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La vie tourmentée de l'espion Peter K : un journal intime (2)

Entre-Temps propose cette année un jeu d'écriture biographique participative. Comme point de départ, un document d'archives anonyme retraçant, sous la forme d'une brochure, le parcours de Peter K, espion entre la RDA et la France dans les années 1950-1960. Le but du jeu : constituer sur ce personnage énigmatique un dossier documentaire, un carton d’archives dont seule la première pièce – la brochure – sera authentique. Cette semaine, la classe de seconde 212 du lycée Maurice Utrillo de Stains, encadrée par Aurélien Cunat, révèle la suite du journal intime et crypté de Peter, déclassifié la semaine dernière sur Entre-Temps.

01/06/1966

Division Contre-Espionnage intérieur (DST-Ministère de l’Intérieur). Bureau 234B. AGENTS R. ET D.

Objet : Annexe de rapport – retranscription sur papier imprimé

Retranscription du journal personnel de Peter Kranick.

Au lendemain de son arrestation, l’annexe 212 note la présence dans la doublure de la veste du dénommé KRANICK Peter d’un carnet rouge, de dimension moyenne, couverture de cuir, papier ordinaire (grammage X). Le contenu dudit carnet est retranscrit ici par le Service de reproduction pour les années 1965-1966. Constatons l’absence d’une dizaine de feuillets, déchirés ou soigneusement découpés, certaines pages sont raturées ou recouvertes d’encre (type encre de chine à déterminer après étude des composants). Le carnet a été transmis au service du chiffre pour cryptanalyse.
Cette retranscription a aidé les spécialistes à établir le profil psychologique de Peter Kranick.
Une question se pose néanmoins : pourquoi conserver sur lui un document qui l’incrimine personnellement ? Pourquoi enfin avoir rédigé ce document en français ?

Lire la première partie du journal intime sur Entre-Temps.

14 Juillet 1965

Un moment s’est écoulé depuis la dernière fois que j’ai écrit et pourtant c’était hier. Cette loi pour les femmes finalement elle m’a rendu… Mon fameux hobby pour les poissons, je ne sais plus qui j’aime, ce que j’aime, mes habitu… je n’en dis pas plus. Des frissons m’envahissent, l’homme que je suis ou que j’étais, aimant les aquariums et leurs habitants ou… tout devient de plus ……en plus confus mais penser ma vision. QUI JE SUIS ? Un esp[l’entrée du 14 juillet 1965 s’arrête ici]

19 Août 1965

Nous sommes jeudi, Renée et moi nous avons pour habitude d’aller nous promener. Nous sortons, tout se passe bien jusqu’à ce qu’une voiture nous loupe de justesse. Nous rentrons et nous dînons, cette fois-ci c’est moi qui prépare le dîner, je ne me prends pas la tête avec une purée et un bon gros steak. Renée ne fait pas attention à moi, je lui parle mais elle ne me répond pas. Alors je me suis demandé : mon repas est-il si mauvais ? Je m’aperçois que non, car elle a un gros appétit, elle termine son assiette avant moi, pourtant elle était très copieuse (l’assiette!). Elle part se coucher sans me parler, je ne comprends pas, vraiment pas.

3 Octobre 1965

Aujourd’hui je suis sorti faire les courses, il manquait des ingrédients pour la recette de gâteau de Renée.
Après j’ai vu qu’il y avait un film assez intéressant au cinéma alors j’ai acheté un ticket et comme il me restait 1 heure et demie avant le début du film, je suis rentré chez moi déposer les courses.
Le film commençait à 17h30 et finissait a 19h00.
J’ai beaucoup aimé le film, je ne me souviens plus du titre, une histoire de labyrinthe.
Je me suis fait réchauffer des restes pour manger en regardant les informations après je me suis brossé les dents, j’ai pris ma douche j’ai regardé la télévision pour m’endormir vers 23h.
J’ai beaucoup aimé cette journée.

21 Octobre 1965

Aujourd’hui est un jour spécial, ce soir, je fête mon 35éme anniversaire avec ma femme et mes amis. Pour cette occasion, j’ai pris mon jour de repos afin de préparer le festin de ce soir. Je me prépare pour aller faire les courses car j’ai décidé de tester une recette trouvée dans un magazine. Après de multiples courses, je me suis dirigé vers mon dernier achat : la viande. En sortant de chez le boucher, j’aperçois un officier de police se diriger vers moi en criant et agitant les bras, je n’arrivais plus à bouger, j’avais la sueur au front, j’étais persuadé que c’était la fin je l’attendais debout au milieu du trottoir, les yeux vides comme si mon âme m’avait quitté et puis tout à coup il frôlât mon épaule : j’ai lâché un petit soupir. Après avoir repris mes esprits, j’ai compris qu’il ne s’adressait pas à moi. Encore bouleversé de ce qui venait de m’arriver je me suis vite précipité chez moi. Arrivé, j’ai pris un verre d’eau et je me suis assoupi.

À mon réveil j’avais déjà oublié ce qui m’était arrivé cette matinée. Je suis allé voir la boite aux lettres que je n’ai pas pu voir ce matin, j’ai reçu plusieurs messages codés me souhaitant un joyeux anniversaire venant de mes supérieurs. Puis, j’ai commencé à préparer le dîner. Les heures passaient sans m’en rendre compte jusqu’à que ma femme sonne à la porte. Elle était heureuse de me voir mais épuisée du boulot, elle partit vite se préparer car les invités allaient bientôt arriver.

Le soir tombe et les premiers invités commencent à arriver, tous portant un cadeau à la main. On les a installés dans le salon pour l’apéritif. Quand tout le monde est arrivé, nous les dirigeons vers la salle à manger pour passer à table. Durant le dîner, mes pensées étaient ailleurs, je rigolais sans savoir pourquoi. Je me disais que j’étais en face de personnes qui ne savent même pas que je les trahis indirectement. J’en venais même à me demander si eux aussi étaient de faux amis comme cette fausse identité. Finalement, moi qui attendais tant cette journée, j’en ressors avec un goût amer en me posant une question : « Suis-je moi ? »

02 Novembre 1965

Absence ou présence, peu importe. J’ai oublié s’il fallait croire à mes raisons d’agir. Juste agir, continuer sans se poser de questions. Renée n’a plus le même regard qu’avant, elle m’évite. [les lignes suivantes sont raturées et la feuille est découpée sur huit centimètres]

26 novembre 1965

Il est 8h05

Aujourd’hui ce n’est pas une journée comme les autres car la France lance son premier satellite appelé Asterix A1, à l’aide de la fusée Diamand .
Depuis le lancement tout le monde est content et fête ça, depuis j’ai pu envoyer plusieurs documents ultra secrets du quartier Napoléon, grâce à mon appareil micro-film et avec une serviette, destinée au transport de document, la doublure peut s’ouvrir par un système de fermeture éclair caché sous la couture .
J’ai pu envoyer des fichiers, ces fichiers comportaient les noms des personnes qui travaillent à l’O.T.A.N .
Grâce à ma femme j’ai pu fournir plus de documents que prévu.

Lundi 27 décembre 1965

Renée et moi, nous recevons lorsque nous sommes au salon un appel venant d’Allemagne, je décroche et une voix robotique nous répète exactement 3 fois ce qui pour moi ressemble à une liste de codes.
Trouvant cela louche, je demande à Renée de prendre note des informations. Tout d’abord une suite de chiffre :
15.18.5.19.8.4.5.13.20.12.14.18.20
Puis du morse :
._ _ _ _ _ _ . . . 7 _ _ _ _ _ . . . _ _

Puis il raccroche en disant, je cite, « Fin d’information transmise »
Nous avons pu traduire le code morse qui nous dit 17h00 nous supposons que le 7 signifie « h », pour représenter un horaire mais ne sachant pas ce que la suite de chiffres pouvait signifier, nous appelons notre supérieur pour l’informer de la situation car nous avons jamais utilisé ce langage.
Celui-ci répond et raccroche d’un coup sec sans dire un mot.
Nous sommes étonnés et essayons de le recontacter mais en vain, même avec notre numéro d’urgence, aurait-il compris la signification ? Mais si oui pourquoi ne pas nous le dire ? Serait-il tellement important que même notre grade est insuffisant ?

Après autant de questions sans réponse nous décidons de nous coucher.

1er Janvier 1966

Me revoilà après plusieurs jours sans écrire. Je me suis lassé d’écrire je pense, bref aujourd’hui c’est le premier jour de cette année et comme d’habitude avec ma femme on remercie Dieu d’être encore en vie, d’avoir la santé et tout le tralala. Il est encore tôt. Aux informations, on a appris la mort d’un ancien président, Vincent auréole si je ne me trompe pas. Euh , non … Auriol , enfin bref , ça ne me fait rien, je ne l’ai jamais aimé de toute façon. Rien de spécial à raconter comme toujours, à part que cette semaine et la semaine prochaine je compte me reposer!

Sur les coups de midi, notre supérieur nous recontacte enfin, et nous il exige que, sous aucun prétexte, nous n’informions qui que ce soit de la situation. Et nous devons rester chez nous, et comprendrons plus tard dans la soirée.

17h00 :
Toutes les informations parlent de la mort de l’ancien Président de la République, Vincent Auriol, qui apparemment s’était fait énormément d’ennemis au fil du temps. Le message aurait-il été une mise en garde par rapport à l’assassinat ?

4 janvier 1966

Voyage à Lyon pour récupérer du matériel. Je me baladais dans la rue comme toujours en espérant ne pas me faire remarquer.
Jusque-là tout allait bien mais en même pas deux secondes j’entends un bruit énorme puis en regardant le ciel je vois une fumée énorme je voulais voir ce qui s’était passé.
Sur le chemin il y a eu une énorme onde de choc qui a fait beaucoup de dégâts.
Sur le coup j’ai eu beaucoup de chance mais je ne sais pas comment. J’ai eu vraiment très peur je me suis demandé si j’étais mort, tellement c’était violent.
Je me suis rendu sur le lieu principal de l’accident.
Il y avait 18 morts, c’était à la raffinerie de pétrole de Feyzin.
Il y avait un trou énorme, j’ai paniqué alors je suis renté rapidement parce que incident veut dire police et heureusement je suis rentré parce que l’enquête commençait.

5 Janvier 1966

Je n’ai pas changé je suis toujours… enfin bon ce n’est pas important…
Je n’ai pas écrit ce texte pour me débarrasser de mes soucis parce que je n’en ai pas.
Je suis débarrassé de tous mes soucis, je mourrai libre.

24 janvier 1966

12h34

Une journée comme les autres, rien ne change depuis que je suis arrivé à Paris. Même la caissière de l’épicerie n’a pas changé, depuis ma venue.
Même si j’aime cette vie car je suis bien payé, même si je fais des choses pas très bien dans ma vie, je suis obligé car j’ai besoin de manger, ici c’est la survie, pas l’amour.
Grâce à l’argent gagné dans les deux métiers, j’ai pu m’acheter une maison et la voiture de rêve et la plus chère voiture du moment la Mercedes 600 Pullman. Je suis si fier de l’avoir achetée car la vie humaine n’a lieu qu’une seule fois et nous ne pourrons jamais vérifier quelle était la bonne et quelle était la mauvaise décision parce que, dans toute les situations nous ne pouvons décider qu’une seule fois alors il faut choisir la bonne solution. Mais je m’embrouille je le vois bien…
Et si nous n’avons qu’une seule vie, pourquoi ne pas la vivre pleinement sans soucis du lendemain et non vivre dans la peur jusqu’à la mort ?
Avant ma mort je veux bâtir mon empire, pour mes futurs enfants, mes petits-fils, ma famille car je n’ai pas envie que ma famille soit dans la misère après ma mort.

31 Janvier 1966

Luna 9 a été créé par l’U.R.S.S. C’était un rêve pour moi, un rêve devenu réalité !

07 Mars 1966

Il est 7h30.
Une journée comme les autres, à force de faire ce métier je ne sais plus qui je suis, à force de tromper tout le monde je me trompe moi-même.
Vivre avec une fausse identité… je me rappelle plus de mon passé.

19h39
On vient d’annoncer que le général de Gaulle ordonne le retrait de la France de la structure militaire de l’OTAN alors est-ce que maintenant je pourrais reprendre ma vie normale au lieu de vivre avec une fausse identité, vivre sans mentir, je l’espère mais est-ce qu’ils seront d’accord que j’arrête ce travail d’espion, je l’espère.

8 Mars 1966

Ce lundi, à 08h pile, je me réveille. Ma femme me prépare mon petit-déjeuner. Mais pourquoi le boulanger n’a-t-il plus de pain au chocolat ? Enfin bref, je dois me concentrer sur ma mission. 10h. Je suis remonté à bloc.

11h. J’allume ma télévision avant de partir. Pourquoi il ne m’arrive que du malheur ? Longue conversation avec le Quartier général sur le retrait de la France de l’OTAN. Je dois demander à ma femme si Boker va l’intégrer dans l’OTAN en tant que secrétaire.
13h. J’ai passé la journée à rester à la maison. J’ai bien mangé. La soupe de potiron était vraiment délicieuse et j’ai pu avoir un gâteau au chocolat formidable. J’ai vraiment de la chance d’avoir une femme comme ça.
15h. Je dois sortir pour aller au QG. Il fait froid. Mon manteau est plein de saletés et je n’ai pas le temps d’aller le laver. Je vais aller m’en acheter un.
17h. Je suis si triste. Mon plan d’intégrer le programme militaire de l’OTAN est définitivement enterré avec le retrait militaire de la France.
18h. Ma femme prépare à manger. Je l’entends dire que je dois l’aider. Elle ne mérite pas que je fasse l’espion et risquer ma vie ou ma liberté. Je devrais peut-être partir pour de nouveaux horizons. Arrêter l’espionnage et aller dans un autre pays serait un bon moyen de vivre une vie tranquille. Qu’est-ce que je raconte ? Je dois accomplir ma mission. Je ne peux pas laisser tomber tout ça.
20h. Ma femme est vraiment une bonne cuisinière. Son steak-frites était vraiment bon. Avec son jus d’orange fait maison qui sublime le plat, elle a vraiment du talent.
23h. Je viens d’envoyer le rapport sur l’échec de la mission par intervention extérieure. Je vais aller dormir pour attaquer ma nouvelle journée.

9 mars 1966

08h. Je vais passer une meilleure journée qu’hier. Ma femme s’est levée tôt pour m’apporter mon pain au chocolat. Elle a dû avoir le courage de se lever de si bonne heure. Aujourd’hui, je dois poster une lettre pour les impôts. Heureusement, personne n’est dans la rue. Je suis si angoissé. Je dois impérativement poster cette lettre pour que le gouvernement ne me trouve pas suspect. 18h. Ma femme m’a fait à manger et on a Boker comme invité. Il faut être sérieux et avoir du sang-froid. 21h. Je m’endors préoccupé par le sentiment indécis de Boker. Je dois me calmer pour l’opération de demain.

Mercredi 5 mai 1966

Un an jour pour jour je suis reparti à cette fameuse boulangerie, que j’évitais, pour acheter une baguette, des journaux que je n’avais plus lus depuis un bon moment. Je sors de chez moi avec une boule au ventre, qu’il m’arrive quelque chose d’inattendu. Je sors avec un bonnet afin que personne ne me reconnaisse. Je suis contrôlé par la police, qui me réclame mes papiers et me demande de retirer mon bonnet pour s’assurer qu’il s’agit bien de moi… cela n’a duré qu’une minute : heureusement j’ai réussi à garder mon calme mais je me suis senti très mal en rentrant.

8 Mai 1966

Quelle belle journée. Ma femme et moi avons passons du bon temps sur cette terrasse parisienne. J’avais l’habitude de prendre cette bonne tasse de café là d’où je viens. C’est ma journée de repos après trois mois d’efforts très longs, nous en profitons, c’est un peu mon seul jour de congé.

23 Mai 1966

Il y avait une affiche sur notre porte. Renée a failli s’évanouir, j’ai eu du mal à la pousser à l’intérieur sans que les voisins nous voient. Je devrais la jeter, mais à quoi bon, s’ils savent, s’ils sont tout près, à quoi ça sert de faire encore attention. Je sais de qui il s’agit. Il n’y a qu’une personne qui utiliserait de vieilles runes celtiques pour me faire passer ce message…

[la dite affiche est glissée entre les deux pages suivantes. Nous la reproduisons ci-après d’après photographie :

24 Mai 1966

La vérité se baladait dans ce froid inhabituel, la fin est proche.
Je n’ai pas fait les bons choix.
Adieu.

25 mai 1966

Je suis suivi, je le sais, j’en suis sûr. Je les vois, les gens me prennent pour un fou et même ma femme ne me fait plus confiance. Elle me pense fou. Mais elle est allée droit dans le piège, elle est partie sortir les poubelles mais elle ne va pas revenir, je le sais, ça fait cinq heures qu’il y a la même voiture, celle qui me suit, une cylindrée rouge avec un cheval pour Logo, une Ford Mustang, c’est peut-être des Américains, ce n’est qu’une question de temps, ils veulent mes secrets mais ils ne sauront rien, je me battrai je mourrai en me sacrifiant pour ma partie, la grande Allemagne [Le reste est illisible]

Depuis le mois de décembre, la revue Entre-Temps publie une nouvelle pièce toutes les deux semaines. Lectrices et lecteurs sont invité•es à participer tout en s’engageant à prendre en compte les informations contenues dans les pièces déjà produites, ainsi que dans la brochure. Envoyez vos propositions à la rédaction : entretemps.editorial@gmail.com.

Publié le 13 avril 2021
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