Des étudiant·e·s face aux vitrines – ép. 4 : les cabines & l'armoire
En 2023-2024, Tristan Martine, maître de conférences à Lille, a recommencé avec ses étudiant·e·s de master l'exercice des histoires sous vitrine, initié un an plus tôt en collaboration avec sa collègue Marie Derrien. Une saison 2, donc, toujours inspirée par Entre-Temps, et dont nous publions à nouveau quelques textes, en trois épisodes supplémentaires. Aujourd'hui, on passe devant les cabines de la piscine et on ouvre l'armoire de l'école.
Les cabines ouvertes de la piscine de Roubaix
Alors que nous visitions le Musée de la Piscine à Roubaix, les intrigantes « cabines-vitrines » ont capté notre attention. Le musée, ouvert en 2001, est le fruit de la réhabilitation par Jean-Paul Philippon de l’ancienne piscine municipale de style art déco, construite entre 1927 et 1932 sur les plans d’Albert Baert. Le bâtiment occupe également l’emplacement d’un ancien atelier de tissage. Agrandi en 2016-2018, le musée abrite aujourd’hui 71 696 œuvres et diverses expositions, sur plus de 8 000 m².
Les « cabines-vitrines » abritent une sélection (renouvelée tous les trois mois) de pièces issues des collections de mode du musée : elles donnent à voir leur diversité tout en les préservant. Réalisé en partenariat avec l’ESMOD (École supérieure des arts et techniques de la mode, présente à Roubaix depuis 1994), l’accrochage photographié s’intitule Brèves vestimentaires. Il témoigne de la vitalité du lien entretenu par la ville avec le textile : après avoir vécu au rythme de l’industrie aux XIXe et XXe siècles, elle demeure aujourd’hui un lieu de création dans le domaine de la mode.
Sur tout le pourtour du premier étage, les vitrines occupent les anciennes cabines de change de la piscine. Si elles sont visibles dès l’entrée dans la salle « du bassin » (rez-de-chaussée), le regard est cependant happé par l’emblématique vitrail et ses reflets. Le contenu des vitrines passe dès lors au second plan, au bénéfice de l’unité architecturale du lieu : le musée s’expose et se suffit ainsi à lui-même. Le visiteur peut tout de même déjà deviner quelques silhouettes dans les vitrines, ce qui peut attiser sa curiosité et le pousser à rejoindre le premier étage.
Pour conserver « l’identité textile des cabines », les vêtements sont disposés sur des mannequins, à la manière des vitrines de mode. Semblables aux bustes de couturiers, permettant une mise en valeur du vêtement, ils favorisent le bon tombé des tissus et indiquent la manière dont ils pouvaient être portés. La volonté première est de mettre en avant les vêtements de prêt-à-porter : le musée souhaite, par le biais de la muséographie mise en place, faire honneur à l’industrie textile de la région. De plus, grâce aux dimensions des vitres, le reflet du visiteur peut se superposer avec la tenue exposée, ce qui permet à ces derniers de l’essayer. Certaines cabines n’étant pas vitrées, le visiteur peut les traverser, contourner les vitrines et observer les vêtements sous toutes ses coutures.
Les pièces exposées témoignent du renouvellement perpétuel qu’est la mode. À leur esthétisme complexe et non dénué d’élégance dans « Le vêtement, une petite architecture du vivant », mêlant tenues de ville et pièces haute couture, vient succéder la praticité dans « L’innovation au service du corps » à travers, par exemple, les vêtements de bain. Oscillant entre aspect fonctionnel et artistique, le vêtement devient alors visionnaire. En témoigne notamment la présence de quelques créations réalisées par les élèves de l’école ESMOD dans « Bonne rentrée aux apprentis couturiers ! ». D’autre part, plusieurs vêtements traditionnels trouvent leur place au sein d’une exposition temporaire, « Chagall, l’Autre et l’Ailleurs ». La matérialité des objets est ainsi privilégiée et se suffit à elle-même pour illustrer ce processus. On suppose que c’est pour cette raison que les cartels sont relativement discrets. Enfin, disposée face aux vitrines, une rangée de tableaux représentant des individus chiquement vêtus fait, une fois encore, écho à la mode.
Le choix du lieu n’est pas anodin. Avoir investi les anciennes cabines de déshabillage, désormais habillées par la muséographie, permet une continuité entre leur fonction d’origine et les objets exposés : c’est ici que les nageurs déposaient leurs vêtements et c’est toujours ici que, des années plus tard, des vêtements sont accrochés. Le lieu s’anime grâce à la diffusion d’un enregistrement des bruits quotidiens de la piscine d’antan, ce qui donne l’impression que la cabine vient tout juste d’être quittée par les nageurs.
Laure Bécué, Manon Daems, Séphora Maazi, Élise Maurer
Une simple armoire
Au cœur d’une salle de classe, pièce centrale du Musée des Écoles de Lille, se trouve une armoire. Loin d’être une simple armoire, cette armoire-vitrine qui se dresse parmi les autres éléments du décor, mobilier et matériel scolaire anciens, nous est apparue comme la vitrine la plus marquante du musée.
Remplie d’objets en tout genre, l’armoire, comme la salle de classe, ne contient pas un amas de curiosités installées pêle-mêle. Elle est rangée comme si l’instituteur l’avait fait lui-même. En hauteur, nous trouvons les objets les plus fragiles et précieux, ceux qu’il faut mettre hors de portée des enfants : un système d’agrandissement d’images ; un stéréoscope à main et deux lanternes magiques1, l’une de fabrication anglaise et l’autre française. À hauteur d’œil adulte sont exposés des cahiers, ouverts tantôt sur des dictées tantôt sur des calculs ; exercices d’antan et écriture à la plume. On trouve entre autres un alphabet brodé signé « Andrée Lefebvre, 1931 ». Cet alphabet nous rappelle que derrière les objets exposés, il y a eu un, ou une, jeune élève, il y a près d’un siècle, qui apprenait à l’aide de tels media. On peut s’interroger sur l’objectif de cet étage : vision passéiste glorifiant le mythe d’une époque où « l’on savait écrire » ou évocation nostalgique des vieux cahiers de nos grands-parents ? Précisons que cet écomusée, administré par l’association des Deniers des écoles laïques de Lille, a constitué sa collection sur la base de dons des membres de l’association à la fin des années 1990. L’étage du dessous, dernier visible au travers de la vitrine, regorge d’outils d’écriture, peintures et mathématiques : des encriers, une palette, un boulier, des plumiers… Enfin, s’ouvrant au public lorsque l’armoire l’est elle-même, apparaissent crayons, buvards et autres fournitures scolaires servant aux ateliers.
Ce dernier étage « caché » de l’armoire-vitrine nous amène à la question de la médiation. Sans le médiateur du musée costumé en instituteur, les objets exposés ne seraient que d’énigmatiques éléments du passé. Hormis deux cartels pour les lanternes magiques, il n’y a pas d’indication ni de provenance, ni de date, ni de contexte pour les autres objets. Sans doute leur nature semble-t-elle évidente : un cahier est un cahier. Ce choix muséographique interroge, flou travaillé ou bazar authentique ? Il reste que c’est grâce aux explications du médiateur, membre de l’association, que les objets exposés dans l’ancienne école Récamier prennent vie lors des ateliers organisés par le musée. Si la petite école de quartier n’est plus, ses murs continuent d’accueillir un jeune public puisque le musée est tourné vers les scolaires, accueillant chaque année près de 4 500 élèves et proposant aussi des activités intergénérationnelles en dehors des jours de classe. Ces ateliers (d’écriture à la plume, de dictée, de conjugaison et de problèmes mathématiques) ressuscitent en partie une École qui n’existe plus. La vitrine est conçue pour la médiation et l’échange avec « l’instituteur » ou avec les grands-parents lors des ouvertures publiques. La mise en scène de la salle de classe inscrit l’armoire dans le décor. Ainsi, cette vitrine expose tout en étant exposée. Elle abolit par sa simplicité la distance qui existe d’ordinaire dans un musée.
Loin de sacraliser ses objets, la vitrine en fait des outils (au sens littéral lorsqu’ils sont utilisés en ateliers ou manipulés par les visiteurs) accessible pour approcher ce qu’a pu être l’école au siècle dernier dans sa matérialité. Alors que l’école est au cœur des frénésies du débat public, que son histoire, que notre histoire, est saisie par l’ensemble des bords politiques – des plus progressistes aux plus réactionnaires et passéistes – se trouve dans une ancienne école de quartier une armoire, une simple armoire qui dit à la fois peu d’elle-même, mais beaucoup d’un autre temps.
Roman Barez & Léa Kruger
- Ancêtre du rétro-projecteur fonctionnant au pétrole, surtout utilisé à des fins pédagogiques à partir de la fin du XIXe et au début du XXe siècle. ↩︎