Sous le soleil: quelques idées de lectures estivales
C'est l'été sur Entre-Temps, on vous fait part de certaines de nos lectures récentes qui pourraient facilement s'emporter sur un transat. Au programme, trois manières d'aborder la mer, à travers sa plage, ses navires et ses fronts et, si on préfère la ville, ce sera Paris mais en 1832. De notre côté, on lève les voiles, rendez-vous à la rentrée !
Elsa Devienne, La ruée vers le sable. Une histoire environnementale des plages de Los Angeles au XXe siècle, Éditions de la Sorbonne, 2020.
Par Marie-Laure Archambault-Küch
À l’heure où le débat autour du choix de destination à privilégier pour les vacances, mer ou montagne, agite couples et familles, la lecture de l’ouvrage d’Elsa Devienne peut, sans résoudre le clivage, apporter un éclairage historique sur la construction du rivage comme espace de détente et de loisirs.
Tiré de sa thèse de doctorat et paru en mars 2020, La ruée vers le sable. Une histoire environnementale des plages de Los Angeles au XXe siècle examine le littoral de la ville californienne sous un angle à la fois d’histoire environnementale, sociale et culturelle. Démontrant les étapes successives de dégradation, de protection et d’aménagement qui contribuent à dessiner les rivages angelins, Elsa Devienne met en avant le caractère éminemment construit de cet espace « naturel ».
À travers l’histoire de l’aménagement et du contrôle social qui s’y exerce, l’autrice rappelle aussi que les plages de Los Angeles constituent autant un espace public partagé qu’un territoire où des lignes de fracture et d’exclusion de la société locale se donnent à voir. Elle montre ainsi qu’au grès de la mise en place d’un modèle balnéaire érigé à l’intention des classes moyennes blanches, d’autres groupes sociaux se voient refuser la fréquentation des plages de Los Angeles : Afro-Américains, homosexuels, classes populaires blanches et Latinos.
Enfin, en retraçant l’émergence d’un modèle culturel du loisir balnéaire, Elsa Devienne nous rappelle, de façon heureuse à l’heure estivale, que corps ajustés aux maillots de bains et bronzage minutieux sont le produit d’imaginaires et de normes proprement hollywoodiens, qui ne vont pas de soi. Cela ne peut que nous conduire à souhaiter que la plage constitue, cet été, un espace partagé joyeux et inclusif.
Thomas Bouchet, De colère et d’ennui. Paris, chronique de 1832, Anamosa, 2018.
Par Louise Gentil
Sur la ligne de crête entre histoire et littérature ce livre offre trente-sept lettres qui éclairent la vie parisienne de quatre femmes en 1832. Au travers des voix d’Adélaïde, Émilie, Louise et Lucie transparaissent tout à la fois l’épidémie de choléra, les élans spirituels, l’ennui bourgeois, mais aussi le bruissement des barricades, l’engagement politique et féministe ou les mots d’une marchande de quatre saisons. Après avoir travaillé des années en historien sur la documentation parisienne de 1832 Thomas Bouchet utilise avec cet ouvrage le ressort de la fiction pour donner un nouvel éclairage au Paris du début du XIXe siècle.
De colère et d’ennui pourra vous accompagner lors d’un long voyage en train ou se déguster lettre par lettre pour rythmer petits-déjeuners, sorties à la rivière et siestes en hamac : un livre tout-terrain.
Jack London, Le Loup des mers, Libretto, 2017 [1904].
Par Pauline Guillemet
Dans quelques semaines ce sera la rentrée, septembre puis octobre et, pour les historien.nes, le grand rendez-vous qui, chaque année, à Blois, nous réunit autour d’un thème. Cette année, c’est « la mer » qui jouera les prolongations de l’été indien.
Avant cela, c’est avec, comme compagnon des rivages aquatiques estivaux, un livre dans lequel la mer n’est point trop propice à la baignade, que ce conseil de lecture vous recommande de partir. Le Loup des mers est un roman que Jack London a fait paraître en 1904, alors qu’il est âgé de 28 ans. La mer est ici celle qui porte les navires et en particulier ceux des pêcheurs, dans les eaux qui bordent les côtes japonaises. Dans ce livre, pas de chaluts, de cannes ou de filets mais des harpons avec lesquels les chasseurs du Fantôme mettent à mort les phoques dont ils récupèrent ensuite les précieuses peaux, destinées à être vendues sur les marchés américains.
L’auteur s’est nourri, pour l’écriture de ce roman, de sa propre expérience de chasseur de phoques quand, jeune adulte, il embarque sur la goélette Sophia Sutherland, pour la campagne de 1893. Il y décrit une étonnante hétérotopie, dans ce vaisseau fantomatique sur lequel les odeurs, la douleur des corps, et la cruauté des hommes avoisinent le paroxysme. On y suit le personnage d’Humphrey Van Weyden qui se retrouve à bord de la goélette à la suite du naufrage de son ferry dans la baie de San Francisco. Celui qui, sur la terre ferme, arborait le costume d’écrivain revêt, en mer et sous la contrainte, celui du matelot Hump. C’est à travers son regard que le lecteur embarque pour cet inquiétant périple. Il nous conduit dans les recoins variés des goélettes du début du siècle dernier, de la cuisine aux dortoirs, mais aussi dans l’univers logistique de cette chasse aux phoques dont le récit des campagnes navigue souvent aux frontières de l’histoire et de la fiction.
Ian McEwan, Expiation, Gallimard, 2003 [2001].
Par Elisabeth Schmit
Une scène de désir vue de loin, vue de biais, qui renverse la vie des personnages : on pourrait d’abord penser pouvoir résumer ainsi, aussi facilement, l’intrigue d’Expiation. Mais ce serait oublier que dans l’Angleterre des années 1930, toutes les vies vécues et perçues se renversent lorsque la seconde guerre mondiale éclate. Le roman de Ian McEwan, plonge son lecteur dans cette spirale double, sans répit, depuis l’eau troublée d’un bassin sous la chaleur étouffante d’un jardin anglais et jusqu’à l’ultime front, le front de mer par-delà Dunkerque, noir de soldats, tendu par leur attente d’un possible retour. Chacun démêlera, au terme de la lecture et avec un peu de vertige, le nœud de l’Histoire et de l’écriture.