La bande dessinée au musée: une visite de l'exposition l'Archéologie en bulles au Louvre
Depuis 2005, le musée du Louvre, sous la houlette de Fabrice Douar, s’est associé aux éditions Futuropolis pour lancer une collection de bandes dessinées. Nicolas de Crécy a inauguré la série en 2005 avec Période Glaciaire et la dernière parution Mujirushi, le signe des rêves de Naoki Urasawa, est sortie en 2018. Parmi les auteurs de la collection on trouve, entre-autres, Marc-Antoine Mathieu, Étienne Davodeau, David Prudhomme ou Enki Bilal. Ce partenariat a initié un dialogue entre le musée et la bande dessinée qui est mis à l’honneur, depuis le 26 septembre dernier, dans l’exposition L’Archéologie en bulles à la Petite Galerie. Trois rotations des œuvres vont se succéder jusqu'au 1er juillet prochain. La deuxième rotation est en cours depuis le 18 décembre, la troisième aura lieu fin mars. Nous avons rencontré son commissaire, Fabrice Douar, qui nous a fait part de la manière dont il a pensé les liens qui unissent la démarche de l’archéologue et du dessinateur de bande dessinée à travers un parcours de l’exposition qui met en regard différentes œuvres, graphiques et archéologiques
Pauline Guillemet : Avant de pénétrer dans l’exposition présentée actuellement à La Petite Galerie du Louvre, pourriez-vous revenir sur l’histoire de ce partenariat entre le musée et Futuropolis et sur la façon dont vous passez, d’une certaine manière, « commande » aux artistes avec qui vous travaillez ?
Fabrice Douar : Ce ne sont pas vraiment des commandes ou alors peut être dans le sens qu’on pouvait lui donner à la Renaissance. Le Louvre et Futuropolis font appel aux auteurs qui leur proposent ensuite une idée d’album. On leur laisse carte-blanche, la seule contrainte est de se servir du Louvre comme d’un matériau scénaristique. Ils peuvent choisir de partir des pièces des collections, du musée dans son ensemble ou bien, comme le font David Prudhomme ou Florent Chavouet, du public en lui-même. Dans Le ciel au-dessus du Louvre, Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière ont aussi choisi de s’intéresser à l’histoire du musée en partant de l’atelier de David, installé au Louvre, durant la Révolution. Le premier album, celui de Nicolas de Crécy, imaginait le Louvre en tant qu’élément archéologique, découvert « dans un futur très lointain », un peu à la manière dont Hubert Robert imaginait, au XVIIIe siècle, le Louvre en ruine.
PG: Vous revenez au XVIIIe siècle et à Hubert Robert – et on peut aussi penser au personnage de Belphégor – on a l’impression que le Louvre est un objet scénaristique particulier. Comment comprenez-vous qu’il ait été, si tôt, investi par l’imagination et qu’il ait inspiré la littérature et la production artistique ?
FD : D’une certaine manière c’était l’ambition première de ce musée, lors de sa fondation comme Museum en 1793. Le palais royal a été transformé en musée universel ouvert au public mais aussi aux artistes pour qu’ils viennent faire des copies des pièces des collections et s’édifier au contact des grands maîtres. Mais cette fonction, qui était constitutive du musée et faisait partie de ses statuts, s’est peu à peu perdue. Des invitations ont été faites vers l’art contemporain comme l’illustre le plafond de Georges Braque mais c’était relativement ponctuel. Il n’y a plus de résidences comme à l’époque royale durant laquelle les artistes avaient leur atelier au sein du palais.
PG : Les auteurs de bandes dessinées avec qui vous avez travaillé n’ont donc pas séjourné sur place comme c’était le cas au XVIIIe siècle, comment se sont-ils alors familiarisés avec le musée ?
FD : Ils ont eu un accès illimité au musée, ils pouvaient y venir autant qu’ils voulaient. Certains ont même dormi sur place et ont passé du temps avec les équipes de nuit. Pour la plupart, ils ont été très impressionnés par cet imposant objet qu’est le Louvre. Plusieurs n’ont pas tout de suite su vers quoi aller face à la multitude des objets présentés. Une manière de mettre cette multitude à distance a été d’en faire une totalité comme Nicolas de Crécy ou David Prudhomme qui ont choisi de travailler sur le musée dans son ensemble.
PG : À l’inverse, est-ce que certains auteurs ont choisi de travailler sur un objet ou une œuvre en particulier ?
FD : Éric Liberge dans Aux heures impairs fait se réveiller, chaque nuit, les mêmes objets du musée. Comme dans un conte fantastique, ces objets ont une âme qu’ils doivent libérer la nuit pour pouvoir rester statique la journée. C’est un gardien particulier du musée qui se charge de les remettre à leur place chaque matin avant l’ouverture. Dans ce cas ce sont plusieurs objets qui reviennent de manière récurrente tandis que dans Le ciel au-dessus du Louvre de Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière, une œuvre, La Mort de Marat de David, tient une place centrale.
Ces pièces « iconiques » sont évidemment davantage représentées et certaines salles du musée sont plus investies que d’autres. Concernant les Arts de l’Islam par exemple, il n’y a que Florent Chavouet qui, en 2015, en a montré un bout. Un autre espace très peu représenté est le Pavillon des Sessions qui accueille un choix d’œuvres préfigurant les Arts premiers au musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac. Le nouvel album de la collection, celui de Christian Lax qui sortira début 2019 s’articule autour d’une statuette représentant une Maternité malienne qui est exposée dans cet espace.
PG : Venons-en maintenant à l’exposition dont vous êtes le commissaire, L’Archéologie en bulles à La Petite Galerie du Louvre. Vous avez voulu mettre en parallèle la démarche du dessinateur de bandes dessinées et celle de l’archéologue. Comment avez-vous pensé le lien entre ces deux démarches ?
FD: Le lien évident entre l’archéologue et l’auteur de bandes dessinées c’est que tous les deux dessinent. Ils ont une approche des objets un peu identiques. L’archéologue fait des relevés du chantier au quotidien mais aussi des croquis en marge de ses carnets qui montrent les objets qu’il a mis au jour.
Léon Adolphe Auguste Belly, Vue de l’acropole d’Athènes © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – Michel Urtado.
Journaux de fouille de George Legrain © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais – Christian Décamps.
On a choisi d’illustrer ce lien en exposant les carnets de l’archéologue George Legrain mais aussi celui de Léon Adolphe Auguste Belly, dessinateur du XIXe siècle qui accompagnait les expéditions archéologiques. En parallèle, nous avons montré des carnets du dessinateur de bandes dessinées Mazan qui suit des campagnes archéologiques et dessine le chantier avec ses tentes, ses instruments et les archéologues sur le terrain. A côté, nous avons placé des carnets de la dessinatrice Isabelle Dethan qui réalise des croquis d’objets trouvés sur les chantiers mais exposés maintenant dans les musées.
Il y a donc eu un passage de relais entre les peintres paysagistes du XIXe siècle comme Belly et les auteurs de bandes dessinées qui sont ceux qui accompagnent aujourd’hui les chantiers de fouilles. Dans la salle suivante on a aussi l’exemple de Sylvain Savoia qui a fait un véritable reportage dessiné de l’expédition archéologique organisée sur l’île de Tromelin pour retracer l’histoire de ceux qu’on a appelé ses « esclaves oubliés »
Ce passage entre la pratique classique du dessin au XVIIIe-XIXe siècles à celle, moins conventionnelle, de la bande dessinée au XXIe siècle, est intéressant. La BD est en quelque sorte un refuge de l’art figuratif dans l’art contemporain. Il y a une forme d’académisme de la bande dessinée vu sous cet angle là.
PG : Que trouve-t-on dans cette exposition ?
FD : Au début de l’exposition, dans la première salle intitulée « Artistes et Archéologues » – où on trouve également les carnets de dessins dont nous avons déjà parlé – nous avons cherché à montrer comment la bande dessinée a représenté la figure de l’archéologue du XIXe siècle à nos jours. Mise à part le manga Master Keaton d’Urasawa au Japon, il n’y a qu’une seule bande dessinée dont le personnage central est un archéologue : il s’agit de Martin Mystère, une bande dessinée italienne des années 80 qui fonctionne sous forme de série. Autrement, les apparitions d’archéologues sont plus ponctuelles.
Ce qui est intéressant c’est qu’au XIXe-début XXe siècle, la bande dessinée montrait l’archéologue en haut-de-forme, c’était l’archéologue des classes aisées, plus « bourgeois » qu’archéologue. Puis, le type de l’aventurier s’est imposé. Aujourd’hui c’est davantage un hurluberlu, un personnage scénaristique, proche de l’enquêteur.
La deuxième salle a pour titre « Trésors archéologiques ». Le trésor, compris comme un coffre rempli d’or ou de pierres précieuses n’est évidemment pas ce qu’on trouve le plus souvent lors des chantiers, mais c’est ce qui fait le plus fantasmer. Nous avons voulu jouer la carte du fantasme en exposant justement le trésor de Boscoreale à côté d’un focus sur l’archéologie sous-marine, autre fantasme de découverte fortuite soit de trésors soit de civilisations disparus. L’Apollon de Piombino, retrouvé dans une épave en Méditerranée en 1832, fait ainsi écho au rêve de tout gosse de retrouver un jour, en nageant, un galion espagnol par exemple rempli d’or ou d’autres trésors. Nous avons exploité l’idée du fantasme de la découverte d’un trésor sur terre ou dans les mers qui est aussi bien un moteur pour l’archéologue que pour le scénario de la bande dessinée.
Apollon de Piombino © RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) – Stéphane Maréchalle.
La troisième salle « Classer pour comprendre » s’intéresse à la manière dont l’archéologue procède dans sa démarche de classification des objets qu’il met au jour en s’inspirant du modèle des sciences naturelles. Il dresse des typologies et pense également l’occupation des sols suivant une stratigraphie qui permet une meilleure datation.
Dans la bande dessinée, comme au cinéma, on exprime cette temporalité sur le mode du flash-back comme l’illustre, par exemple, les deux planches exposées de Philippe Dupuy dans L’Art du chevalement où le personnage se remémore une scène de son adolescence en voyant une œuvre exposée dans une vitrine du Louvre Lens. Dans cette salle, on trouve aussi un exemple de typologie réalisée par Florent Chavouet dans l’Île Louvre par son choix de certaines figures du Louvre qu’il réunies dans une même planche sous une appellation commune.
Florent Chavouet, L’île Louvre © Florent Chavouet.
La dernière salle de l’exposition, la plus importante, est divisée en deux zones.
La zone gauche est organisée chronologiquement en quatre grands moments de l’histoire universelle : la « Préhistoire », le « Moyen Âge », la « Grèce ancienne », l’ « Égypte antique». Dans chacune de ces quatre périodes, nous avons essayé de mettre en lumière, par l’intermédiaire des œuvres dessinées, une compétence nécessaire à l’archéologue pour l’aider à interpréter au mieux l’objet de son étude. Évidemment, ces compétences sont interchangeables d’une période à l’autre, et c’est leur acquisition que doit viser le scientifique. Pour la Préhistoire, à travers Rahan et Silex and the City, la compétence choisie est la question du rapport à la divinité et l’étude des rites sacrés. Pour le Moyen Âge, Prince Vaillant met en lumière le rapport à la cité et l’archéologie urbaine qui en découle. Pour la Grèce, l’œuvre de Frank Miller ou de Manara nous renvoie aux nombreuses armes découvertes et à l’art de la guerre. Pour l’Égypte, le rapport à la mort et donc l’évolution des techniques, en l’occurrence la médecine, est suggéré par des planches de Nicolas de Crécy ou de Flash Gordon et d’autres.
Sur ce dernier point, il y a eu, dans la bande dessinée, une évolution dans le rapport aux momies et aux figures de la mort. Au début du XXe siècle, on était dans la trilogie infernale : Frankenstein, Dracula et les momies qui incarnaient la malédiction. C’était le temps des bandes dessinées d’horreur. Maintenant, on trouve de plus en plus de momies gentilles comme dans Gaspard ou la malédiction du prince fantôme d’Isabelle Dethan. On trouve aussi, dans la seconde rotation de l’exposition, une planche de La fille du professeur de Joann Sfar et Emmanuel Guibert qui raconte l’histoire d’amour entre une momie qui ne veut pas finir au British Museum et une jeune fille qui ne veut pas finir archéologue comme son père.
Cuve de cercueil extérieur de Tamoutnéfret © Musée du Louvre, dist. RMN – Grand Palais – Georges Poncet.
Isabelle Dethan, Gaspard et la malédiction du prince fantôme © Isabelle Dethan – Editions Delcourt – Musée du Louvre Editions 2017.
Dans la zone droite, les auteurs de bandes dessinées s’émancipent de la véritable histoire, ils créent par eux-mêmes des civilisations, des mythes. 40 days dans le désert B de Moebius en est l’exemple type. L’auteur ne se sert de plus aucun objet archéologique et invente des architectures cultuelles et des sortes de rites sacrés qui s’y déroulent.
Ces deux directions permettent de mettre en évidence deux courants : – le courant de la fidélité, incarné par exemple par Prince Vaillant dans les années 50. Les auteurs de bandes dessinées vont rester fidèles à certaines réalités historiques en collaborant, notamment, avec des archéologues, – le courant de l’invention comme Jul avec Silex and the City qui plaque des codes contemporains dans le Paléolithique ou Enki Bilal et sa Foire aux immortels qui fait revivre les dieux égyptiens au XXIe siècle.
L’élément qui conclue cette dernière partie est la référence à la Tour de Babel. Ce mythe a fasciné les auteurs de bandes dessinées qui s’en sont emparé en lui appliquant les codes narratifs de la bande dessinée. Depuis les premiers temps de la bande dessinée jusqu’à aujourd’hui, la Tour de Babel est un sujet central que nous retrouvons même au Japon.
L’exposition se termine sur un pont tendu entre une planche de l’album Période glaciaire de Nicolas de Crécy dans laquelle on suit des archéologues du futur qui découvrent le Louvre pris dans les glaces et la Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines d’Hubert Robert à la fin du XVIIIe siècle. L’idée derrière ce parallèle c’est de montrer que l’archéologie fonctionne de manière cyclique et non linéaire, le site est fouillé puis refermé avant d’être redécouvert une nouvelle fois, ce qui permet d’émettre de nouvelles hypothèses. Il n’y a finalement pas d’essence du lieu mais des successions d’interprétation.
Nicolas de Crécy, Période Glaciaire, page 26 © Nicolas de Crécy.
Hubert Robert, Vue imaginaire de la grande galerie © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – Jean-Gilles Berizzi.
PG : Le fait que l’on retrouve certaines œuvres du musée dans ces bandes dessinées, est-ce une manière de leur donner une nouvelle vie comme ce que fait Enki Bilal avec le casque corinthien dans Les Fantômes du Louvre ?
Casque de type corinthien © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – Hervé Lewandowski.
FD : Ce qui est intéressant dans cette manière de redonner vie aux objets du passé c’est que les archéologues sont dans la même démarche quand ils revêtent aujourd’hui d’anciennes armures pour pratiquer les arts du combat du passé afin de mieux les comprendre (Rémy Besson s’est d’ailleurs entretenu avec Anne Bénichou autour de cette pratique de reenactment pour Entre-Temps, l’entretien est disponible ici). Bilal fait la même chose mais en partant de l’œuvre pour inventer le fantôme qui l’accompagne. C’est une manière d’interroger l’archéologie dans ce qu’elle a de plus hypothétique, quand elle émet des hypothèses en se demandant à qui à pu appartenir tel ou tel objet et à quoi celui-ci pouvait servir. Bilal s’est inspiré des Vies de Vasari en racontant l’histoire des personnages à qui appartenaient ces objets, comme cet Hécube qui aurait porté le casque corinthien présenté dans l’exposition. Il a fait un immense travail documentaire pour rendre son histoire plausible et éviter les anachronismes mais il a glissé un personnage complètement fictif dedans.
Enki Bilal, Hecube, Les fantômes du Louvre, 2012 © Enki Bilal.
PG : Y a-t-il, dans votre démarche, la volonté de réussir à capter un nouveau public ?
FD : C’est, selon moi, un processus qui va dans les deux sens, on vient transformer l’image respective que peuvent avoir des musées en général un lectorat de bandes dessinées plus jeune mais aussi l’image que peuvent avoir de ce lectorat et des auteurs de bandes dessinées, le public habituel du musée. On retrouve une forme de snobisme des deux côtés, de la part de ceux qui considèrent que le musée n’est pas accessible et que les œuvres sont trop absconses mais également de ceux qui vont régulièrement au musée et qui, à l’inverse, considèrent que la bande dessinée n’est pas un art au sens noble du terme. Par cette collection, nous voulons dresser une passerelle pour que ces deux mondes se rencontrent.
PG : On a l’impression qu’aujourd’hui la bande dessinée est investie d’une forte ambition pédagogique, cela a-t-il toujours été le cas ?
FD : Au départ la bande dessinée était confinée au monde du divertissement et n’apparaissait souvent que dans les pages « supplément culturel » du WE avec les mots croisés et le jeu des 7 erreurs. Dans les années 50, certains psychiatres conseillaient même de ne pas faire lire de bandes dessinées aux enfants car c’était ce qui était le plus lu dans les prisons et on la considérait comme un facteur de délinquance.
L’ambition pédagogique est venue plus tard, dans les années 1980-1990 au cours desquelles de nouvelles générations de bibliothécaires ont intégré des bandes dessinées dans leur fonds et au moment où une réflexion sur la pédagogie a fait son entrée dans les lycées et les collèges. Maintenant l’apprentissage de la lecture commence par la bande dessinée et on se sert de ses codes narratifs pour faire passer des messages à destination du plus grand nombre comme dans le métro ou pour les consignes à suivre dans les avions ou en cas d’attentats.
PG : Avez-vous pensé l’analogie qu’on pourrait faire entre les vitrines des musées et les vignettes des bandes dessinées ?
FD : Les succès actuels de la bande dessinée montrent qu’on est dans un monde de la narration, même les pubs sont narratives, on raconte tout le temps une histoire. La bande dessinée est l’art même de la narration et la muséographique fonctionne aussi, en un sens, comme une scénographie narrative. Que l’on soit dans un musée ou que l’on lise une bande dessinée, on nous raconte une histoire. Dans cette exposition, beaucoup d’histoires s’entremêlent : l’histoire de l’objet, de sa découverte, du temps qui passe entre sa découverte et sa présentation dans un musée et finalement l’histoire de la civilisation qui lui a donnée naissance. C’est une histoire qui passe par le recours à des images mémorables, celles des salles de musées et celles des vignettes de bandes dessinées.
PG : Cette exposition est pour l’instant relativement modeste alors que l’on perçoit que les liens qui unissent la bande dessinée et le musée sont étroits. Imaginez-vous qu’elle prenne une autre ampleur ?
FD : En parallèle, j’ai aussi organisé une grande exposition en Asie qui circule depuis plusieurs années. Elle a déjà été montrée à Taiwan et au Japon et elle devrait maintenant aller à Hong Kong puis à Macao. Elle s’appelle Louvre n°9, en référence à la BD comme neuvième art, et reprend tous les originaux des collections du Louvre BD. Année après année on intègre les planches qui paraissent, aujourd’hui cela représente environ 250 à 300 planches originales.
Cette exposition a un énorme succès, à la fois en terme de visiteurs mais aussi en terme d’image. À l’étranger, le Louvre fonctionne comme une marque, sur le modèle de Chanel ou de Louis Vuitton. Au Japon, où l’expo a été montée au Mori Art Museum de Tokyo, le fait de voir le Louvre associé à la bande dessinée, alors que le manga n’est pas considéré comme un art mais davantage comme un divertissement (qu’on jette aussitôt après l’avoir lu), a entrainé une modification du regard porté sur leur propre culture. Le dessinateur de manga y est considéré comme un dieu vivant mais l’art lui même est très dévalorisé.
Les parallèles avec l’Asie sont passionnants car il y a une vraie culture du dessin aussi bien en Chine qu’au Japon. Ce que j’aimerais maintenant c’est que cette exposition revienne dans sa maison mère, au Louvre même.
PG : Cette exposition est-elle le signe que l’on assiste, en France, à une véritable valorisation institutionnelle de la bande dessinée ?
FD : Pour l’instant, aucune œuvre des collections du Louvre, mis à part les originaux des planches de bandes dessinées, n’ont été prêtées par le musée pour cette exposition qui a circulé en Asie. Il semblerait qu’en France, ou du moins au sein du musée, la bande dessinée n’ait pas encore suffisamment trouvé ses lettres de noblesse.
Concernant l’enseignement de la pratique, des formations en dessin de bande dessinée se développent en France, avec notamment l’école européenne supérieure de l’image d’Angoulême ou l’école Estienne mais le chemin vers une véritable institutionnalisation est encore long à parcourir.