Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

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Intérieurs. Ép. 8 et fin : Tentative d’enquête à partir d’annonces immobilières parisiennes parues sur Internet

Entrée, salon, cuisine, chambre à coucher... Comment aménage-t-on son chez-soi ? Et les photographies, les textes qui capturent ces espaces et leur mobilier, que révèlent-ils de celles et ceux qui y ont habité ? Au cours de huit épisodes, Philippe Artières a entrouvert la porte des intérieurs, ceux d'inconnus, de personnages de fiction, et parfois les siens. Une balade d'une pièce, d'un objet ou d'une vie à l'autre, au gré des images mentales qu'on s'en fait. Pour finir cette série, une enquête, qui elle ne fait que commencer : sur les intérieurs du centre de Paris que laissent entrevoir les annonces d'Internet. Comment sont-ils présentés, sous quel angle et dans quelle perspective ? Tout est affaire de décor, sans grand chose à l'intérieur.

Nos intérieurs sur écran

Un bon moyen d’entrer aujourd’hui dans les appartements de nos contemporains est, depuis les années 2000, de consulter les offres de location et de vente d’appartements. Le début du XXIe siècle a vu les échanges d’appartements et les locations temporaires de logement particulier se développer massivement. Le marché de la location de logements meublés s’est métamorphosé. En 2016, dans le rapport de mission conjointe de l’Inspection des finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable établi par Paul Bazin, Marianne Leblanc-Laugier rappelle que : 

historiquement, la location meublée est composée de deux types de biens locatifs : les logements meublés diffus et les chambres d’hôtel meublées. Ce « système du garni » né dans la deuxième moitié du XIXe siècle pour répondre aux besoins de logements provoqués par les premières vagues migratoires vers les centres urbains a reposé jusqu’à la fin des année 1930 sur une offre majoritairement composée de chambres d’hôtels, le meublé en diffus ne jouant qu’un rôle d’appoint. Son déclin a débuté après la Seconde guerre mondiale : le contexte de forte pénurie de logements a rendu moins pertinente sa fonction d’habitat de transition vers le locatif nu du fait de la sédentarisation des occupants. 

Puis, « offrant des conditions d’habitat de plus en plus médiocres au regard de l’ensemble du parc qui se modernise, exclu du champ des aides publiques dans un marché en mutation, [le garni] entre dans la première phase d’unedégradation irréversible que les décennies suivantes confirmeront » écrivent Claire Levy-Vroelant et Alain Faure dans Une chambre en ville : hôtels meublés et garnis à Paris 1860-1990, paru aux éditions Créaphis en 2007. 

Les données statistiques mettent en évidence l’évolution divergente des deux sous-catégories depuis les années 1970. L’offre en hôtels meublés a connu une régression très importante (160 000 chambres en France en 1975, 18 350 en 2012) tandis que l’offre de logements meublés diffus a fortement progressé (de moins de 250 000 logements en 1975 à 659 211 en 2012). Les hôtels meublés ne représentent plus, en 2012, que 3 % de l’offre locative meublée (6 % à Paris) au lieu de 40 % en 1975 (80 % à Paris).

Il suffit de consulter les annonces immobilières pour s’en convaincre. Dans les années 1930, on lisait dans Le Figaro ces annonces de location d’appartements meublés :

16 mars 1932
TROCADERO. appt priv. b. meubl., 6 p. pr.  tt cft. Px mod. Tél. Ség. 12-44.Ag.s’abst. 
ETOILE, pied-à-terre de luxe dans hôt. part. à louer au mois, 1.600 fr. Tt cft, serv. comp. S’adr. O, r. KeppIer.Pas. 13-62 
Appart. part. décor. luxueuse, 3 p., ttcft, loy. 1.700 fr. par mois. S’adr. Conc, 5, av. St-Honoré-d’Eylau (Dans, av. Malakoff). 
Cêd. appt neuf, tt conf., 3 ch., mobil. mod. moit. prix. Visit. 14 à 17 h. Fuenzalida, 65, avenue de Suffren. Interm. s’abstenir 

12 mai 1932
MONCEAU. App.luxe et ensol. Beau moderne, 3 p., entr., bain, cuis., tél., linge, serv. Immeuble part. 31, r. de Chazelles. Carnot 31-80. 

25 février 1938
Délicieux appartement meublé, 3 pièces, 6e étage, avec balcon. 12, rue Tronchet. 
Beaux appart. meublés 5 et 6 piêc. Conf.  ED. LARGIER, 32. Bd Malesherbe. 
Champs-Elysées (près). Appt 4 grandes pièces luxueusem. meublées. Inv. 17-72.

Si certains continuent à louer à l’année des appartements meublés, ce sont surtout des locations pour de courts séjours qui dominent aujourd’hui dans les centres villes des grandes cités. L’intérieur compte davantage désormais. On loue certes un logement bien localisé, mais aussi le mieux équipé, ou le plus charmant. 

La loi dite Alur de 2014 a encadré ces nouvelles pratiques, suivi d’une série de décrets d’application. Il s’agissait notamment pour le législateur de préciser sa définition du meublé ainsi formulée dans la loi « un logement décent équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisant pour permettre aux locataires d’y dormir, manger et vivre convenablementau regard des exigences de la vie courante ».

Publié le 5 août 2015, un décret d’application précisait la liste des objets de cet intérieur :

  • literie comprenant couette ou couverture ;
  • volets, stores, rideaux ou autre « dispositif d’occultation des fenêtres dans les pièces destinées à être utilisées comme chambre à coucher » ;
  • plaques de cuisson ;
  • four ou four à micro-ondes ;
  • réfrigérateur et congélateur, ou au minimum, un réfrigérateur doté d’un compartiment de congélation (température inférieure ou égale à -6°C) ;
  • vaisselle nécessaire à la prise des repas ;
  • ustensiles de cuisine ;
  • table et sièges ;
  • étagères de rangement ;
  • luminaires ;
  • matériel d’entretien ménager adapté au logement.

Avouons-le, nous avons été déçus car la loi appauvrit les intérieurs. Sa description se limite à la cuisine, entre à peine dans la chambre mais ne fait aucun cas de la salle de bain ni d’un éventuel espace de détente. Heureusement la pratique de l’annonce immobilière s’étant elle aussi déplacée du journal et de la vitrine à Internet, elle propose un nouveau type de publicité pour ces offres d’acquisition ; la visite se fait d’abord par des images d’intérieurs encore meublés. Ces annonces sur les sites des agences immobilières offrent un terrain d’enquête inédit et stimulant. On peut entrer chez son voisin sans prendre des jumelles, on peut connaître la couleur du canapé les divers meubles qui composent l’intérieur du couple qui s’installe au 3e étage gauche sans passer une journée entière à observer le déchargement de leur camion de déménagement. Mieux, on pourra tranquillement à partir des photographies dresser des inventaires et tracer des plans de l’agencement de l’habitat de celles et ceux qui habitent à côté de chez nous. 

Les biais de l’enquête

Je n’ai donc pas résisté, j’ai filé sur Internet regarder ; je suis tombé sur les appartements d’ami·e·s qui, pour arrondir leur fin de mois, louaient leur logement l’été ou les longs ponts du mois de mai, j’ai découvert l’intérieur d’immenses lofts et autres « espaces atypiques », j’ai parcouru les grandes pièces richement meublées des appartements du 8e arrondissement… Je mesure rapidement les biais qu’il y a à mener une telle entreprise. 

Les images présentent évidemment ces appartements sous leur meilleur profil : les chambres des enfants n’ont jamais été aussi bien rangées – imaginez la chambre d’Antoine Doinel enfant repeinte et remeublée –, il n’y a pas de bouteilles qui trainent sur le bar de la cuisine américaine, pas plus qu’il n’y a de piles de journaux sur la table basse : ça sent le propre. Tout est clean. On se demande même parfois si quelqu’un s’est assis un jour dans ce canapé tellement il est immaculé. La table n’est pas pour autant dressée comme chez Marie-Thé, et sur ces photos, on ne prend pas non plus le risque d’un bouquet de fleurs coupées. On fait propre et sobre. Les bibelots si chers à Freud ont été remisés : certes, on met en avant le caractère de l’appartement, mais on évite de faire trop dans l’ancien, et on évite la table-roulante qui « fait vieillot ».

Le biais le plus important touche les appartements meublés à louer. Le propriétaire non seulement s’est inspiré·e au préalable des autres offres, mais, chacun·e des locataires déposant un commentaire après son passage, le loueur s’est empressé de corriger certains aspects. Il a dépersonnalisé le logement, enlevé les photos des grands-parents décédés ou de la famille au grand complet à la plage aux Canaries, mis sous clé les petits secrets, planqué l’intime en somme. Bref, avant de louer et surtout de photographier, on fait le ménage dans tous les sens du terme.

Il y a un troisième biais qu’il me faut mentionner. Je ne suis pas extérieur à cette enquête, je suis moi aussi un sujet social, avec ses goûts et ses préjugés. L’inventaire des meubles de mon propre logement dit bien des choses aussi sur mes aspirations, mes envies et mes frustrations, sur mon mode de vie aussi. Je vis dans 24 m2 sur deux plateaux de 12 m2chacun ; le sol est un béton ciré gris ; tous les murs sont blancs ; sont accrochés de nombreuses photographies ou affiches encadrées ; en bas, il y a un meuble kitchenette en aluminium, face à une fenêtre, puis une petite table carrée avec deux sièges (un tabouret et une chaise) puis, sous une bibliothèque encastrée à trois étagères qui portent une cinquantaine de livres (catalogues d’expos et romans), une autre petite table où sont empilés les derniers livres reçus ou achetés. L’escalier qui mène à l’étage est aussi peint en blanc. Dans la seconde pièce, sont disposés de part et d’autre d’une grande fenêtre : à gauche un bureau avec une chaise et des cartons de rangement, à droite un lit deux personnes recouvert d’un grand drap bleu gris et de 7 coussins (1 petit bleu, 5 gris unis et un cinquième en satin bleu nuit). Face à la fenêtre, sur le mur de la salle de bain (lavabo, douche, wc, peinte en gris) qui occupe le fond de la pièce avec un accès le long du trou de l’escalier, une grosse caisse dans laquelle sont rangés dans du papier bulles des tableaux et des photographies format 50 x 120 cm encadrés et sous verre. Outre la chaise du bureau, il y a une autre assise, un petit tabouret bas. L’intérieur se veut dépouillé et sobre. Il correspond en fait aux canons de l’esthétique contemporaine urbaine : on se croit toujours original et on l’est pas. 

Cette enquête sur les intérieurs au printemps 2020 ne prétendait donc pas dresser un tableau objectif, mais elle avait pour objet la manière dont s’expose aujourd’hui l’intérieur, dont on le met en avant pour que les murs rapportent aussi et d’abord. Elle ne pouvait pas être exhaustive : il y avait des milliers de photos d’appartements parisiens en ligne, et chaque jour un peu plus encore ; elle se concentrait donc sur une minuscule partie, sur un îlot, le mien, dans un arrondissement du centre de la capitale. 

Les questions ayant motivé mon regard furent très variées. Y a-t-il des effets visibles de la mondialisation sur l’intérieur des appartements parisiens (objets exotiques, meubles Ikea …) ? Les coussins sont-ils présents quelle que soit la superficie de l’appartement ? Les voilages ont-ils disparu massivement de même que les plantes vertes ? Les toilettes sont-elles majoritairement blanches ? La photographie urbaine est-elle la principale décoration murale ? Le livre (vert) est-il un objet rare ? Le rose est-elle la couleur dominante des draps et couettes ? ou encore combien de personnes peuvent s’asseoir en même temps dans le salon ? Y a-t-il des objets fragiles ? 

Intérieurs d’un îlot

Ma méthodologie a été des plus simples ; j’ai choisi mon terrain – le bloc dans lequel j’habite : rue Saint-Martin, rue Chapon, rue Beaubourg, rue des Gravilliers, soit une trentaine d’immeubles –, puis je suis parti sur Internet à la recherche des appartement à vendre dans l’îlot et de ceux qui y avaient été vendus récemment ainsi que des meublés en location.

Je me suis ainsi constitué une petite banque d’images sur les appartements qui m’environnaient. On estime à 700 le nombre d’appartements et studios dans le bloc. Je dispose de photographies et d’informations pour une petite minorité d’entre eux (9). Pour que cette enquête puisse être représentative, il faudrait documenter une centaine de logements. C’est donc une lecture très subjective que je propose ici, tout en espérant qu’elle puisse donner envie à quelqu’un de mener une véritable enquête sur le sujet.

Les sources que j’avais alors pu glaner portaient majoritairement sur des petites surfaces et le nombre de photographies varie de 3 à 10.

  • 79 rue des Gravilliers, A. 1 pièce 1 salle de bain 24 m² 2ème étage ; B. 3 pièces 1 salle de bain 62 m² 3ème étage
  • 65 rue des Gravilliers, 2 pièces 1 salle de bain 51 m² 2ème étage
  • 63 rue des Gravilliers, 2 pièces 1 salle de bain 63 m² 2ème étage
  • 61 rue des Gravilliers, 3 pièces 1 salle de bain 78 m² 6ème étage
  • 55 rue des Gravilliers, 2 pièces 1 salle de bain 52 m² 1er étage
  • 89 rue Beaubourg, 1 pièce 1 salle de bain 30 m² 4ème étage
  • 54 rue Chapon, 2 pièces 1 salle de bain 30 m² 5ème étage
  • 56 rue Chapon, 2 pièces 2 salles de bain 26 m² 2ème étage
  • 60 rue Chapon, 2 pièces 1 salle de bain 26 m² 2ème étage

À quoi ressemblent donc ces intérieurs ? Une couleur y domine et détermine l’état d’esprit et le mode de vie qu’on doit y avoir : le blanc. Un blanc immaculé comme si les peintres venaient juste de sortir et que l’odeur de l’acrylique était encore sensible. Un blanc tellement impeccable que l’on pourrait croire qu’il n’y a pas de dehors, la petite poussière grise qui, lorsqu’on ouvre la fenêtre à Paris, vient se déposer chaque jour, été comme hiver, sur toutes les surfaces planes. Un blanc si net que l’on peut avoir l’impression que nul humain ne s’introduit dans cette boite – la porte d’entrée ne figure presque jamais sur les photos en ligne. 

Ce qui est donné à voir est un monde d’objets. Chacun d’entre eux est en un seul exemplaire ou par paire. Il y a une paire de chaises hautes devant l’unique tablette, un canapé, une table basse, un lit double, un miroir, une lampe … Les accessoires sont aussi des pièces uniques : une (petite) poubelle, un tapis (peut-être pour cacher une tache), une photographie (sans figure humaine), une plante (verte), un livre (de poche), un magazine (de décoration). Ce blanc ressemble à celui autoritaire de l’hôpital. Il en impose comme la blouse du médecin : on lui obéit ; bien sûr il trahira au moment du départ les excès, les taches de vin et de nourriture, on y repèrera les empreintes des mains des trop nombreux invités … L’appartement est pour deux, ou moins mais pas plus. Seules deux paires de couverts, d’assiettes, de verres sont dans le placard de la kitchenette. On obéit. On suit les instructions jusqu’à faire du zèle et consacrer une demie journée sur trois jours au « rangement ». Les visiteurs doivent rester invisibles, tout comme dans la cage d’escalier commune le code de la boite à clé doit rester secret.

Il existe bien sûr quelques contre-exemples : ce sont les appartements atypiques, « artistes » ou « intellos » ; le confort y est limité sans être absent. Mais ce qu’on donne à voir est l’authenticité : les locataires pourront le temps d’un week-end se croire artistes ou écrivain·es parisien·ne·s : les bibliothèques sont pleines de livres, la table basse est pleine de magazines culturels, et dans un coin un ensemble de bouteilles d’alcool. Mais là encore, tout est décor. 

Le problème avec les décors intérieurs est qu’au cinéma, ils sont captés en de grands studios sans troisième mur, offrant une profondeur pour la prise de vue. Faire des photos d’un logement de 23 m2 nécessite un véritable savoir-faire ; sans cette compétence, le studio, aussi blanc et confortable soit-il, ressemble à un placard encombré ; l’intérieur accueillant devient un réduit à balais. Tous les efforts sont réduits à zéro. L’intérieur disparaît.

Pour les curieuses et les curieux : le droit nous interdit de reproduire ces images d’intérieurs mais tapez sur votre moteur de recherche le nom de votre rue suivi de « appartement à louer » et menez à votre tour l’enquête


Par ailleurs : « La chambre de vos rêves à portée de main »

Lignes épurées, détails élégants, nuances de gris : voilà comment aménager une chambre à coucher chic et urbaine réservant une place de choix à votre garde-robe.
N’hésitez pas à lire un peu avant de dormir. C’est excellent pour se détendre après une dure journée. La tête de lit SMIM assure un bon soutien dorsal, et [la table de nuit] ROS peut accueillir une lampe de lecture et vos livres du moment.
Un rangement qui met les choses à l’abri de la poussière est toujours une bonne idée, surtout s’il est bien conçu. L’armoire PULT est dotée de portes coulissantes. Pratique dans une petite chambre où la place est comptée.
Les spots à LED JANUQ vous aideront, ainsi que votre partenaire, à trouver vos vêtements dans votre penderie commune. Ils vous aideront à trouver ce que vous cherchez, tout en créant une ambiance chaleureuse.
Pas de penderie sans miroir, n’est-ce pas ? Installez un bon éclairage au-dessus du miroir DALMI et suspendez à proximité vos tenues des jours à venir, cela vous simplifiera la vie.
Disposez quelques repose-pieds ZURI l’un à côté de l’autre pour créer une banquette où vous pourrez vous asseoir pour mettre vos chaussures. VINUS comprend un compartiment de rangement, parfait pour les articles saisonniers.
Un rangement mural aux détails bien pensés sera à la fois pratique et élégant dans la chambre à coucher. Choisissez des patères équipées de boutons sans fioritures qui feront l’affaire quelle que soit la mode du moment en matière d’accessoires.

www.lachambredevosreves.fr [site devenu non accessible au moment de la publication de cet article]

Publié le 11 juin 2025
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