Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 entre-temps.net

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Seconde introduction à l'enquête sur l'Anomalie

Retour du Laboratoire sauvage Désorceler la finance sur Entre-Temps ! Son élan créatif rétrofuturiste se poursuit avec la mise au jour de trois nouveaux documents issus du disque dur de la revue. Découverts par des capitalistologues d'un temps encore non advenu, publiés en 2023 à l'âge du capitalisme tardif, ces textes rendent compte des réflexions métaspéculatives de ce collectif de désorceleurs, inspiré alors par la pratique des Ateliers de l'Antémonde et la pensée de Donna Haraway ou encore d'Isabelle Stengers. Une fabrique de récits alternatifs autant littéraires que scientifiques qui s'efforcent d'envisager un autre monde, post-capitaliste.

Image d'archive d'un rituel de désenvoutement de la finance
Image d’archive d’un rituel de désenvoutement de la finance

La collaboration patiente et minutieuse d’une petite équipe de capitalistologues permet aujourd’hui de présenter à nos collègues la suite du décryptage du disque dur contenant les archives de la revue Entre-temps. Nous tenons ici à rendre hommage à l’ami Bourgeon-Futur et son intuition cyber-archéologique concernant les travaux de la pionnière Tif La Mouche. Et c’est non sans une certaine fierté que nous présentons à la communauté trois documents que nous avons réussi à identifier comme étant ceux d’une cellule active au tournant des années 2023, le laboratoire sauvage de Désorceler La Finance. Le décryptage du disque dur est encore en cours mais ça nous a semblé important de déjà transmettre trois récits qui plongent les lecteurices dans d’étranges et complexes réflexions métaspéculatives.

Des fouilles connexes dans plusieurs data-centers archéo-hackés ont permis de retrouver le « nuage » correspondant aux fichiers digitaux du laboratoire sauvage, et ainsi mieux saisir leur approche. Ce qui ressort des recherches de manière tout à fait évidente est que cette cellule de désorcèlement de la finance s’inscrivait dans une mouvance de sorcellerie militante et qu’iels pratiquaient une magie matérialiste. Ici pas d’esprits transcendantaux ou mystiques invoqués, mais une volonté d’activer le pouvoir de la spéculation en la performant. La spéculation principale, structurante pour leur action, considérait le capitalisme comme un envoûtement. Ce sort pouvait être renvoyé à l’expéditeur grâce à la participation d’un public invité à des rituels de désenvoûtement de la finance, des sessions de cartomancies, des ateliers de confections d’amulettes protectrices ou de potions donnant de la force.

Le décryptage des documents a permis de montrer que l’invention de nouveaux récits était pour elleux un outil de lutte afin de s’émanciper des narrations dominantes. À plusieurs endroits il est mentionné l’existence d’un Glossaire de la finance et de la sorcellerie, iels avaient donc pris au sérieux le pouvoir des mots. Dans la continuité des réflexions de Tif la mouche, nous ne cessons de nous questionner sur leurs pratiques, et de nous étonner de la puissance des propositions, qui ont fini pour certaines par vraiment se réaliser.

Nous formulons l’hypothèse que leurs textes n’avaient pas de vocation divinatoire ni prédictive, mais étaient plutôt des chemins exploratoires de bifurcations possibles à activer. Selon l’état actuel de nos connaissances sur les anomalies, le laboratoire Désorceler La Finance semble faire partie des premiers collectifs de sorcellerie militantes, aux côtés d’autres telles que la « Cellule d’Actions Rituelles » ou les « witch-block ». En vu de la datation de leur agissement, nous pouvons avancer qu’iels étaient parmi les précurseurs du mouvement de spéculation générale, aux côtés des Ateliers de l’Antémonde ou de certaines écoles d’art inspirées par les figures emblématiques de Donna Haraway, Starhawk et Isabelle Stengers, pour ne citer que les plus connues.

Le premier texte présenté propose une anthropologie de sociétés post-capitalistes, permettant en creux de faire des hypothèses sur l’anomalie. Le second reprend le principe de l’archéologie pour raconter comment les sociétés post-capitalistes tentent de comprendre le déclenchement de l’anomalie. Et le dernier est un récit sur les mouvances de spéculations générales, formulé comme un témoignage de première bouche mis à l’écrit par une personne contemporaine des anomalies.
Les textes trouvés semblent être des moyens de mettre à l’épreuve les discussions théoriques internes à ce Laboratoire et font référence à certaines tensions qui traversaient la théorie critique des années 2020. D’où les dissonances entre les textes, les doutes exprimés, les blancs à combler, les apparentes contradictions. Les récits que nous avons extraits nous apparaissent comme des «expériences» davantage épistémologiques que littéraires. À nos yeux de capitalistologues, ces expériences sont les supports de pensées et d’un répertoire d’actions en gestation. Les hypothèses sur l’anomalie qui les habitent ne semblent exister qu’au moment où le récit les incarnent. La spéculation devient ici une méthode de recherche. Chercher comment en sortir, chercher ce qui pourrait se passer. « Ce qui pourrait se passer » et non pas « ce qui devrait se passer ». Car ces textes écrits à l’ère du capitalisme tardif ne mettent pas en récit le probable. Il s’agit bien plutôt d’examiner les possibles sur le mode du « et si », en déroulant de multiples fils, plus ou moins longs, plus ou moins fragiles, et en examinant les conditions d’existence des hypothèses.

Publié le 7 février 2023
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