Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

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Des étudiant·e·s face aux vitrines – ép. 6 : les masques et la crosse

En 2023-2024, Tristan Martine, maître de conférences à Lille, a recommencé avec ses étudiant·e·s de master l'exercice des histoires sous vitrine, initié un an plus tôt en collaboration avec sa collègue Marie Derrien. Une saison 2, donc, toujours inspirée par Entre-Temps, et dont nous publions à nouveau quelques textes, en trois épisodes supplémentaires. Aujourd'hui, on s'arrête devant trois masques dressés au Quai Branly et on observe l'Œuvre de Limoges depuis Lens.

Les trois masques du Phi Ta Khon

Au cœur de Paris, le prestigieux musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Ce musée abrite une vaste collection d’objets culturels, artistiques et spirituels provenant des quatre coins du monde : Afrique, Asie, Océanie et Amérique. Avec un budget annuel de plus de 50 millions d’euros, il attire chaque année près de 1,35 million de visiteurs, s’imposant ainsi comme l’un des musées ethnographiques les plus visités au monde. Dans la partie « Asie du Sud-Est », une vitrine attire notre attention. Elle abrite trois masques, les masques du « festival des fantômes », aussi appelé Phi Ta Khon. La vitrine est installée dans un bâtiment moderne de 10 000 m², imaginé par l’architecte Jean Nouvel. Elle fait partie d’une collection impressionnante, au sein de l’exposition permanente mise en place par Julien Rousseau, conservateur du patrimoine et responsable scientifique de l’unité patrimoniale Asie du musée.

Nous passons forcément devant cette vitrine, qui se situe en plein milieu du parcours de l’exposition. On peut tourner autour, afin d’observer les masques sous tous les angles. D’aspect rectangulaire et verticale, la vitrine s’étend jusqu’au plafond de la salle et couvre toute la hauteur. Elle est bordée de teinte noire sur l’un de ses côtés, avec une note à propos de l’exposition sur le côté droit. Dans la vitrine, trois masques sont disposés les uns à côté des autres, chacun étant soutenu par une fine barre en fer noire. On les trouve uniquement dans la province de Loei, au nord-est de la Thaïlande. Ces masques sont utilisés lors de la fête Phi Ta Khon, qui célèbre la sortie annuelle d’esprits protecteurs veillant sur une personne, une famille, une communauté ou un lieu spécifique : les génies tutélaires.

L’atmosphère du musée est particulière, il fait assez sombre, les lumières sont tamisées et les masques sont légèrement éclairés par des spots lumineux. Cette lumière synthétique, projetée d’en haut sur les masques, donne une vue d’ensemble de la vitrine. Notre regard porte sur le masque central qui semble être le plus travaillé, puis sur celui à gauche et à droite. La variation de hauteur entre les trois masques créé une sorte de déséquilibre, amenant du dynamisme.

Le premier masque présente un décor noir et or en relief représentant une tête de Garuda. Le deuxième masque, au centre, présente une peinture d’un temple angkorien. Le dernier masque est un masque de style « ancien » de couleur blanche, rouge et noire. Le masque du milieu est surélevé par rapport aux deux autres.

Il y a une volonté de replacer ces masques dans leur contexte spirituel et rituel. Ils symbolisent les trois jours de la fête Phi Ta Khon. Le premier masque est associé au jour cérémoniel, le deuxième paraît plus « festif », comme la deuxième journée de la fête. Le dernier, plus sobre, renvoie au jour consacré aux prières et sermons. Les masques semblent être positionnés comme sur un podium, avec une volonté de jouer sur les couleurs, afin de mettre l’accent sur le masque central.

Très peu de détails sur l’histoire et le rituel liés à ces objets accompagnent la vitrine. L’accent est mis sur la valeur esthétique et symbolique des objets. Cela contraste avec les autres vitrines de l’exposition, souvent regroupées par thématique. Dès lors que nous nous positionnons en face des masques, nous avons l’impression qu’ils nous regardent, comme pour nous inviter à en apprendre plus sur leurs histoires. L’ambivalence entre les couleurs vives de la vitrine et l’atmosphère sombre du musée interroge : une manière de représenter la dualité traditionnelle entre la vie et à la mort ?

Leïla Cissé, Maxime Degrys, Papa Ngor Dieng

Limoges à l’œuvre à Lens

Le Louvre-Lens est le résultat d’une intention, celle de sortir le Louvre de Paris, de rendre plus accessible ses collections grâce à un « Louvre hors-les-murs ». Ce projet cristallise plusieurs objectifs à l’échelon régional, allant de la redynamisation du bassin minier à une accessibilité plus importante à la culture. Sa conception a mené à la création de 3 salles d’expositions : la Galerie des expositions temporaires, le Pavillon de verre et, enfin, la Galerie du Temps. Cette dernière accueille la seule exposition permanente du Louvre-Lens : elle présente plus de 200 œuvres du IVe millénaire avant notre ère au XIXe siècle, dont la grande majorité est prêtée par le Louvre et le Quai Branly. Malgré son caractère permanent, un roulement des œuvres présentées s’effectue afin de renouveler l’exposition au fil des années. Une fois arrivé dans la galerie, le visiteur se retrouve face à de nombreuses vitrines, couvrant des thématiques différentes sur l’ensemble des périodes envisagées.  

La Galerie du Temps fait un choix audacieux de scénographie, à savoir le décloisonnement total de ses œuvres. Cela permet au visiteur d’expérimenter une totale liberté de mouvement : il ne doit en aucun cas suivre un parcours prédéfini et peut aller où bon lui semble. Un open-space d’exposition en somme. Cette absence de cloison contribue à l’appréciation de l’œuvre, le visiteur pouvant ainsi l’observer sous toutes les coutures.

Vers le milieu de la galerie, dans la partie Moyen Âge / Chrétienté d’Occident, les premières églises, une vitrine parmi d’autres. À première vue, il est facile de passer à côté lorsque l’on regarde d’autres œuvres plus impressionnantes. Mais celle-ci se démarque par la qualité de ses objets, mis en valeur par une lumière zénithale. En effet, on y trouve un élément de bâton pastoral, à savoir la crosse, ainsi qu’un reliquaire en forme d’église, présentant la crucifixion. Seule la crosse fait preuve d’une disposition particulière, celle-ci étant posée à l’extrémité d’un support vertical et permettant au spectateur d’imaginer l’objet dans son entièreté.

Ces deux objets présentent un intérêt historique certain, témoins de la liturgie catholique aux alentours de l’an 1200. Cette historicité semble pourtant mise de côté, tandis que l’aspect précieux des objets apparaît comme la raison de leur réunion dans une même vitrine. En effet, le cartel reste léger sur le rôle et l’importance de ces objets. Bien que celui-ci précise le lieu de provenance, à savoir Limoges, rien n’est dit sur les liens entre la localisation et la production de ces objets. Le visiteur doit se renseigner lui-même, sur le site du musée ou ailleurs, pour découvrir que Limoges est alors, aux alentours de 1200, un grand centre de production d’émaux sur cuivre doré – le fameux Œuvre de Limoges – justifiant ainsi la mise sous vitrine de ces deux objets.

Dorian Gamon, Noah Dufour 

Publié le 14 janvier 2025
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