Façonner

En lieu et place : la ferme de Maurice

Puisant dans les archives mineures du vingtième siècle, Philippe Artières propose d'en exhumer des « lieux communs », de ces endroits collectifs qui font histoire, qui racontent un peu de ce que les membres d’une même société partagent. Il accroche ces lieux archivés, tous habités, sur Entre-Temps pour contribuer, encore et invariablement, à une histoire du Nous qui toujours échappe.

J’ai connu Maurice à Paris dans un tas de vieux papiers sur le marché d’Aligre lors d’un vide grenier. Il était là avec d’autres inconnus. Il attendait. Ses lettres m’ont plu. C’était des lettres de vacances. Celles d’un fils à sa mère, accompagnées de celles des personnes qui étaient en charge de lui pendant ces périodes de séparation ; pour les plus anciennes, ces missives dataient de 1930, les plus récentes du début 1950. À mesure que son écriture s’affirmait on l’y voyait grandir. Ces lettres formaient un album d’autoportraits successifs d’un petit Maurice avec, en fond, l’histoire collective.

Toutes les photographies sont de l’auteur

juillet 30, Forge, Seine-et-Marne

En 1930. Il vit à Paris, il a à peine 6 ans ; ses parents l’envoient prendre l’air à la campagne pour les vacances d’été dans une ferme de la Seine-et-Marne. C’est sa première séparation d’avec ta mère.

Lundi 27 juillet 1930

Ma chère maman je te dit bien bonjour ainsi que la dame et le monsieur ; je me plais boucoup a saint-martin en liesse je voudrai bien que tu m’envoye ric et rac et pierrot sil te plai je nais pas de chance parcequ’il pleut toujours.
Madeleine nous a fait rire tellement que je croyais mourir de rires et moi aussi je faisait rires jeannot
Je t’embrasse bien fort
Maurice.

Forge, le 20 juillet

Madame
C’est quelque mot pour vous dirent que votre fils ne s’ennuie pas beaucoup de sa maman. Il dort bien et mange bien. Il n’est pas trop méchant pour le moment. Ils ont de quoi jouer tous les trois. Mes ce n’est pas très agréable car il pleut tous les jours. Je voudrai bien que le beau temp vienne. Car ce n’est pas rien que de les avoirs a la maison. Enfin chère Madame ne vous faite pas de mauvais sang au sujet de votre petit Maurice.
Nos sincères salutations.
Monsieur Madame C. Forge par Barbizon (St M.)

3 septembre

Ma chere Maman
J’espere que tu va bien tant qua moi la chaleur ne ma pas trop fatigué.
Madame te remercie du mois, maintenant j’ai recu Bicot ce matin je suis content. Bonjour à tante Lisette, dimanche nous serons là.
Bien des choses de la part de M et Mme Alise et moi je t’embrasse bien fort

juillet 31, Forge, Seine-et-Marne

Maurice a un an de plus depuis hier et quelques centimètres. On est en juillet 1931 ; il a quitté Paris alors que bat son plein l’exposition coloniale au bois de Vincennes. Il est allé un dimanche de juin avec son père voir cet autre monde mais lui préfère jouer avec les copains, ceux de son immeuble, avec eux il fait des bons coups. Il rigole bien et puis il aime bien Forge, l’année passé, il y est allé avec la trouille au ventre, cette fois-ci il va retrouver la famille C. et leur fils René.

10 juillet 1931

Ma chère maman
ne t’ennui pas et mois je m’ennuie pas. Je m’amuse bien ; je me porte bien je pence qui fait chaud a Paris car il fait tres chaud ici je suis content Rene ma appris à faire des avions et des boites
Bon baiser Maurice.

Forge, le 18 juillet 1931

Votre fils veux écrirent lui-même
Ma chere maman
Ne te tourmente pas je suis en très bonne sante. Je mange et je dors bien et les journées ne sont pas assez longue pour jour. Et l’on joue bien avec Marcel. Malgré cela je suis content de te voir dimanche. Par moment je suis un peu méchant Nous avons beaux temps il fait même chaud je pense que tu t’ennui pas de trop, il faut pas t’ennuyer car moi je m’ennuie pas et je t embrasse de tout mon cœur ainsi que toute la famille
Ton fils Maurice
Madame, vous serez assez gentille de nous envoyer un petit pour dimanche nous dire a quelle train arriverai vous pour que Maurice puisse venir a la gare. Ne vous tourmenter pas pour lui car tout va bien. Mon mari et moi nous vous envoyons tout nos sincère amitiés.
Madame C.

Forge, le 25 juillet

Chère madame
C’est quelque mots pour vous donner des nouvelles de Maurice. Vous savez cala vas pour l’instant. Ne vous tourmentez pas. Il est toujours diable. Mes le principal ses qui ne soient pas malade et ne s’ennuie pas beaucoup de sa maman. Il est heureux que René soient là. Vous savez les journée ne sont pas assez longue pour jouer.
Quelle chaleur a t il fait la semaine derniere. Cela ne devait pas être très agréable à Paris. Je lui est fait ecrirent un petit mot mes tout seule.
Mon mari et moi nous vous envoyont tout nos amitiés et a bientôt
Madame C.

juin 32, Berville, Haute-Normandie

Cette année 1932, les parents de Maurice ont préféré à la Seine et Marne la Normandie. Le voilà en plein pays de Caux. Ils n’ont pas fait les choses au hasard, leur amie Madame Marcel, originaire de la région, longtemps leur voisine parisienne, est retournée vivre là. C’est elle qui a suggéré qu’il vienne prendre l’air de ce côté-ci, elle connaît une famille de paysans très bien et puis rien de plus pratique, Maurice prendra le train à Saint-Lazare jusqu’à Grémonville qui est à quelques kilomètres de Berville où vit sa nouvelle famille d’été.

Berville en Caux, le 29 juin 1932

Monsieur et Madame C.
J’ai bien reçu votre lettre et m’empresse d’y répondre mon mari et ma fille s’unissent à moi pour vous dire que nous sommes content d’avoir votre gentil garçon que j’ai vu en présence de Mademoiselle Jeanne.
Nous avons décidé pour 350 par mois et soyez sans inquiétude il sera chez nous en toute sécurité. Chaque fois que nous sortirons il sera des nôtres et si vous permettez qu’il aille en bicyclette Geneviève lui apprendra et chaque fois qu’elle ira chez ses sœurs, elle le prendra avec elle.
Madame, vous pourrez nous l’amener à l’époque que vous voudrez sauf le dimanche 17 juillet où nous serons occupés au concours d’Yerville la vielle le samedi cela ne nous dérange pas. Vous voudrez bien nous prévenir de l’heure de votre arrivée et mon mari irait vous cherchez à Grémonville. Madame marcel vous adresse ses bonnes amitiés. Je lui ai fait part de votre lette. Mademoiselle Mathilde va bien mieux mais cette pauvre Eugénie baisse de jour en jour. Mon mari et Geneviève s’unissent à moi pour vous adresser à Monsieur C à Madame et ces demoiselles mes meilleures souvenirs sans oublier votre gentil garçon.
M. Vilon.

Berville, le 12 juillet 1932

Monsieur Madame
Madame Marcel nous ayant dit que vous l’intention de passer une journée en accompagnant votre petit garçon et qu’elle, il lui est impossible de vous recevoir, sa sœur baisse de jour en jour et devient très exigeante tant qu’à nous nous pouvons vous recevoir vendredi à samedi soir car dimanche nous serons pris toute la journée pour le concours ; nous exposons des volailles beurres et du bétail. Cela donne un grand travail pour la journée. Pour le petit il vient avec nous et ne sera pas gênant pour nous, il verra la fête ; je peux coucher Monsieur et madame Colin en donnant notre chambre car comme elle est très grande nous y mettrons un lit cage pour le petit afin qu’il ne soit pas seul dans une grande pièce. Vous venez pour rien même que nous serons en famille car la chambre de notre fille est à côté de nous. Veuillez nous dire l’heure du train de votre arrivée si vous pouvez vendredi matin afin que vous profitiez de deux jours à la campagne.
En attendant, veuillez agréer chère madame et ces demoiselles sans oublier votre petit garçon mes meilleurs souvenirs.
M. Vilon

Mardi, le 19 juillet

Ma chère maman et mon cher papa
J’espère que vous allez bien ; j’ai déjà été à Grenouville à Criquetot sour Ouville en bicyclette. Nous allons aller demain a Yvetot avec la voiture et le cheval.
L’autre jour pour le concours Madame Vilon devait laver les pattes des poules elle n’a pas eu de prix et les canards qui avaient les pattes sales ont eu un prix ces canards était a Mme Lecœuré à Grenon ville en fin je me plait ici je m’amuse bien je vais dans les champs avec Mr Vilon chercher de l’herbe pour les chevaux

été 32, Berville, Haute-Normandie

Cet été 1932 les vacances aux champs se poursuivent, Maurice en profite. Il faut dire que la campagne, c’est un monde inconnu, il n’y connait rien. Lui, est un petit parisien, il va certes à Vincennes de temps à autre mais les Vilon et leur fille Geneviève à Berville lui en font faire des choses, il n’arrête pas ! La seule chose qui l’ennuie, sa seule contrainte aussi, c’est d’écrire. Il préfère filer quand vient le moment des lettres et des cartes. Moi, je le découvre, Maurice est discret, il ne raconte pas grand chose, alors on ne peut qu’imaginer son sourire enfantin, son espièglerie.

Berville, le 26 juillet 1932

Ma chere maman Mon cher papa
J’espere que vous allez bien.
Moi j’ai été à la fête j’ai eu un pistolet et neuf boites d’amorces mais j’ai tout usé.
Hier en revenant de la fête Madame Vilon m’a dit : Profite mon garçon demain ce sera le marché ; Mr Charles a fait beaucoup de galettes en plus j’ai lèche les plats.
Je te demande Rac et aussi de faire changer l’adresse de Pierrot. Je vous embrasse bien fort
Maurice
Maurice a été voir Madame Melina elle vous envoie ses bonnes amitiés.

Berville, le 3 aout 1932

Chers parents nous avons bien reçu les photos et j’ai eu la mienne et M Vilon en est bien content.
Je suis toujours bien content dimanche j’irai a la fête des moissons à Criquetot chez marcel je vous embrasse bien fort papa maman et mes tantes.
Cher Madame et Monsieur
Maurice est tellement pressé pour aller à Criquetot avec Geneviève qu’il me dit de continuer la lettre. Maurice est toujours content.

Berville, le 8 août 1932

Ma chere Maman et mon cher papa
J’ai reçu ta longue lettre car en rentrant de Criquetot ou j’étais parti samedi soir pour aller à la belle fête des moissons nous avons été à la messe et aux vêpres.
Je ne t’oublie pas ma chere maman et mon cher Papa tous les soirs je t envoie un régiment de bonsoir et de baisers ; les entends tu ? Les entends tu ? Je suis toujours sage et je fais ma prière matin et soir je vais voir Mme Melina qui vous envoie ses bonnes amitiés.
J’ai envoyé aujourd’hui 6 cartes ma chère Maman je vais avec Mr Vilon couper le blé à bientôt te voir ainsi que papa bon baisers
Maurice.

été 32, Berville, Haute-Normandie

Les parents de Maurice n’ont pas de vacances cet été 32 alors comme leur fils semble bien chez les Vilon ils l’ont laissé aussi longtemps que possible. Il reprend du poids, c’est bien car à Paris il ne mangeait rien et le médecin avait insisté sur les bienfaits d’un tel séjour. Lui Maurice commence à trouver le temps long d’autant qu’il a commencé à pleuvoir. Et puis c’est jamais facile d’écrire quand on est obligé.

Chère Maman
Le soleil vient aujourd’hui de faire une belle apparition ce matin aux Grandes dalles. Comme tu me demandais dans ta dernière lettre ce que je faisais quand il pleuvait, et bien il n’a jamais plu mais il faisait froid et nous ne pouvions aller nous baigner. Aujourd’hui le soleil a un peu chauffé la campagne ; j’espere que tu vas bien ainsi que Marie-Louise et Raymond ; j’ai écrit toutes mes cartes comme tu me l’avait demandé. Si tu ne viens pas au 15 août dis moi si je peux acheter un carnet de cartes postales de St Pierre pour garder comme souvenir.
Nous allons nous promener tout à l’heure et peut être nous baigner ensuite.
Je te quitte en t’embrassant
Ton fils Maurice

Chère Madame et Monsieur C.
Nous sommes heureux de vous savoir en bonne santé, chez nous tous nous sommes de même.
Malgré quelques petites averses, qui font du bien à la terre et aux herbes, le soleil est toujours très chaud et il fait beau. Si vous vous décidez à venir veuillez nous écrire le jour de votre arrivée.
Vous me direz aussi si je dois faire couper les cheveux du petit Maurice car ils sont très longs
Etant pressée par le facteur recevez de nous tous mes meilleurs souvenirs à partager avec ces demoiselles.
M. Vilon

Berville, le 19 aout 1932

Ma petite maman
Mon petit papa
Je me suis bien amusé à St Valery et hier avec M. Vilon je suis allé en voiture à la fête d’aviation à Héberville. J’en garde un bon souvenir et je suis bien content. Les vacances se terminent il fait toujours beau temps. Viendrez vous à Berville. J’ai encore pris 1 k de graisse.
Madame Melina va bien. Je vais souvent la voir
Je vous envoie mille baisers ainsi qu’à mes tantes
Votre petit garçon qui vous aime bien.
Maurice

avril 33, Berville, Haute-Normandie

Ses parents trouvent que ça lui réussit vraiment bien l’air de la campagne, en tout cas que la vie au vert donne à Maurice une bien meilleure mine que Paris ; il n’est pas tombé malade à la rentrée comme les années précédentes. Aussi ont-ils décidé de l’envoyer en Normandie dès les vacances de printemps cette année 1933. Maurice a grandi depuis ses premières lettres retrouvées. Il commence à mieux s’exprimer par écrit même si on voit bien que ce n’est pas son occupation favorite. Écrire l’ennuie. Cette année, il peut voyager seul. Ça facilite les choses. Ses parents travaillent dur. Ils semblent n’avoir que peu de temps à te consacrer. Ce n’est pas facile de tout mener de front.

Berville, le 18 avril 1933

Les fêtes de pâques étant passées je vais vous donner de mes nouvelles qui sont très bonnes.
Maurice va bien mais il a toujours un peu de diarrhée, hier il est allé 8 fois au w ; aujourd’hui à 3 heures 3 fois je lui donne bien sucré et du chocolat fort le matin, il ne souffre pas et à bon appétit mais je crois qu’il lui faudrait un peu de sons car ceci peut être né du froid sur le ventre ; j’espère que d’ici samedi cela sera passé. Enfin chere Madame ne vous tracassez pas, cela ne lui enlève sa gaieté car il est heureux d’être avec nous. Vendredi Criquetot samedi Doudeville Dimanche messe et partie de ballon avec papa Vilon, Geneviève et de petits camarades, Mardi Verville et demain Criquetot avec moi. Nous sommes allés chez Madame Melina dimanche après vêpres avec Mr Nicikas et ses parents elle était superbe et quel beau bébé.
Elle étrennera sa belle robe à la Pentecote car dimanche l’air était vif et nous avons eu peur qu’elle attrape froid.
Maurice a écrit toutes ses cartes et nous donnons notre courrier à Mr Courtin pour qu’il poste aujourd’hui. Dans la valise il y a aussi un colis que Mme Mélina m’a chargé de préparer une poule et du beurre pour les demoiselles Colin car elle ne veut pas que Mathilde le sache ; vous voudrez bien le remettre le samedi soir.
Maintenant chere madame nous mettrons Maurice au train de Doudeville à 11h 8 qui arrive à 11h 25 Motteville pour repartir à 11h42 et sera à Paris a 15h30. Je recommanderai à son départ et j’espère qu’il arrivera bien. Je mettrai sa valise aux bagages et lui donnerai du manger pour son trajet. Vous voudrez bien nous envoyer un petit mot le soir que nous aurons le dimanche pour nous rassurer.
Maintenant chere Madame, cher Monsieur C nous nous unissons tous pour vous envoyer mes bonnes amitiés ainsi qu’à ces demoiselles
De bons baisers de Maurice
Mme Vilon

Cher papa, Chere maman
Je suis bien arrivé et je passe de bonnes vacances demain je fais la grasse matinée je laisserai ma boite de peinture et mon fusil mais j’emmène mon livre. J’espère que vous allez bien ainsi que mes tantes
Bon baisers de votre petit Maurice

Berville, le 20 avril 1933

Cher papa chère maman
Je vais bien maman Vilon est contente de moi mon ventre va mieux et je ne suis plus enrhumé j’ai vu Madame Mélina elle vous envoie ses bonnes amitiés et m’a demandé si mes tantes viendraient pendant les grandes vacances. J’irai lui dire au revoir. Je vais à Criquetot avec maman Vilon parce que hier il faisait trop froid nous n’avons pas sorti
Je vous embrasse de tout mon cœur.

aout 33, Berville, Haute-Normandie

Pour Maurice, c’est déjà l’été ; le revoilà après quelques mois d’absence ; il est de nouveau à Berville chez les Vilon. Eté 33. Il grossit à vue d’œil… Tandis que le fascisme s’étend partout en Europe, Maurice a l’âge de l’insouciance. Il joue, on ne parle politique devant les enfants, et d’ailleurs vu de Normandie, Berlin est très loin. Il y a la ferme, les petits parisiens en pension pour les vacances et tout le reste.

Chere madame
Maurice ne vous oublie pas mais les jours passent si vite qu’il faut lu pardonner sa négligence. Maurice fera bien attention pendant son trajet, soyez sans inquiétude. Il a écrit toutes ses cartes en même [temps] que votre lettre et Geneviève a été à Gremonville les porter au train de 6 heures mardi, vous avez tout reçu hier.
Je termine, nous nous unissons tous pour vous adresser nos bonnes amitiés ainsi qu’à Monsieur Collin et ces demoiselles.
Me Vilon.

Berville, le 24 aout 1933

J’espère que vous allez bien quand à moi ne m’en parlez pas
J’ai gagné 6 livres depuis que je suis en vacance je pèse 33 kg 500 et quand je suis arrivé je pesai 31 kg je suis contant de moi-même de peser tant que sa et j’espère gagner encore du poids avant la rentrée. Je ne me fait pas de bile je me lève a 8 ou 9 heures je ne fait pas de bicyclette parce qu’elle est comme celle à papa. Je suis content que tante Cécile va mieux
Je vous quitte chers parents en vous embrassant bien fort
Maurice qui vous aime

Chere Madame, Cher Monsieur
Depuis samedi Maurice attend une lettre de maman, mais elle ne vient pas vite, il commence à s’apercevoir que c’est une petite punition. Il ne veut pas être dupe mais malgré tout il court après le facteur tous les jours. Ce matin je lui ai dit petit Maurice, après ta toilette tu vas aller dire bonjour à mme Mélina […]

Berville 29 aout 1933

Chers parents
J’ai bien reçu la lettre dernièrement envoyée qui m’a fait grand plaisir mais j’attends la dernière qui nous indiquera si tu viens ou non. Hier, j’ai été à Saint Valéry d’où je t’ai envoyé la carte. J’ai pris un bain complet. J’étais avec Madame Vilon et Marceline
Bien le bonjour à mes tantes je vous embrasse de tout mon cœur
Maurice qui vous aimes

aout 33, Berville, Haute-Normandie

Les vacances se poursuivent sans encombre au pays de Caux. Maurice trouve le temps long alors il est moins obéissant, il rechigne à faire son travail. Ça commence à le barber. Pour moi, c’est facile de l’imaginer récalcitrant, il grandit, il supporte mal les contraintes. Bien sûr il y a 80 ans, on se souciait différemment des enfants, il n’y avait pas encore la psychologue, celle devant laquelle passera vingt ans plus tard Antoine Doisnel, Freud commençait à être traduit en français. On s’inquiétait surtout des signes de méchanceté et de la « jeunesse irrégulière ».

Berville, le 18 septembre

Chers parents
J’ai bien reçu votre lettre qui m’a fait plaisir je fais mes devoirs les plus faciles car ils sont dures. Je vais bien et ne tousse plus je n’ai plus mal au ventre j’attends les détails pour mon départ
J’espère que Tante Cécile va mieux
Madame Mélina vous envoie ses bonnes amitiés
Maurice qui vous aime.

Chère Madame
Nous vous espérons tout à fait remise et que le soleil qui donne si fort en ce moment va vous guérir ce vieux rhume.
Maurice tousse de moins en moins et vous verrez sa bonne mine. J’espère que vous viendrez constater par vous-même mais vous savez il est très paresseux et n’était pas très obéissant ; depuis 4 jours, il est plus gentil. Samedi dernier nous avons été à l’inhumation du frère ainé de mon mari… Maurice est resté avec Geneviève.

Berville, le 24 septembre 1933

Chers parents
J’ai bien reçu votre lettre qui m’a fait grand plaisir. J’arriverai demain au train de l’après midi ou je conte te voir come la dernière foie
Je suis content de mes vacances mais les derniers temps il ne fesait pas très beau j espere que demain il fera meilleur je ne trouve plus rien a vous dire que vous vous embrassé.
Maurice
Geneviève et m et Mme Vilon se jointe a moi et vous embrassent.

avril 34, Berville, Haute-Normandie

En 1934, Maurice ne doit pas avoir loin de 10 ans. Je n’ai pas de photo de lui alors je l’imagine mal. Mais il parait chétif. Sa mère s’inquiète pour sa santé. Il a du mal à prendre du poids. Lui, le petit garçon sillonne la campagne à bicyclette la tête au vent. C’est les vacances. Il en profite. Le printemps à Paris a été agité. La rue a été le théâtre de manifestations et de violents affrontements. Il y a des jours où Maurice a dû rester enfermé. A Berville, il va où bon lui semble sauf si Mme Vilon s’y oppose. C’est une dame très consciencieuse, elle a plaisir à écrire à la mère de Maurice pour lui faire son rapport. Mais dans son genre, il est plutôt bien tombé.

Berville, le 20 avril 1934

Chers Parents
J’espère que vous allez bien et que papa va mieux. Hier tante Marcelle est venue déjeuner et m’a donné une boite de bonbons pour ma fête. Aujourd’hui avant qu’il pleuve nous avons été Monsieur Vilon et moi chercher des escargots et nous sommes revenus qu’avec des pissenlits. Le Matin je me lève qu’à 9h et je joue toute l’après-midi avec mes camarades.
Bien le bonjour à mes tantes. Je termine ma lettre en vous embrassant tous deux bien fort.
Votre Maurice

Berville, le 25 avril 1934

Chère Madame
Maurice va très bien, ne se plaint pas, et à sa bonne mine et son bon appétit on voit qu’il est en bonne santé.
La liste des carte à écrire l’a un peu effrayé mais je lui ferai écrire un jour de pluie. Geneviève se remet assez vite, elle a encore du mal à marcher mais après une pareille secousse ce n’est pas très étonnant. Maurice n’a rien sû.
Peut-être viendrez vous rechercher Maurice cela nous fera plaisir de vous voir.

Berville, le 29 avril 1934

Chers parents
J’espère que vous allez bien et que papa va mieux. Je me plais bien je joue et je fais mes devoirs de vacances. Je profite bien. Monsieur et Madame Vilon se joignent à moi pour vous embrasser. Bon baiser de ma part à mes tantes.
Votre fils qui vous aime
Maurice

Chere Madame
Votre lettre a remis le caractère de Maurice il était allé seul consulter pour sa bicyclette je ne voulais pas qu’il fasse réparer sans votre avis. Maintenant il est content et a le sourire.
Son rhume se décole bien il a bon appétit et dort bien, il se repose car il n’a pas encore été en plaine (pour se promener, je lui ai fait mettre un tricot). Monsieur le Curé a demandé à Maurice d’aller aider aux guirlandes à l’église. Il ne veut pas.

juillet 34, Berville, Haute-Normandie

Cette fois Maurice est parti avant la fin des classes ; ses parents ont jugé qu’il serait mieux avec les Vilon. Il faut dire que son père n’est pas en forme ; sa santé décline. Son épouse s’inquiète. Maurice fatigue vite son père à la maison. En partant à Berville, il a raté au bois de Vincennes l’ouverture du parc zoologique et son fameux rocher aux singes dont tout le monde parle alors. Mais il découvre en Normandie le cinéma permanent. Ça va être sa grande passion. Il rêve devant les actrices au fond de la salle obscure.

Berville, le 8 juin 1934

Chers parents
J’ai bien reçu votre lettre vendredi. Dimanche, j’ai été à la fête et 3 fois au cinéma ce n’était pas mal. On a commencé la moisson hier. Charles était sur la faucheuse Nicole se porte bien. J’ai déjà grossi je pèse 35 kg 600 Je mange bien, je dort bien je vais à la plaine je suis content que vous veniez me chercher. J’ai vu Mme Melina elle va bien ainsi que Mathilde. Je n’ai plus rien à vous dire. Toute la famille se joint et vous adresse toutes leurs amitiés. Je vous embrasse bien fort
Maurice

Berville en Caux, le 17 juillet

Chers parents
Nous avons bien reçu votre lettre et j’ai été portée la bicyclette à Mr Goudou elle sera prête a 1 heure. Nous avons chaud ici aussi. Tout le monde va bien. Mme Mélina m’a dit de bien embrasser tante Jeanne et qu’elle voudrait bien la recevoir si tante jeanne avait quelques jours de vacances.
Je termine ma lettre en vous embrassant tous bien fort
Maurice

Berville, le 29 juillet 34

Chers parents
J’espère que vous allez bien quand à moi je joue avec Fidèle et Riquette. Hier j’ai été à Doudeville en bicyclette avant hier à Criquetot chez Marcelle
Aujourd’hui c’est la madeleine à Berville mais il n’y aura pas de jeux. La semaine dernière j’ai été en auto avec Mr le curé à Doudeville, Yvetot avec madame Vilon. Je vous embrasse bien fort
Votre fils qui vous aime Maurice

Chere Madame
Vous excuserez Maurice de la tache apercue trop tard car il aurait fallu recommencer la lettre et l’heure de la messe arrivait. Il s’applique beaucoup à ses cartes et sont très bien écrites. Ne vous en faites pas pour lui, il se laisse vivre, par son poids vous verrez qu’il a bon appétit et dort bien. Il devient bel enfant et est très sage avec nous. La seule contrariété c’est décrire ses cartes mais je n’ai pas cédé.

Chere Madame
nous sommes contents de savoir que vous viendrez. Nous inviterons Mélina à manger avec nous le dimanche midi.

aout 34, Colonie de vacances de Bionnay, Haute-Savoie

Maurice n’est resté que peu de temps à Paris en rentrant de Berville cette année ; ses parents l’ont inscrit dans une colonie de vacances. Une nouveauté en cette année 1934. Adieu la Normandie, direction la Savoie et ses montagnes. Fini aussi la grasse matinée et la petite vie familiale, désormais Maurice entre dans la vie collective : à 7h, réveil, ouverture des lits, toilette, réfection des lits et habillage, 8h petit déjeuner, 8h30 corvées communes, 9h exercices physiques, puis le reste de la matinée des petits jeux ou une courte promenade. Et ainsi de suite jusqu’au soir avec entre 14h et 16h la correspondance, les devoirs et la lecture. À Bionnay, puisque c’est le nom de la colonie, il ne va pas s’ennuyer sous l’œil attentif mais ferme des animateurs.

Colonie de vacances de Bionnay, le 15 aout 1934

Chers parents
Je suis bien arrivé. Ici je me plais bien on ne mange pas mal. Les surveillants sont très gentils. La fenêtre où il y a une croix est ou je couche je t’écris cette lettre assis au pas d’une table et j’écris au crayon. Je termine ma lettre en t’embrasser bien fort
Maurice
Bon souvenir de Mr Elie

Bionnay, le 22 aout 1934

Chers parents
J’ai bien reçu votre lettre. J’y ai lu que M. François t’avait dis qu’il fesait froid mais ça ne fut que le premier jour. Je n’ais pas besoin de vêtements.
Ici il fait bon, il y a des balançoires un tobogan des ballons des raquettes des cereceaux on mange bien on dort bien je n’ai encore rien dépensé. On est entrain de mettre 1 clocher a la chapelle.
Chers maman et papa je vous embrasse bien fort ainsi que mes tantes
Maurice

Il y a encore cette dernière lettre de Maurice, puis le jeune garçon disparaît. Je ne sais ce qu’il est devenu ; a t-il continué à partir l’été en Savoie ; est-il retourné dans la ferme normande? Je l’ignore. Et de ce lieu, de cette famille, je ne sais rien d’autre ; ces lettres les font sortir du retrait, elles font exister cette ferme et sa fonction de refuge.

Colonie de vacances de Bionnay, le 5 septembre

Chers parents
J’ai bien reçu votre lettre qui m’a fait plaisir ; j’ai acheté une paire d’espadrille a 6fr 50 un carnet de cartes de la colonie. Hier nous avons été au Mont Joly j’ai acheté de la limonade une bouteille a 2 fr, il ne me reste plus que 2 ou 3 fr. Si tu veux m’en envoyer je veux bien avec la lettre je t’envoie une photo ou tu me verras je ne suis pas bien peigné et l’on ne me voit que la tête. Je ne vois plus rien à te dire. Embrassez bien mes tantes si tu leur écris
Bons baisers à tous
Maurice

 

Publié le 6 avril 2021
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