L’hypothèse microcosmique
L’équipe du Laboratoire sauvage Désorceler la finance revient sur Entre-Temps pour poursuivre le déploiement de son récit rétrofuturiste sur l'Anomalie et les possibles d'un monde post-capitaliste. S'inspirant de la pratique des Ateliers de l'Antémonde ou encore des travaux de Donna Haraway sur le pouvoir de la fiction spéculative, il propose trois nouveaux documents du capitalisme tardif mis au jour par des capitalistologues et issus des archives numériques d'Entre-Temps. Du rapport d’enquête au témoignage, ces textes naviguent aux frontières de l’écriture créative et de la méthodologie historique. Cette semaine, est porté à la connaissance de tous un document qui témoigne des méthodes terra-rédactionnelles, ou archéologiques, menées en Flandrie centrale dans le but de comprendre le déclenchement de l'Anomalie.
De : Giordanao_DéCDéFA <DéCentre de DéFormation à l’Archéospéculation>
Pour : DéCHA <DéCentre des Hypothèses Archéospéculatives>
Sujet : L’hypothèse microcosmique
Chères membresses du DéCentre des Hypothèses Archéospéculatives,
J’entame ici une multiligne de correspondance, nourrie de l’espoir, fort peu modeste, qu’elle alimentera les discussions décentrées de votre désOrganisation. Je confesse néanmoins que l’hypothèse que je vais formuler ci-après serait restée à l’état d’intuition au niveau de mon for intérieur[1] si Ursul@ de la Cellule Δ d’enquête sur la bifurcation ne m’avait pas encouragée à vous la partager. Je suis, en effet, fort peu aguerrie aux méthodes de recherche archéospéculative pour lesquelles je me déforme depuis seulement quelques rotations lunaires. Vous saurez donc prendre cette proposition avec toute la prudence qu’elle exige.
Le contexte
Dans le cadre d’un stage au DéCentre d’Archives Orales de l’Anomalie, nous sommes parties en expédition en Flandrie centrale, au niveau de l’ancienne ville de Bruxelles. Notre intention était d’éprouver les méthodes terra-rédactionnelles, que vous connaissez bien, en laissant témoigner le sol à travers nous. Pour cet exercice, je faisais équipe avec la terra-formatrice Brunal Des Pics. Plutôt que de nous diriger vers les zones denses où les ruines matérielles du capitalisme restaient visibles sous la végétation, nous avions choisi un terrain où le démantèlement de l’activité industrielle semblait antérieur à l’Anomalie. Nous nous basions pour cela sur nos perceptions sensorielles mais également sur des relevés topographiques du siècle dernier. Ce n’est donc pas la présence d’artefacts qui nous attirait, au départ, mais leur absence. Nous savons aujourd’hui que ce type de terrain était appelé, avant l’Anomalie, « une friche » et désignait précisément des lieux dans un état transitoire entre un usage (bien souvent industriel) et un autre (logements, commerces, « pépinières » de jeunes entreprises en voie de prédation, etc.). Dans l’attente de sa nouvelle affectation, la friche n’était plus « entretenue » par son propriétaire. C’est ce caractère provisoire qui a volé en éclat quand a été proclamé la « frichisation permanente[2] » dans les premières années de l’Anomalie. Mais je m’égare. Je voulais en arriver au constat que nous étions, manifestement, en train d’arpenter une ancienne friche.
Lorsque le soleil commença à décliner nous nous sommes arrêtées sur une petite butte pour avaler quelques biscuits. Brunal des Pics a la curieuse habitude, lors de ce type de pause, de répartir autour d’elle un peu d’eau et une portion de ses repas. Sa motivation semble à la fois spirituelle et scientifique : nourrir la terre lors de banquets interspécifiques et observer d’éventuelles réactions du sol. Ce casse-croûte ne tarda pas à éveiller l’appétit de quelques compagnon.nes. Parmi elleux, nous avons d’abord repéré uno[3] blob, probablement réveillé par l’eau projetée et attiré par les flocons d’avoines des biscuits. Depuis la publication du « Témoignage de Victorine A sur ‘l’hypothèse blob’ », qui a ranimé l’intérêt porté à cette créature mythique, nous avions appris à mieux la connaître et redécouvert ses appétences gustatives. Séduites et honorées par cette rencontre, nous avons partagé plus largement notre en-cas et vu alors le sol répondre. Tout autour de nous, un rhizome jusqu’ici imperceptible a semblé s’éveiller, s’illuminer d’une puissante teinte jaune. Était-ol endormi depuis quelques heures, quelques années ou quelques décennies ? Plus surprenant encore, lo blob semblait dessiner une forme reliant des points dans un espace de quelques mètres carré. La taupinière sur laquelle nous étions assises nous sembla dès lors appartenir à un ensemble significatif de formes et de symboles organisés.
Le site
Je liste à présent les éléments distinctifs (formes structurelles, vestiges sculpturales, artefacts et écofacts) que nous avons relevés et qui composent ce que nous pouvons appeler, à ce stade, une carte-territoire (cf. le schéma) :
– Trois monticules de terre formant un triangle isocèle avec une distance d’une dizaine de mètres entre les deux sommets de la base ;
– Autour d’un des sommets de la base, des buissons de renouées du Japon[4] que nous avons dû traversés pour observer qu’ils n’étaient pas du tout implantés de façon aléatoire mais formaient quatre rubans circulaires concentriques autour du monticule ;
– Une pile de briques rouges positionnée sur chaque ruban de renouées. Des inscriptions tracées à la craie grasse sont partiellement déchiffrables sur chacune des piles. Nous pouvons lire (en commençant par la pile située sur le ruban intérieur jusqu’à celle située sur le ruban le plus extérieur) : « Qui finance ? », « Qui poss[ède] ? », « [Qui c]onstruit ? », « Qui [oc]cu[pe ?] » (ce que je reporte ici entre crochets n’est pas lisible dans les inscriptions mais me semble être l’interprétation la plus probable) ;
– Autour du deuxième sommet de la base, un hallier de sasseratou[5] que nous avons exploré de façon fort peu plaisante (malgré nos suppliques et nos caresses[6]) pour y découvrir des pancartes en bois.
– Des pancartes en bois (nous en avons comptabilisé cinq), qui n’ont pas toutes résisté à l’usure du temps, jalonnent l’espace de façon régulière. Sur deux d’entre elles, nous parvenons à lire : « Exiger un logement pour toutes et tous » et « Cohabiter avec les vivant.es ». Les autres sont indéchiffrables ;
– Sept socles de quarante centimètres de côté et d’une soixantaine de centimètres de hauteur sont disposés à l’intérieur du réseau de sasseratou de façon moins régulière que les autres éléments mentionnés précédemment ;
– Autour du troisième sommet (celui opposé à la base du triangle formé par les trois monticules), une tranchée de quelques dizaines de centimètres de profondeur se poursuivant dans les rubans de renouée et autour de l’hallier de sasseratou ;
– Uno blob qui s’étend de façon irrégulière en formant des masses autour des trois monticules.
L’hypothèse microcosmogramme d’une friche
Ce que nous avons découvert, et là est ma première hypothèse, est une forme archaïque de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de « microcosmogramme ». Aujourd’hui, on emploie principalement cette méthode cartographique pour comprendre les conflits interspécifiques et nous positionner, en tant qu’humain.es et communautés, dans des cohabitations sereines avec les vivants et les non-vivants. Cependant, la méthode fut initialement inventée, dans un contexte capitalo-tardif, pour voir et agir sur les emprises sorcières capitalistes. D’après Abram Del Sol, les microcosmogrammes archaïques[7] entendaient représenter les forces et les rapports de force qui agitaient les enjeux du logement à Bruxelles (par la suite, d’autres secteurs essentiels à la vie et touchés par la financiarisation furent l’objet d’études et d’actions à travers des microcosmogrammes, notamment la santé et l’alimentation). Leurs auteurs et autrices cartographiaient les acteurs industriels, financiers, institutionnels impliqués dans des situations particulièrement problématiques (nous parlions à l’époque de personnes sans domicile, de manque de logements accessibles aux personnes sans ou avec peu de ressources, d’insalubrité, de pollution dans les villes, de gentrification) et traçaient leurs interactions, leurs intérêts ou stratégies communes. Mais ces microcosmogrammes ne se contentaient pas d’être des schémas de la mécanique sorcière dans laquelle le logement était pris. Ils ne représentaient pas que les réseaux de pouvoir mais aussi ce qui les déborde, les forces instables, les énergies muettes, les coalitions fragiles. Cela passait, dans ces cartes primitives, par l’intégration des expériences et des récits d’habitants et d’habitantes, par la visualisation de tout ce qui vit où qui rôde dans une ville, de ce qui fait du bien, de ce qu’iels voulaient défendre ou de ce dont iels avaient besoin. En définitive, les microcosmogrammes cherchaient à saisir et schématiser l’envoûtement qui touchait leurs habitations et à localiser des zones de frictions, des alliés ou des alliances pour stimuler une contre-offensive sorcière dont le microcosmogramme lui-même était le déclencheur.
Interprétation des éléments relevés sur le site à partir de cette hypothèse
– Forme globale : trois monticules de terre. Nous pouvons supposer que les monticules à la base du triangle isocèle représentent les deux champs de force qui s’opposent frontalement dans le système sorcier que décrit la microcosmogramme. Le troisième sommet semble prendre la position d’un intermédiaire à travers lequel les offensives sont canalisées. Je nommerai ces sommets plus loin et préciserai leurs interactions.
– Zone 1 : des rubans concentriques de renouées avec inscriptions. Il faut se projeter ici dans une installation vieille de plus d’un siècle et s’imaginer que les boutures étaient alors très jeunes au moment de leur « activation ». Les rubans de renouées délimitent quatre bandes[8] dédiées chacune à une fonction essentielle du marché de l’immobilier[9]. De l’information – orale, dessinée, écrite, dansée ou sculptée par la végétation – a certainement disparu mais cette zone a, de toute évidence, une vocation descriptive et stratégique. À mon sens, il s’agissait de voir et nommer les acteurs impliqués dans le capitalisme immobilier, pour saisir les méthodes et les lieux où s’exerce l’emprise et tenter de s’en libérer par des luttes localisées. Le choix de la renouée, quant à lui, est manifestement symbolique. La plante est dévastatrice pour les fondations urbaines et l’on découvrait, à cette époque, son pouvoir potentiel en matière de dépollution des sols post-industriels. Détruire la fonction capitaliste du logement et purifier le sol qu’elle s’était accaparée grâce à des liens souterrains (rhizomes), voilà le projet de ce microcosmogramme vivant.
– Zone 2 : buisson de sasseratou comprenant divers artefacts. Cette deuxième zone semble moins organisée et plus organique que la première. Le buisson est dense mais on perçoit des mouvements, les orties s’entremêlent et tissent parfois des liens, ce qui produit un ensemble très dynamique, nous rappelant une carte des vents ou des courants maritimes. À l’instar de la renouée, le choix du sasseratou, en apparence agressif mais fortifiant pour la vie du sol, semble avant tout symbolique. Cette plante fait le lien entre la vie du sol et la vie aérienne, elle abrite des petits animaux et noue des alliances avec son environnement. Nous pouvons supposer qu’au moment où le microcosmogramme a été réalisé, les plants ou les graines aient permis de relier des points spécifiques de la zone (peut-être les socles) car tel est l’objectif de ces cartes : « créer des liens visuels, des liens cognitifs ou d’imagination, des liens politiques à partir ou avec des données, des récits, des affects » (Abram Del Sol, 2092). Mon hypothèse est, qu’à l’opposé de la fonction capitaliste du logement comme marchandise (Zone 1), soit représentée ici la fonction sociale du logement comme besoin vital (Zone 2). Les inscriptions sur les pancartes en bois (« Exiger un logement pour toutes et tous », « Cohabiter avec les vivant.es ») nous laissent entendre qu’il s’agit de nommer les luttes qui créent les dynamiques et rassemblent les forces pour défaire l’emprise identifiée dans la Zone 1.
– Zone 3 : la tranchée. Celle-ci entoure le monticule et s’étend en direction des Zones 1 et 2. Vers la Zone 1, son expansion en sillons semble suivre les rubans de renouées comme si elle les irriguait (peut-être était-elle remplie d’eau). De l’autre côté, elle ne pénètre pas au cœur de la Zone 2 mais l’entoure partiellement (pour la protéger ou pour l’empêcher de déborder et d’envahir la Zone 1?) À mon sens, la tranchée n’a pas qu’une fonction utilitaire et représente un agent spécifique de la cosmologie du logement. J’y vois le dess(e)in d’un pouvoir central nourrissant, d’une part, sa fonction capitaliste (par exemple par des aides financières, des protections juridiques et autres facilitations) et fabriquant, d’autre part, un « bouclier » fragile de la fonction sociale. Bien évidemment, cette hypothèse nécessitera confirmation.
– Lien transversaux : lo blob. Ol forme des zones de forte densité, dont les localisations sur la carte ne sont certainement pas dues au hasard, et les relie par des filaments plus ténus. Lo blob est intelligent, mystérieux, chaotique et inclassable[10] et il n’est pas exclu, qu’à l’époque capitalo-tardive, cet être eut déjà une aura magique. Au moment où cette carte-territoire a été créée, ol aurait pu servir à positionner les attaques menées par les forces capitalistes sur la fonction sociale de l’habitat et les contre-attaques militanto-sorcières. Nous pourrions même supposer qu’ol transforme ainsi la carte en dispositif stratégique visant à localiser les cibles, les sorts et à activer les contre-sorts.
L’hypothèse rituel
Je vais terminer par quelques mots afin d’évoquer une dernière hypothèse qui me semble la plus significative, dans une perspective terra-rédactionnelle. Pour cela, je dois reprendre brièvement mon récit.
Au lendemain de notre découverte, et afin que nos observations ne s’appuient pas uniquement sur des perceptions visuelles, ma partenaire Brunal Des Pics a souhaité se mettre à l’écoute du sol. Parmi les méthodes terra-rédactionnelles, les pratiques les plus simples sont parfois les plus efficaces. La pratique de « l’écoute » consiste à s’allonger, immobile, face contre terre et à concentrer son attention sur l’ensemble de ses sens. Cette position doit être maintenue une centaine de minutes minimum afin que la danse des petits êtres reprennent autour de soi (et sur soi). À leur hauteur, les perce-oreilles, les éphémères ou autres phasmes, les fleurs de chicorée sauvage ou d’achillée millefeuille viennent parfois murmurer une prose ou mimer un présage. En l’occurrence, et sans trop de surprise, ce fut lo blob lo plus bavard. Nous savons que ces entités ont la capacité de s’exprimer à travers le corps des hôtes qu’elles choisissent ponctuellement. Je transcris ici ce que j’ai réussi à percevoir des quelques paroles de Brunal qui s’était, progressivement, laissée recouvrir par lo blob : « Un rituel pour elleux jusqu’à nous » ; « Planter pour demain » ; « Les habitants habitent, les voix demeurent, les luttent hantent l’espace ».
Les paroles-blob agencent des régimes de significations multiples et denses qui sont toujours plus complexes à interpréter qu’en apparence. Cependant, à partir de cet ensemble, je vais risquer l’hypothèse que ce microcosmogramme ne serait pas qu’une carte stratégique pour organiser la lutte, mais bien le support d’un rituel, effectué pour et avec les habitant.es de Bruxelles et voisin.es de la friche. Ce rituel devait agir sur et par ses participant.es au moment de sa réalisation mais semble aussi conçu pour perdurer, pour sceller un contre-sort dans le temps et pour venir et agir jusqu’à nous.
Nous savions que la cartographie pouvait être « performative », qu’elle ne s’est jamais contentée de décrire le monde et qu’elle a toujours participé à le faire. Mais le caractère exceptionnel de ce site réside dans le déploiement d’une carte sur quatre dimensions (trois dimensions spatiales et une dimension temporelle) devenant un espace de fabrication symbolique, sorcier et politique, du monde. Cette carte vivante et rituelle a pu participer aux prémisses de la « frichisation permanente ». Quant à son lien avec l’Anomalie, elle n’est assurément pas ce qui l’a déclenchée (elle est trop thématique et localisée pour cela) mais elle l’a sans aucun doute accompagnée, comme les nombreuses pratiques des années 2020, que d’aucuns appellent rétrospectivement les années de spéculation générale.
Puissent votre curiosité et votre imagination être attisées par cette hypothèse,
Giordanao,
Du DéCentre de DéFormation à l’Archéospéculation
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[1] En l’occurrence, celui-ci se situe au sortir de mon estomac, dans la section de l’intestin grêle que l’on appelle le duodénum (du latin duodenum digitorum) en référence à sa longueur de douze doigts que doivent parcourir les intuitions qui tantôt me traversent, tantôt se perdent dans d’infinies tresses que ces douze doigts aiment à nouer.
[2] Camille Montès, dite Cam la Pioche, a exhumé un ouvrage paru en 2021, Héritage et fermeture, dans lequel les auteurs Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin évoquent une nécessaire « déprojection des futurs obsolètes ». Cam la Pioche a ainsi supposé que, dans les premières années de l’Anomalie, les urbain.es avaient délibérément choisi la déprojection, devenue « frichisation permanente » et avaient cessé de projeter quoique ce soit sur les sites : ni « régénération urbaine » par une nouvelle occupation de ce qui était perçu comme espace « vide », ni préservation contrôlée comme dans les réserves naturelles. Ce devenir-friche des villes n’a pas empêché que des humains les « habitent » mais sur le mode de l’appartenance plutôt que celui de l’occupation, du cloisonnement ou de la sanctuarisation.
[3] Dans le Glossaire de la finance et de la sorcellerie, création lexicale militanto-spéculative de l’époque capitalo-tardive, la première acception pour l’entrée « Blob » indique « 1. Blob est le nom d’usage du physarum polycephalum, une entité biologique terrestre ne disposant pas de deux “sexes” possibles pour la reproduction mais de sept-cent-vingt (720 !). Afin d’honorer le problème qu’il nous adresse sur nos propres représentations des sexes et des genres, lo blob adoptera ici les articles lo (plutôt que le) et uno (plutôt que un) ainsi que le pronom ol (plutôt que il). » Je choisis d’appliquer ici cette même règle.
[4] Au début du XXIe siècle, la réputation de la renouée du Japon est désastreuse. Elle est considérée comme une plante invasive, capable de fragiliser les investissements fonciers en s’infiltrant dans les fondations en béton des bâtiments. Voir notamment les travaux, datant de cette époque, du designer Jean-Sébastien Poncet qui tenta de la réhabiliter notamment à travers une ferme urbaine dans la ville de Stéphania. Cependant, si la renouée peut devenir une alliée dans la lutte contre l’immobilier, elle a l’ambivalence du pharmakon, remède et poison, et est également nuisible aux espèces végétales locales qu’elle étouffe et empoisonne.
[5] Voici la façon dont le sasseratou, si commun aujourd’hui dans ne nombreux usages, était défini dans les années 2020 : « Nom vernaculaire de l’ortie dans des communautés n’existant pas encore. Cette plante miraculeuse peut être transformée de diverses manières et remplir de multiples fonctions. En purin, elle fortifie et stimule la vie du sol (microfaune/microflore), favorise la germination des semences, améliore la fonction chlorophyllienne, renforce les défenses immunitaires des plantes (biostimulant). Le sasseratou se prépare également en élixir, en infusion ou en poudre, dans lesquels sont valorisées ses propriétés anti-asthénique, diurétique et reminéralisante. […] » Glossaire de la finance et de la sorcellerie, (vers 2020).
[6] La suite de la définition de sasseratou dans le Glossaire de la finance et de la sorcellerie précise : « Le sasseratou est urticant mais de nombreuses méthodes existent pour l’amadouer. Des sorcières racontent qu’il suffit que le cueilleur ou la cueilleuse s’adresse à la plante et lui demande affectueusement de ne pas la piquer pour que celle-ci retienne ses attaques. Il a, par ailleurs, été constaté que des druides évitaient les piqûres en caressant la plante dans le sens du poil. »
[7] À écouter : « Archéologie du microcosmogramme à partir de la pratique du Laboratoire sauvage Désorceler la finance, 2020-2028 », prononcé par Abram Del Sol (2092), zone de Flandrie occidentale, Bois de la carpe, répété par Luna LaPie (2115), zone de Flandrie occidentale, passage du vent nord-ouest.
[8] Comme je l’ai évoqué plus haut, la renouée est une plante sorcière par excellence dont il faut savoir doser l’usage. Il ne fait donc aucun doute qu’elle a été contenue intentionnellement. Cependant, nous ne savons pas encore ce qui a empêché son extension en dehors des « rubans ». Pourquoi ne s’est-elle pas étendue sur tout le site ? Les botanistes auxquelles nous avons raconté cette histoire formulent deux hypothèses, la première repose sur la puissance de la parole symbolique (incantation, sort), la seconde sur la puissance alchimique (potion de la terre). Il est cependant possible que les deux actes aient coexisté.
[9] Pour comprendre comment le piège de la propriété privée s’est refermée sur les populations aux XXe et XXIe siècles et comment sa protection indéfectible par les États a légitimé de violentes atteintes au droit au logement, écouter Arah Taled (2024), « Gesticulation sur la financiarisation du logement », Bruxelles, répété par Lina Loin-de-l’Est (2051).
[10] La seconde acception de l’entrée Blob dans le Glossaire de la finance et de la sorcellerie indique : « 2. Lo blob n’appartient ni aux animaux, ni aux végétaux, ni aux champignons mais se nourrit comme un animal, produit des pigments comme une plante et se reproduit comme un champignon. Ol est un être essentiel car ol bouscule l’arbre du vivant et nous oblige à en repenser les classifications. Ol n’est pas hybride, un peu animal, un peu végétal, un peu champignon : ol est autre. […] »