Histoires sonores

Jouez cornets à bouquin, harpes, oud et shakuhachis ; parlez, chantez, criez gens des villes et des campagnes ; tintez cloches, épées, sabots ferrés et marteaux de forges ! Entre-Temps lance une nouvelle série de publications, « Histoires sonores », consacrée à la place des sons dans l’écriture de l’histoire et dans la construction des représentations du passé. La revue dédie ainsi un espace de résonance propre à des réflexions qui ont déjà fait surface dans quelques publications.

Un premier axe visera à approfondir la question de la reconstitution des sons du passé, une première fois abordée dans l’Entre-vue de l’archéomusicologue Mylène Pardoen « Tendre l’oreille ». Avant le développement des techniques de captation audio, ces sons n’ont pas laissé beaucoup de traces directement perceptibles. Plus qu’avec tout autre, la distance avec les voix du passé a même pu sembler infranchissable, l’instrument vocal ne laissant que d’infimes traces matérielles. Il n’empêche : les investigations sur ces sons se multiplient depuis plus d’un demi-siècle tant dans les domaines artistiques que scientifiques.

La notion de paysage sonore (soundscape), développée par le compositeur canadien R. Murray Schafer en 1977, a connu un véritable succès en sciences sociales pour désigner l’ensemble des marqueurs acoustiques – bruits, timbres de voix, musiques – qui caractérisent l’identité d’un espace, d’une communauté, d’une époque[1]. Par ailleurs, depuis Gustav Leonhardt ou Nikolaus Harnoncourt, musiciennes et musiciens se sont plongé·e·s dans les archives, animé·e·s par l’idée qu’on ne jouait ni n’écoutait la musique hier comme on le fait aujourd’hui, et qu’il était possible de faire entendre cette historicité[2]. Toutes ces entreprises ont favorisé et favorisent toujours l’association de chercheurs et chercheuses provenant d’horizons divers, d’artistes, de factrices et facteurs d’instruments, d’ingénieur·e·s du son, et donnent parfois lieu à d’innovantes productions que nous voulons, entre autres, mettre en avant et interroger.

D’autres questionnements en découlent, que la série « Histoires sonores » veut faire résonner. Comment conserve-t-on désormais les traces des sons du passé, les objets qui permettent de les produire, de les diffuser, de les enregistrer ? Comment capte-t-on et archive-t-on celles et ceux d’aujourd’hui ? Comment en fait-on l’enseignement ?

Par ailleurs, il nous semble important de tendre l’oreille aux imaginaires sonores du passé. Les sons peut-être plus encore que les images, proposent une expérience sensorielle intense, apparemment immédiate, dans des époques révolues. L’effet de réel provoqué par la construction d’un paysage sonore adapté aux attentes du public est grand. Il faut que « ça sonne médiéval » dans les séries, comme l’analyse Marie-Emmanuelle Torres[3]. Quel matériau sonore utilise-t-on pour évoquer le passé ? Quelles variations connait-il dans une salle de cours, dans un musée, dans un documentaire historique, dans un podcast d’histoire, dans un film, dans une série ? Comment est-il transcrit dans les romans, les bandes dessinées, les œuvres plastiques ? Quels sons faut-il obligatoirement convoquer et quels écarts se permet-on ? Et quelle est l’historicité de ces archétypes sonores ?

Enfin, fidèle à l’esprit d’Entre-Temps, la série « Histoire sonores » veut inviter les professionnel·le·s de l’histoire, chercheuses et chercheurs, enseignantes et enseignants, archivistes, conservateurs et conservatrices, à réfléchir à leurs propres paysages sonores. Dans quel environnement acoustique travaille-t-on ? Nos métiers génèrent-ils des sons spécifiques ? Y a-t-il des timbres vocaux de l’histoire, des sons de l’archive ?
Sans doute. Ce sont les réponses à toutes ces questions que la série « Histoires sonores » veut amplifier.

Plusieurs projets de publications sont déjà en cours. Mais si vous souhaitez ajouter votre timbre à l’ensemble, n’hésitez pas à nous envoyer une proposition de publication (500 mots maximum) à l’adresse entretemps.editorial@gmail.com !

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[1] R. Murray SCHAFER, Le paysage sonore, le monde comme musique, Marseille, Wild Project, 2010 [The Tuning of the World, 1977]. Pour une étude récente des paysages sonores en histoire, voir par exemple Laurent HABLOT & Laurent VISSIÈRE (dir.) Les paysages sonores. Du Moyen Âge à la Renaissance, Rennes, PUR, 2016.

[2] Nikolaus HARNONCOURT, Le discours musical, Paris, Gallimard, 1984 [Musik als Klangrede: Wege zu einem neuen Musikverständnis, 1982].

[3] Marie-Emmanuelle TORRES, « Ça sonne médiéval ! Du fantasme à la reconstitution sonore dans les séries », Médiévales, 2020/78, p. 29-42.