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Introduction à l'enquête sur l'Anomalie

L’équipe du laboratoire sauvage « Désorceler la finance » propose, sur Entre-Temps, de déployer un récit rétrofuturiste en quatre temps. Suivant les travaux de Donna Haraway sur le pouvoir de la fiction spéculative, ces quatre textes explorent la possibilité d’une bifurcation vers un monde post-capitaliste. Du rapport d’enquête au témoignage, ils naviguent aux frontières de l’écriture créative et de la méthodologie historique. Cette semaine, le premier temps : le récit de la découverte, en 2142, du disque dur de la revue Entre-Temps, contenant les trois textes publiés à l’hiver 2021-2022.

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Moulin à prières du Pangolin, base d’une œuvre de Julien Celdran présentée à la Biennale de l’Image Possible de Liège (2020). Crédits: Laboratoire sauvage Désorceler la finance

Après son exploitation par des spécialistes d’archéo-hacking, il apparaît que le disque dur retrouvé par mon équipe contient les archives digitales de la revue Entre-Temps, une revue d’histoire active au début des années 2020. Je me permets d’attirer l’attention de mes collègues sur ces archives inédites : elles permettent à mon sens d’ajouter une pièce significative au puzzle de la compréhension des événements survenus au milieu du 21ème siècle, entre la fin du capitalisme tardif et le début de notre ère post-capitaliste.

Je me concentre en particulier sur trois de ces textes, parus durant l’hiver 2021-2022 (d’après les dates mentionnées sur les billets). Les textes sont signés du « laboratoire sauvage de recherches expérimentales Désorceler la finance », un collectif actif aux alentours de la ville de Bruxelles (en plein cœur de l’actuelle Flandrie du Nord). Après recoupement avec d’autres archives de la même période, il apparaît que le collectif recensait 16 membres (artistes, activistes, chercheuses et chercheurs), réunis par leur désir commun de provoquer le « basculement vers un monde post-financier ». Membres dont le parcours individuel s’est perdu dans le tumulte historique du 21ème siècle.

Dans ces trois billets, les membres du laboratoire sauvage Désorceler la finance s’attachent à réaliser ce qu’il faut bien appeler une « archéologie du présent ». Ils se positionnent dans ce qui était pour eux le futur (et qui est pour nous le présent : les années 2100) et mettent en œuvre des techniques historiques, archéologiques et paléontologiques de pointe pour identifier les traces de la bifurcation entre leur époque et la nôtre. Ils développent ainsi une méthode historique pour façonner le futur, que je qualifierais de « rétrofuturiste ». Ces textes font écho à d’autres méthodes similaires, dont mes collègues archéo-hackers ont retrouvé les traces dans des disques durs de part et d’autre de l’océan Atlantique. Je fais référence au mouvement de la « fabulation spéculative » incarné par des chercheuses comme Donna Haraway, Vinciane Despret et d’autres, qui brouilla activement les frontières entre réalité et spéculation dans les années 2010.

En lisant ces trois textes, je demeure frappée par l’acuité de ce qu’il faut bien appeler leurs anticipations historiques. Les pistes envisagées : le développement du blob, l’épisode de spéculation générale ou les rituels magiques, font aujourd’hui partie des principales hypothèses pour expliquer notre bifurcation du capitalisme tardif au siècle dernier. Suivant la conception classique de l’histoire d’après laquelle on fait une histoire des faits qui sont advenus (et pas des faits à venir), on aurait pu penser que ces hypothèses étaient apparues après ladite bifurcation. Pourtant, à la lecture des archives digitales de ce disque dur des années 2020, il semble bien que les analyses historiques publiées dans la revue Entre-Temps aient précédé de plusieurs décennies les événements qu’ils décrivaient. Il semble même que leur but était que ces événements adviennent.

Signé : Tiphaine Montès, dite Tif la Mouche, dite Tif, capitalistologue.

Publié le 16 novembre 2021
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