 et 2019, est une œuvre unique en son genre pour plusieurs raisons. D’abord, son choix graphique est audacieux : toutes les illustrations sont issues de gravures du xixe siècle, ce qui nous plonge d’emblée dans l’univers visuel de l’époque. Ensuite, le récit proposé par l’auteur est un véritable travail de recherche centré sur deux personnages, Lavalette, le communard qui a vécu dans le même immeuble que l’auteur, et Victorine, qui s’engage à cœur perdu dans le mouvement révolutionnaire. Issus d’une longue quête menée dans les archives, les portraits de Victorine et de Lavalette sont criants de vérité et nous font vivre la Commune à hauteur d’homme et de femme. L’œuvre a été brillamment adaptée par Arte à travers un documentaire très réussi, unanimement salué par la critique et porté par la narration de Yolande Moreau, bouleversante de justesse. 

Lucie Moruzzis

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RÉCIT – Anthony Passeron, Les enfants endormis, Les éditions du Globe, 2022 [Le livre de poche, 2024].

La lecture de ce récit est une accommodation, au sens de la mise au point d’un regard porté sur l’histoire. Ce processus qui permet de rendre la vision distincte, à des distances différentes. Les enfants endormis superpose ainsi l’histoire d’une famille – celle qui relie le narrateur à son oncle mort du sida dans les années 1980 – à celle des actives recherches de traitements et d’un vaccin contre la maladie entre la France et les États-Unis. Ce faisant, l’auteur réaligne le tempo de la recherche sur celui des battements du cœur. Celui des hommes et des femmes qui meurent, et celui de celles et ceux qui les accompagnent et douloureusement leur survivent.

Élisabeth Schmit

Publié le 3 juillet 2024
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