Des étudiant·e·s face aux vitrines – ép. 3 : un taxi et une mariée
L'année dernière, les maître·sse·s de conférence de l'université de Lille Marie Derrien et Tristan Martine ont proposé à leurs étudiant·e·s un exercice inspiré de la série "L'histoire sous vitrine" d'Entre-Temps. De quoi réjouir notre comité de rédaction! Dans ce 3e épisode, deux vitrines d'étudiant·e·s : un taxi trônant sur une place et une intrigante pyramide de poupées.
Un taxi de la Marne sur la place de Gagny
La vitrine se trouve en plein centre-ville de Gagny, sur la place Foch, en face de l’Hôtel de Ville. Mise en place à l’occasion de l’aménagement de cette nouvelle place et du centenaire de la Première Guerre mondiale, c’est sous l’initiative du maire de l’époque, Michel Teulet, que la vitrine est installée. Il est possible de faire le tour de la vitrine afin d’observer son contenu sous tous ses angles. Elle prend la forme d’un cube en verre épais qui entoure l’objet et se distingue par sa taille imposante (5,50 m x 3,90 m). Le contenu de la vitrine occupe toute la place. Un seul objet y est exposé : un authentique taxi Renault parisien utilisé pour emmener les soldats au front en 1914, aussi appelé « taxi de la Marne ». En exposant ce taxi, seul sur la place Foch, la ville met l’accent sur la valeur esthétique de l’objet, car le taxi a été restauré par Laurent Salles dans le respect des techniques et des couleurs des taxis de l’époque, tout en offrant également un morceau de son histoire. Cette dimension historique est transmise par le biais d’une inscription gravée autour du socle de la vitrine, qui retrace le rôle de la ville dans cet événement historique et justifie donc la présence de ce taxi.
L’installation de ce véhicule a été effectuée en 2017 lors des commémorations du centenaire de la Grande Guerre qui ont débuté en 2014. Ce projet s’inscrit dans les politiques culturelles et mémorielles de la municipalité. Ce dispositif permet de transmettre l’héritage de la ville à la population en le rendant accessible facilement. Il permet aussi de replacer un objet historique à l’endroit même où il se trouvait un siècle plus tôt, lorsque les taxis partirent de Gagny pour conduire les troupes au front afin de mener les combats de la bataille de la Marne qui s’est déroulée du 5 au 12 septembre 1914.
Face au taxi, le visiteur peut être intrigué, curieux et surpris, tandis que la lecture de l’inscription sur le socle peut lui permettre de mieux comprendre l’ensemble, voire de mieux le contempler. En effet, la vitrine ne met pas le visiteur à distance et l’invite au contraire à se rapprocher du taxi pour l’observer de plus près, sous toutes ses coutures. La structure attire facilement notre regard grâce à sa disposition dans l’espace public et son caractère insolite.
Marion Decool, Camille Morisseau et Anaïs Tournay
Mariage à l’église Saint Vaast
Le musée de la Poupée et du jouet ancien de Wambrechies, installé dans un château du XVIIIe siècle à Robersart (département du Nord), propose un parcours parmi des dizaines de vitrines derrière lesquelles les jouets sont mis en scène pour reconstituer des événements historiques ou des scènes de la vie quotidienne des XIXe et XXe siècles. La vitrine qui nous intéresse donne ainsi l’impression d’être noyée dans la masse: aux poupées enfermées dans leurs cages de verre s’ajoutent d’autres objets placés en hauteur et des jeux flamands dans les allées. À première vue, elle n’a ainsi rien de particulier. Elle ne se distingue ni par sa taille ni par son contenu, ni par sa scénographie. Comme les autres vitrines, elle est éclairée par des sports projetant une lumière crue, tandis que trois cartels évoquent le décor et les objets exposés.
Mais à bien y regarder, elle n’est pas tout à fait comme les autres. C’est une des quatre seules vitrines d’angle du musée et elle occupe une place particulière dans le parcours en se situant diamétralement à l’opposé de l’entrée. Elle est d’ailleurs la seule vitrine, avec celles de l’entrée, dont le décor est constitué d’une photographie. Ces vieux clichés rappellent les vicissitudes de l’histoire locale en une saisissante mise en abyme : les photos des vitrines de l’entrée montrent le château de Robersart, c’est-à-dire l’actuel musée, à l’époque où il servait d’hôpital aux Allemands pendant la Première Guerre mondiale, tandis que la vitrine du fond du musée a pour arrière-plan l’église Saint-Vaast, située à quelques dizaines de mètres de là. Remarquons aussi la composition : les poupées semblent presque former une pyramide (dont la tête de la mariée occupe le sommet), soulignée par le dais en tissu sur la photographie à l’arrière-plan ainsi que par un ensemble de rubans de velours rouge placés au-dessus des figurines. Le mariage qui nous est présenté ici est bien étrange : un groupe exclusivement féminin (sans marié ni prêtre) dont la figure centrale nous fixe avec une intensité inquiétante. La solennité du décor, des costumes et des regards tranche avec les joues dodues et roses des poupées.
Ce mélange des genres entre le jeu et le sacré est le vrai sujet de cette vitrine, comme le montrent les objets liturgiques miniatures placés à droite de la composition : tout semble prêt pour la célébration d’une messe ludique. Geste sacrilège de quelques fabricants de jouets peu scrupuleux ? Pas du tout ! Produites durant les premières décennies du XXe siècle, ces pièces témoignent d’une époque durant laquelle l’Église catholique, se jugeant menacée par les lois républicaines qui réduisaient son influence dans la société, chercha à susciter des vocations chez les enfants par le jeu ou tout du moins à les encourager à la piété. Si des petits garçons s’amusaient à jouer au prêtre, peut-être voudraient-ils vraiment le devenir ?
Les jouets, instruments d’une tentative de reconquête catholique dans la France du début du XXe siècle, devenus ici un moyen pour faire découvrir aux visiteurs un pan du passé, ne constituent ainsi pas qu’une affaire d’enfants.
François Berlot, Perrine Masse et Judith Paperman