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En lieu et place : le bidonville d'usine Grand-Camp

Puisant dans les archives mineures du vingtième siècle, Philippe Artières propose d'en exhumer des « lieux communs », de ces endroits collectifs qui font histoire, qui racontent un peu de ce que les membres d’une même société partagent. Il accroche ces lieux archivés, tous habités, sur Entre-Temps pour contribuer, encore et invariablement, à une histoire du Nous qui toujours échappe.

Photographie aérienne de Grand-Camp

Il y a des lieux qui n’ont pas de mémoire, parce que celles et ceux qui y ont vécu sont ensuite parti·es ailleurs, souvent chassé·es par les bulldozers, parce que les villes n’aiment pas à se souvenir de leurs zones. Marseille jusqu’au milieu des années 1980 comptait de nombreux bidonvilles, pudiquement appelés « habitats insalubres ». C’est en préparant une exposition sur la rétention que j’ai trouvé dans les archives départementales des Bouches-du-Rhône les traces des hommes, femmes et enfants qui habitaient l’Usine Grand-Camp. Ce sont les notes de travailleurs sociaux qui enquêtèrent dans le bidonville en 1979 pour reloger une partie de ses habitant·es dans les grands ensembles du Nord de la cité phocéenne. Le bidonville avait été construit dans les années 1950 par des ouvriers immigrés d’origine Kabyle et travaillant dans l’usine voisine de la Société Générales des Tuileries. « Les constructions, très diverses et assez délabrées, se trouvent au milieu d’un immense terrain vague, limité par la voie ferrée et jonchée d’immondices » indique un enquêteur. Le village des familles se situe dans la partie basse et sa conception architecturale est très anarchique : maisons serrées par groupe de 2 ou 3, construites de briques, tuiles, planches autour d’une cour commune. Les accès sont souvent difficiles vu les nombreuses cours, marches d’escaliers et ruelles. Les maisons semblent posséder l’eau courante soit à l’intérieur soit dans la cour mais en 1979 n’ont plus d’électricité depuis 4 ou 5 ans, date de la fermeture de l’usine des Tuileries.

Au 1er mars 1979, 128 personnes (97 regroupées en 17 familles et 31 travailleurs isolés) vivaient dans ce lieu ; parmi la population familiale, 62 enfants de moins de 16 ans soit 64%.

Toutes les familles furent visitées ; dans la plupart des cas, note le rédacteur, plusieurs membres présents mais l’accueil fut froid, « les familles étant peu évoluées et très repliées sur elles-mêmes » ; chaque enquêteur s’attachait à poser 9 questions : 

  1. Composition des familles
  2. Origine et date d’arrivée dans le bidonville (algérienne, kabyle)
  3. Emploi
  4. Ressources
  5. Scolarisation
  6. Logement
  7. Santé
  8. Mode de vie
  9. Souhaits

Outre un photographie aérienne du bidonville, ont été conservées les fiches des enquêtrices et/ou enquêteurs, maison par maison, unique trace de ce peuple du milieu.

1
Famille ayant vécu plusieurs fois dans un appartement. Recherche une vieille maison dans le 15e ou 16e. Intérieur bien aménagé, propre, famille assez évoluée.

2
Famille Kabyle de 9 enfants dont 1 est marié et vit ici avec sa femme qui est enceinte. Souhaitent être relogés plutôt dans une cité dans un habitat individuel, mais pas éloignés les uns des autres. Logement bien tenu, très propre.

3
Difficultés au départ avec le mari pour le questionnaire. Famille typiquement gitane : bien. Cependant ne supportant pas la promiscuité, voulant être seul. Pas logé en HLM. Enfants et logement à peu près tenus. Mais risquant de créer des histoires.

4
Famille assez évoluée, épanouie, malgré une santé précaire pour la mère et la fille. Maison bien tenue, des efforts de décoration. Très fort désir de déménagement mais très fort attachement au bidonville et au quartier.

5
La famille semble épanouie. Situation stable du père, bonne scolarisation des enfants, dont le fils aîné semble avoir des dispositions pour les études. L’ensemble de la maison est propre, mais ne contient que le strict minimum. Peu d’attachement au quartier.

6
Maison propre et bien entretenue, décorée. Buffet avec vaisselle. Verres cristal. Enfants bien élevés et bien tenus. Fils aîné cherchant travail.

7
Ménage très sympathique, très propre, maison très bien tenue où l’homme a fait beaucoup d’aménagements. Avait été logé par l’entreprise à St Jérôme mais avait dû partir à la naissance du 5e enfant, appartement trop petit plus aux normes pour avoir l’alloc. Logement.
Enfants très propres, bien mis et très bien élevés.
Assez occidentalisé dans leur façon de vivre (fille s’est fait ligaturer) mais […] les traditions : mouton pour l’aïd qui se distribue aux voisins…
Doivent faire garder la maison l’été quand ils partent en Algérie 1 mois (paie un gitan)
N’a pas de contacts avec l’école (par honte).

8
Difficulté de parler avec le fils ainé qui s’occupe de toute la famille. Réticent parce que beaucoup de personnes sont [mot illisible]. Le fils a fait beaucoup de travaux d’aménagement, a même construit une partie de la maison.
Souhaiterait surtout avoir l’eau courante, son fils à côté, un rez de chaussée pour le mari malade et la fille près du travail du fils
Fils plus exigeant que la mère pour un logement
Ont deux chiens

9
Seraient prêts à squattériser une maison vide. Il semble qu’il y en ait beaucoup dans le quartier dont une à côté du curé de St Henri.
Difficulté de l’intérieur parce que beaucoup de monde dans le logement (cousins venus d’Espagne – voisins …) Elle est la sœur de Santiago Joseph et Antoinette (à vérifier)

10 Famille algérienne (7 enfants) souhaite trouver un HLM dans le quartier.
Maison bien tenue, propre. Famille évoluée.

11
Le désir de changer de vie existe, mais reste très flou, très imprécis. Il y aurait cependant possibilité financière de payer 1 loyer, et pas de difficulté de relogement (3 personnes seulement)

12
Famille extrêmement repliée sur elle-même, très coupée du monde, et même ayant peu de relation avec les voisins. Père et mère pratiquement analphabètes. La maison est plutôt propre mais sans aucun objet ou meuble superflu.
La famille désire cependant fortement déménager et ne manifeste aucun attachement affectif au quartier.

13
Peu de projets véritables. La mère est une malade nerveuse, semble instable, peu évoluée. La maison est assez mal tenue.

14
Véritable regroupement familial.
Père. Mère. 3 fils mariés. 5 enfants. 3 petits enfants, oncle, tante.
Père chef. Très traditionnaliste.
Disent qu’ils pourraient vivre séparés !!

16
Famille ayant eu un gros problème d’argent. Ne peut pas pour l’instant envisager un déménagement faute de revenu.
Lorsque le père aura trouvé un emploi, la famille devra être tout à fait apte à vivre dans un HLM.

17
2 gros handicaps :
– santé (mère cardiaque, fille épileptique)
– argent (pour l’instant seules ressources d’allocations familiales)
Famille qui semble cependant assez évoluée et capable de vivre en appartement.

18
Famille nombreuse mais paraissant assez évoluée, et épanouie. La maison, malgré l’exiguïté, et le nombre d’enfants, est très bien entretenue.

19
Famille a situation financière stable. 2 enfants sourds et muets. Maison remarquablement bien tenue.

21
Fort désir de déménagement. Famille nombreuse mais ressources stables. Pas de pb de santé. Maison assez bien tenue.

22
Très peu de ressources dans cette famille encore peu nombreuse. Souhait de déménager dès que la situation financière sera meilleure.

23
Famille très méfiante. Les parents semblent peu équilibrés.

24
Famille nombreuse, plusieurs sources de revenus. Désir très fort de déménagement surtout chez les plus jeunes. Ont fait plusieurs demandes sans réponses. Sembleraient aptes à vivre en appartement.

25
Fort désir de déménager. Pbs de santé assez importants pour le père, 7 enfants.

26
La mère doit s’occuper de ses 7 enfants, le père étant parti de la maison. Vit actuellement avec son beau-frère. Maison petite, mais très bien tenue malgré le grand nombre d’enfant. La mère souhaite fortement déménager.

27
Famille très mal logée (1 pièce) Peu de ressources. Fort désir de déménager.

28
Famille peu évoluée. Propreté insuffisante. Pb de santé pour les enfants.

29
Famille ayant des revenus trop faibles pour envisager une habitation en HLM. Par contre, fort désir pour un appartement ou une maison en cité de transit.

30
Famille de 5 jeunes enfants, mère veuve toute seule se débrouillant mal en français, et malade des nerfs depuis la mort de son mari. Seul revenu : les allocations familiales.

31
Famille gitane ayant des problèmes d’argent (salaire très irrégulier du père) et de santé au niveau des enfants. Malgré cela, la maison qui est très insalubre (grande humidité) est très propre et bien tenue, avec des efforts de décoration.

32
Maison très bien tenue et rangée – Meublée
Femme très dégourdie et paraissant organiser sa vie (ne veut plus d’enfant), sympathique.
Devrait et pourrait être alphabétisée
Aménagement faits par le mari.
Souhaiterait une vieille maison à arranger plutôt qu’un HLM

33
Jeune couple avec 2 enfants. Intérieur très bien tenu, très propre. La jeune femme a déjà vécu en HLM.

34
Famille jeune avec 1 seul enfant, et un très bon salaire. Fort désir de déménagement.

35
Famille assez évoluée, dont les membres rencontrés paraissent plutôt épanouis. L’intérieur est propre et soigné, rangé.
L’obstacle du langage demeure au niveau des parents. Vif désir de déménagement, peu d’attachement au quartier, sauf pour une des filles (amies).

36
Petite cellule familiale, vivant dans un intérieur propre mais limité à l’essentiel pour les meubles, sauf quelques objets ou images rappelant le pays d’origine. Attachement au quartier, la femme semble encore très marquée par sa culture.

37
Famille très nombreuse, avec cependant des revenus. Mode de vie peu évolué.

38
La famille paraît peu évoluée (parents analphabètes) bien que la mère possède des qualités évidentes de débrouillardise, vivacité d’esprit. L’ensemble de la maison est assez peu soigné, mis à part la cuisine qui fait office de salle de séjour, aucun arrangement particulier, pratiquement pas de meubles ou objets superflus.

39
Famille très peu évoluée. Le père est en charge complète (aucune activité professionnelle à cause de sa maladie nerveuse, aucune activité ménagère non plus). 12 enfants de 8 mois à 14 ans.
Aspect général de la maison, peu soigné, insalubre la mère paraît submergée de travail. Passivité générale. Les cousins du n°170 pourraient être un élément dynamisant dans l’éventualité d’un relogement.

41
Famille gitane de 3 enfants, évoluée. A vécu auparavant en HLM à Toubon souhaite retrouver même logement dans le quartier logement actuel très petit, mais bien tenu.

42
Famille gitane de 10 enfants très mal logée (maison attenante à blockhaus) dans un état très insalubre et très délabré.
Aspect général très négligé. Recherche une grande maison individuelle.

43
Famille désespérée. Vit dans le froid et l’humidité. Nécessité absolue d’un relogement rapide.

44
Jeune couple sans enfant, et sans emploi régulier. Peu de ressources pour l’instant. Maison très bien tenue.

45
Appartement propre pas très ordonné – mobilier sommaire. Pas chauffé
Problèmes des personnes âgées.

48
Famille de 5 frères et sœurs, évoluée, dynamique. La maison est bien tenue. Désir de déménagement mais fort attachement au quartier.

49
Famille de 2 sœurs et 1 frère. La plus jeune sœur représente le chef de famille, semble vive et organisée. La maison est propre, mais ne contient que le minimum de meubles et objets.

50
Célibataire vivant seul, ou avec 2 ou 3 amis de temps en temps. Souhaite trouver un studio peu cher, mais pas de foyer, et de préférence près des ports.

51
Algériens de la même famille, vivant dans un logement très insalubre, et sans électricité. Ressources assez insuffisantes, d’autant plus que l’argent est en partie envoyé aux familles en Algérie. Semblent résignés et peu exigeants.

52
Donne cette adresse pour se faire envoyer son courrier. Ne veut pas nous montrer où il habite dans le bidonville. Rencontré dehors.

53
7 « Célibataires » algériens, vivant dans 2 pièces sans eau ni électricité. Peu de ressources car la majeure partie du salaire est envoyé aux familles en Algérie, mais désir de déménager pour habiter dans un foyer. Chaque célibataire paie pour ce logement 100F/mois.

54
3 célibataires algériens. Très mal logés. Familles restées en Algérie reçoivent une grande partie des salaires. Recherchent un logement peu cher et dans le quartier ou un foyer pour célibataires.

Publié le 25 mai 2021
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