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Trois scènes de la Commune : entretien avec les autrices et auteurs

Cette année, les élèves d'une classe de première du Lycée Condorcet de Saint-Maur-des-Fossés ont participé, dans le cadre d'un partenariat avec le Théâtre de la Colline, à un atelier d'écriture sur la Commune. Encadrés par leur enseignant Cédric Maurin et l'auteur dramatique Mario Batista, ils ont inventé des situations, des personnages, des dialogues, pour donner vie à une série de scènes de la Commune. Le mois dernier, Entre-Temps publiait trois d'entre-elles : cette semaine, les élèves ayant participé au projet reviennent sur son déroulement et sur cette expérience inédite d’écriture de l’histoire.

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Une batterie de mitrailleuses place Taranne (dessin de M. Sahib)

Avec Emma K. (Scène 1 : un accident de calèche) ; Hugo D. et Lenny F. (Scène 2 : la prise de l’hôtel de ville) ; Nina M. et Romane G. (Scène 3 : une cour d’immeuble). Retrouvez tous les textes ici.

Entre-Temps : Commençons par discuter du début du projet. Que saviez-vous sur la Commune avant de commencer à travailler dessus cette année, dans le cadre de cet atelier ?

Lenny : Personnellement je ne m’y connaissais pas trop, on ne l’avait pas encore vu en classe, à part quelques dates, je ne savais presque rien, je ne savais pas qui ça concernait et pour quelle cause… donc je me suis d’abord informé en général sur la Commune, sur youtube et avec les liens que le professeur nous avait donnés.

Romane : Je n’avais pas non plus vraiment entendu parler de la Commune, donc on a tous essayé de faire quelques recherches pour faciliter le travail.

Hugo : Moi j’en avais déjà entendu parler, je savais où ça se passait, mais pas beaucoup plus…

ET : Votre professeur vous a donc communiqué un certain nombre de documents à lire, regarder, écouter… quelles ressources vous ont paru les plus accessibles, les plus utiles ou les plus marquantes ?

Nina : Le prof nous avait envoyé beaucoup de podcasts, des interviews, avec des historiens qui répondaient à des questions sur la Commune. De mon côté c’est ce qui m’a le plus aidée pour comprendre le fil de cette histoire. J’ai bien aimé ce format.

Romane : Moi j’ai regardé Les Damnés de la Commune, et ça m’a plus aidée parce qu’on avait à la fois l’histoire mais aussi le ressenti particulier des personnages.

Lenny : De mon côté j’ai surtout regardé des vidéos sur youtube, même si ce n’était pas vraiment assez complet car ça ne m’a pas donné une vraie vision sur la manière dont les choses se passaient à l’époque. Là c’était une vision très moderne, très contemporaine des choses. Mais ça m’a bien aidé à me situer disons sur les événements de manière générale.

Hugo : Moi j’ai aussi beaucoup apprécié les podcasts, davantage que les vidéos. Les podcasts m’ont mieux aidé à comprendre comment les gens vivaient pendant la Commune, ce qu’il se passait.

Emma : J’ai utilisé pas mal de ressources différentes, pour avoir une idée sur la Commune en général mais aussi pour cibler des informations plus précises sur le moment sur lequel mon groupe allait travailler. J’ai consulté plusieurs sites, et j’ai aussi regardé Les Damnés de la Commune sur arte que j’ai vraiment bien aimé.

ET : Vous êtes donc arrivés armés de ces ressources pour le lancement de l’atelier d’écriture, qui a duré deux jours. Quelles sont les consignes qui vous ont été données ? Comment avez-vous commencé à travailler ? Avez-vous vous-même constitué vos groupes de travail ?

Lenny : Oui, nous avons fait les groupes entre nous.

Romane : Mr Maurin nous avait donné des thèmes, des moments qui correspondaient aux différentes étapes de la Commune et qu’on s’est répartis entre nous pour le mettre en scène. Nous on devait travailler sur les massacres commis par les Versaillais.

Lenny : Nous on a travaillé sur la prise de l’Hôtel de Ville. On devait travailler surtout sur les personnages, en essayant de donner un avis politique à chacun et de construire un dialogue à partir de là.

Hugo : Oui, dans le groupe on a pris en charge un personnage par personne. On devait essayer de décrire et de donner une personnalité à ce personnage, avant de tout mettre en commun et de les faire dialoguer.

Romane : Oui, nous aussi on a fonctionné comme ça. On a choisi un personnage dont on a retracé l’histoire, le parcours, on lui a donné des convictions politiques, un rang social particulier…

Emma : Nous on devait travailler sur les prémices de la Commune, et on a fonctionné de la même manière.

ET : Vous avez donc créé vos personnages avant d’écrire le dialogue ? Qu’est ce qui a été le plus difficile pour vous : d’imaginer ces personnages, de les confronter entre eux ?

Nina : On a commencé par créer chacun un personnage mais on a aussi, chacun de son côté, commencé à écrire des répliques qu’on a ensuite mises en commun. Le plus dur était de trouver un fil directeur, un fil d’une histoire cohérente qui allait pouvoir donner du sens à l’ensemble des répliques. Le plus dur c’était finalement d’inventer une histoire.

Romane : On voulait mettre en scène un enfant pour mieux montrer la cruauté des massacres. On avait cette idée d’un enfant, et puis l’idée d’un dilemme aussi : on a donc imaginé la situation d’un crieur qui se retrouve coincé, poursuivi par les Versaillais, et que des passants hésitent à sauver.

ET : À la fin de la scène, le crieur n’est pas sauvé mais livré aux soldats. Donner cette issue dramatique à cette scène a fait débat entre vous ?

Nina : Oui, on a pensé un moment à le sauver, mais on s’est dit que ce serait plus marquant, plus réaliste aussi de ne pas le sauver. Que ça se termine mal.

Lenny : Ce qui était compliqué pour nous, c’était de poser les idées politique. On avait un personnage étranger donc il fallait savoir aussi comment se passaient les choses chez lui. Et puis il y avait plein de petits détails à vérifier, pour ne pas faire d’anachronismes…

Hugo : Mon personnage était celui de l’étudiant étranger. Le plus dur ça a été de différencier les idées politiques des personnages, ceux qui étaient Communards, ceux qui étaient ouvriers… et on voulait en plus les mettre d’accord à la fin. Donc c’était difficile.

Lenny : Tout le monde a des idées contraires au début, mais on avait l’idée de mettre tout le monde d’accord à la fin. C’est pour faciliter ça qu’on a placé la scène dans un bar. À la fin, on ne sait pas vraiment comment ça arrive, mais ils se mettent d’accord. On voulait avoir un nœud et le dénouer à la fin.

Emma : Dans notre groupe on a tout écrit de A à Z ensemble, toutes les répliques. Le plus compliqué c’était de se mettre d’accord sur ce qui allait se passer et ensuite de faire en sorte que ça aille quelque part… Dans notre scène un groupe de personnes se met à débattre mais il faut que ce soit plausible. Il fallait une situation qui provoque cette situation de débat, une situation plausible. Et ensuite il ne fallait pas perdre cette situation initiale de vue dans le débat…

ET : Vous aviez donc un certain nombre de contraintes de départ : donner plusieurs points de vue, créer un personnage étranger… Avez-vous eu l’impression de travailler de manière autonome ensuite ? Ces contraintes étaient-elles pesantes ?

Emma : Le prof et l’intervenant passaient régulièrement nous voir pour savoir où on en était et nous donner des conseils mais on a pu travailler de manière très autonome, on a tout écrit nous-même.

Romane : Il y avait des interventions pour recadrer les choses parfois sur le plan historique et aussi littéraire. Ce n’était pas toujours facile de tout concilier mais finalement on a plutôt bien réussi.

ET : Vous avez eu l’impression de faire et d’écrire de l’histoire pendant ce projet ?

Romane : Oui, complètement, déjà parce qu’on avait fait plein de recherches, et aussi parce qu’on a appris plein de choses sur la Commune. Mais c’était une façon de faire de l’histoire plus amusante que d’habitude : on a appris les faits historiques plus précisément parce que c’était très précis notre scène mais après, avec toutes les scènes des autres, on a du coup appris beaucoup de choses sur la Commune en général.

Lenny : Ce qui était intéressant c’est qu’on n’avait pas non plus besoin d’énormément de connaissances pour écrire notre scène parce qu’on parlait aussi des choses de la vie et on pouvait mener cette scène où on voulait. On a appris d’une autre manière que d’habitude, plus personnelle et c’était bien de faire comme ça.

Hugo : Moi ça m’a permis de découvrir une nouvelle façon de faire l’histoire, une meilleure façon selon moi. On a pu découvrir que la Commune était en plusieurs parties, on a distingué comme ça précisément des étapes. J’ai vraiment aimé.

Emma : Moi aussi j’ai vraiment aimé cette manière de travailler. On était comme en immersion, alors qu’en cours d’habitude on reste plutôt à la surface des événements, parce que le programme est chargé et long, et qu’on doit avancer vite… Mais en même temps il fallait être assez rigoureux parce que du point de vue historique il fallait faire attention aux anachronismes et aussi au déroulement des événements.

ET : C’était une écriture collective assez intense. Avez-vous été surpris des résultats auxquels vous étiez tous parvenus ?

Romane : On a joué toutes les scènes à la fin en classe, on s’est aperçus à ce moment-là qu’il y avait encore un peu de travail, mais en deux jours on a trouvé que le rendu était quand même très bien. Tout était compréhensible, tout était bien.

Lenny : Oui en deux jours avec des bases pas très solides on a fait quelque chose qui était bien sur le plan historique et théâtral et je ne pensais pas qu’on arriverait à quelque chose d’aussi abouti. J’étais surpris et content du rendu final.

Hugo : Moi aussi, surtout que j’avais l’impression au début qu’on ne savait pas vraiment où on allait, ce que ça allait donner… mais finalement tout était assez bien développé et avait du sens.

ET : En temps normal, le partenariat avec la Colline prévoit que vous puissiez assister à des représentations théâtrales, mais aussi un moment de présentation du résultat de votre travail, au théâtre. C’était impossible cette année en raison du contexte, mais avez-vous imaginé des suites pour votre projet ? Auriez-vous aimé le jouer, ou le prolonger d’une autre manière ?

Nina : Oui, moi j’aimerais en faire une vraie scène de théâtre, une mise en scène avec des costumes, et la jouer vraiment !

Hugo, Lenny et Emma : Oui, ce serait bien d’incarner nos personnages. On pourrait aussi imaginer un podcast, ça pourrait marcher.

ET : Cet atelier était l’expérimentation d’une manière de faire de l’histoire qui visiblement vous a plu. Vous pourriez imaginer de reproduire cette expérience, mais pour d’autres périodes ou événements historiques ?  

Romane : Oui, ça peut marcher sur d’autres périodes assez courtes. La Commune c’est un événement précis, dense mais court. Ça ne pourrait pas marcher sur une période très longue, mais sur des événements, sur les guerres par exemple. Moi j’aimerais bien le faire sur la première guerre mondiale.

Lenny : Sur une guerre ça peut être intéressant, avec plusieurs séquences qu’on pourrait distinguer…

Hugo : Moi j’aimerais bien travailler comme ça sur la bataille de la Marne, c’est une bataille essentielle et qui m’intéresse. J’aimerais travailler autrement dessus.

Emma : Oui, ce serait intéressant sur des événements ponctuels, mais il faudrait que ce soit représentatif d’une période, par exemple une prise de pouvoir, une affaire ou un scandale particulier.

ET : On sait que la Commune a été aussi un moment d’intense débat dans l’espace public, débat que vous mettez en scène dans vos scènes respectives. Est-ce qu’au moment d’écrire les dialogues vous avez eu le sentiment que cela faisait écho avec vos propres manières de débattre ou avec le débat dans notre espace public contemporain ?

Nina : On s’est un peu inspirés aussi des débats politiques de nos jours. On essayait surtout de montrer les différences entre les points de vue, en les faisant rebondir chacun après chaque réplique.

Lenny : De notre côté, dans notre scène c’est l’homme politique qui menait un peu le débat. On a construit le dialogue comme ça, en s’inspirant aussi des débats de nos jours, des hommes politiques notamment.

Hugo : Oui, l’homme politique mène le débat en vue des élections municipales.

Emma : Dans notre groupe on s’est aussi inspirés de nos propres idées politiques, ce qui a fait qu’on a débattu entre nous justement pendant l’écriture, pour écrire la scène. On a parlé de nos idées de la vie politique actuelle, des clichés aussi qu’on avait sur certains bords politiques…

ET : On a parlé de la question des anachronismes, des connaissances historiques nécessaires pour faire ce travail d’écriture mais aussi de ce que vous y avez insufflé de très actuel. Au fond, qu’est ce qui aurait été différent dans l’écriture de ces scènes si elles se passaient dans le monde d’aujourd’hui ?

Romane : Si la scène se passait aujourd’hui la fin de notre scène aurait été différente, et les gens n’auraient sûrement pas livré le crieur aux soldats. Il y a beaucoup de débat politique aujourd’hui mais c’est moins sanglant, enfin ça peut l’être mais c’est quand même plus apaisé que pendant la Commune… et puis il n’y a plus la peine de mort pour les idées politiques aujourd’hui, en France.

Lenny : Notre scène dans le bar était très actuelle, elle aurait pu se passer aujourd’hui, un débat autour de quelques verres. On aurait pu écrire une scène de nos jours.

Hugo : Oui, sauf peut-être sur une chose : aujourd’hui des personnes aussi différentes, de milieux aussi différents, ne se retrouveraient peut-être pas comme ça dans le même bar… Je ne pense pas qu’ils auraient donc pu avoir cette conversation.

ET : La période choisie était donc propice à ça, à la rencontre et au débat. Même si le consensus final que vous avez choisi de mettre en scène n’était sans doute par l’option la plus réaliste !

Publié le 6 juillet 2021
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