La parcelle de Blois. Hésitations judiciaires, décembre 1588 et après
Une parcelle dans Blois, au 8-10 rue des Juifs. Point de départ d'un jeu d'écriture collective de l'histoire et des possibles urbains, lancé par Entre-Temps aux Rendez-vous de l'histoire 2024. Une exploration des nœuds d'attache entre la réflexion historienne et l'imaginaire. À quoi ressemblait ce lieu, qu'aurait-il pu s'y passer... en décembre 1588 ? Les archives (fictives) de la justice royale tentent de démêler une drôle d'affaire survenue pendant la tenue des États généraux, dans la nuit qui précède l'assassinat du duc de Guise.
Avertissement. Les archives potentielles ci-dessous sont des fictions écrites par l’auteur (cf. les règles du jeu et ce qui entoure ce jeu). Elles sont illustrées visuellement par des documents, eux, réels. Ces archives ont été lues par Aurélien Peter à Blois en octobre 2024 dans le cadre de la performance organisée par Entre-Temps aux Rendez-vous de l’histoire consacrés à La Ville.
Information criminelle au bailliage de Blois, décembre 1588.
[Folio 1, recto]
Information faicte par moy, Raoul Chéry, sergent royal au bailliage de Bloys, à la requeste de honneste homme Guy Hurault, marchand d’Orléans député aulx Estatz & demeurans à présent rue de la Juiverie ; et à la requeste de Jehan Toupet, domesticque dudict Guy Hurault ; et en vertu d’une commission émanée de Monsieur le lieutenant juge & magistrat criminel des bailliage & gouvernement de Bloys, en datte du 23e jour de décembre, l’an mil cinq cens quatre-vingt & huict.
Pour raison des forces, violences & excedz, affirmés par les requérans avoir esté commis à l’encontre dudict Toupet la nuit d’entre le jeudi 22e & le vendredi 23e du présent mois de décembre & an mil cinq cens quatre-vingt & huict, en la maison de noble homme Me Philippe Cassart, notaire & secrétaire du roi, demeurans rue de la Juiverie, où lesdictz requérans logent à présent.
Pour laquelle information faire, ay appelé avec moy Me Texier, notaire royal au conté & baillage de Bloys ; et avons par nous vacqué et proceddé à icelle information faire ainsy en la forme & manière qui s’ensuit :
Premièrement
Le lundi 26e jour de décembre l’an mil cinq cens quatre vingt & huict
Nous sommes transportés en passant par l’église sainct Honoré jusques à la rue de la Juiverie, non sans peine & sans détour, pour ce que les grandz degrez & la rue de la pierre de Bloys ne sont practicables à cause force neige & glace en leurs descentes ; et pour ce qu’il y a foule & tumultes au marché depuis que s’est répandu le bruict de la mort de Monsieur le duc de Guyse.
Estant en la maison dudict noble homme Me Philippe Cassart, en laquelle logent lesdictz Hurault & Toupet. Ledict Jehan Toupet mandé, s’est présenté au petit cabinet chauffé du clerc de Me Cassart, au dessus la grand-salle. Le serment dudict Toupet à luy prins au cas requis & accoustumé, a juré & affirmé dire vérité.
[Folio 1, verso]
A dict se nommer Jehan Toupet dict La Fluste, demeurant d’ordinaire à Orléans. Ne sçait son aage. Est au service dudict honneste homme Guy Hurault depuis environ 15 ans.
Interrogé qui a commis contre lui forces, violences & excedz dans la nuit d’entre le 22e et 23e du présent mois.
A dict & depposé qu’on luy veult mal, et qu’on veult mal à son maistre, qui est député aulx Estatz. Que son maistre est bon catholicque ; et que sont nombre manans & habitans de la ville qui blasphèment le nom de Dieu & leur veulent du tort.
Interrogé sur ce qui s’est passé ladicte nuit.
A dict & depposé que le 22e jour d’icelluy mois, ledict Guy Hurault son maistre s’en est revenu de la salle des Estatz au chasteau pour souper avec Me Philippe Cassart en la grand-salle de la maison d’icelluy. A dict & depposé ledit Toupet s’estre retiré après souper dans le logis de costé, où sont les domesticques. Et que sur les 4 à 5 heures du matin, s’estant levé pour attiser le feu en la chambre dudict Hurault, & estant en la gallerie près la grand-salle, il aperceu un homme qui sortait de ladicte grand-salle, avec une bougye & un grès à la main. Et qu’icelluy l’a exceddé d’un coup de grès, qui a esté rompu. Et qu’ils ont roullé du hault des degrez jusques à la cuisine, près la descente du cellier ; et que ledict homme le voulut ici estrangler et l’a laissé pour mort.
Enquis comment l’homme a pu entrer ou sortir, n’y ayant aucunes portes ouvertes, ny fenestres.
A dict & depposé que les huys de la grand-salle ouvrans sur le balcon sont fort abismés. Et qu’il fault qu’il y ait eu manans qui le saichent et fassent courir le bruit. A dict de rechief qu’on luy veult du mal & que sont héréticques qui sont contre luy & tous les bons catholicques depuis que Monsieur le duc de Guise & son frère ont esté trouvez homicidez.
Secondement
Ledict jour de relevé
Estant tousjours audict cabinet chauffé du clerc dudict Me Cassart, avons mandé & faict monter de la cuisine Guillaume Piquart. Après serment par luy faict de dire vérité, a dict ledict Piquart estre cuisinier dudict noble homme Me Philippe Cassart, & aagé de 37 ans ou environ.
Interrogé sur ce qu’il a vu & entendu.
A dict et depposé qu’il loge en ce moment en une petite chambre non loin des cuisines pour ce qu’il y faict moins froid ; et que sur les 2 ou 3 heures du matin, a entendu bruits de pas dans la rue de la Juiverie. Et qu’il n’a pas esté réveillé dans les heures ensuivantes, ayant dormi d’un bon sommeil. A dict et depposé qu’il a entendu quelques estrangietés sur les 5 ou 6 heures, en provenance du cellier d’en bas. Et qu’après qu’il a mis ses chausses, a prins une chandelle, a descendu les degrez de la cuisine au cellier mais n’a rien vu que de normal, ce qui est grand soulagement pour ce que icelluy cellier est rempli jusques à déborder ès cavités avoisinantes, et qu’auparavant souper d’icelluy jour 22e de décembre, avait receu nombre lardz à larder, chappons gras bardés, poulles tant pour bouillir que pour pasté et rostir, carpes de 2 piedz, cens d’huitres & esperlans, & mesmes livres de marsouin, à cause de la naissance de nostre seigneur Jésus Christ. A trouvé Toupet, domesticque de Guy Hurault, en remontant du cellier, adossé contre les degrez menant à la grand-salle. N’a pas deu le voir en descendant pour ce qu’il faisait encore nuit noire & qu’il a couru dans les degrez du cellier.
Tiercement
Ledict Jehan Toupet interrogé de rechief […]
[Les feuillets suivants sont trop détériorés pour qu’on puisse déchiffrer le reste du procès verbal.]
Minute d’arrêt criminel rendu par le parlement à Paris, décembre 1599
[Folio 1, recto]
Veu par la cour en la chambre de la tournelle le procès criminel commencé au bailliage de Bloys à la requeste de Guy Hurault, marchand d’Orléans et de Jehan Toupet, domestique dudict Hurault, demandeurs en crime d’excès & violences le 23e jour de décembre de l’an mil cinq cens quatre-vingt huict. Information faicte par Me Raoul Chéry, sergent royal audict bailliage, des 26e, 27e et 28e jours de décembre audict an. Sentence du lieutenant criminel audict bailliage du 30 décembre ensuivant. Déclaration dudict Me Chéry du 5 e jour de janvier de l’an mil cinq cent quatre vingt neuf que lesdicts Hurault et Toupet ont disparu du bailliage de Bloys. Requeste au Parlement de Me Philippe Cassart, notaire & secrétaire du roi, demeurant rue de la Juiverie à Bloys, demandeur en crime de vol contre lesdicts Hurault & Toupet, datée du 6e jour de janvier l’an mil cinq cens quatre-vingt & neuf. Arrest de la court du 1er avril mil cinq cens quatre-vingt quatorze ordonnant supplément d’information au bailliage d’Orléans. Décret de prise de corps contre lesdicts Hurault & Chéry audict lieu. Conclusions du procureur général du roy. Ouy & interrogé par ladicte court lesdicts Hurault & Toupet, prisonniers ès prisons de la Conciergerie du pallais, sur les cas à eux imposés contenus audict procès, & tout considéré :
Il sera dict que ladicte court sur le tout a mis & mect les parties hors de court & de procès.
[SIGNATURES : DE THOU et BENARD]
Faict & prononcé par moy Mathieu Drouet, principal clerc au greffe criminel d’icelle court, à Guy Hurault & Jehan Toupet pour ce mandez au guichet des prisons de la Conciergerie, le 23e jour de décembre m vc iiiixx xix. Les huys ouverts.
La parcelle de Blois : un jeu d’écriture des possibles urbains auquel vous êtes invité·e·s à participer ! Retrouvez les règles du jeu ici, et envoyez vos propositions à la rédaction : entretemps.editorial@gmail.com.