Histoire d'un projet
En septembre dernier, au Lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, Damien Boussard (professeur histoire-géographie), Alexis Fradetal (professeur d’économie-gestion) et Solveig Hudhomme (professeure de lettres) ont imaginé et élaboré, avec leurs élèves de première STMG, un projet autour de la question de la construction de la mémoire collective. L’annonce de la panthéonisation de Joséphine Baker les a engagés dans un travail autour du processus d’entrée au Panthéon. Entre-Temps a suivi ce projet et publiera, dans les semaines qui viennent, les différentes réalisations des élèves. Aujourd’hui, le premier temps : les trois enseignant.es reviennent sur l’histoire de ce projet.
“Réfléchir”.
La genèse du projet vient d’une envie de partager une expérience pédagogique entre collègues de trois matières différentes : lettres, histoire-géographie et économie-gestion et de confronter nos expertises disciplinaires pour permettre d’entamer une réflexion globale sur les liens entre la mémoire, les mémoires et l’Histoire.
Au terme de deux années émaillées par un couvre-feu, deux confinements, et surtout l’impossibilité d’engager nos élèves dans le moindre projet « hors les murs », l’idée d’une sortie s’est tout d’abord imposée en elle-même comme une respiration.
“Découvrir”.
Le Panthéon était le lieu idéal pour aborder la thématique centrale de notre projet. Il illustre par sa nature même de nombreuses dialectiques propres à notre démarche. Peut-être ainsi, l’envie s’exprimait-elle de s’extraire d’un espace et d’un temps trop longtemps contraints, ceux du contexte épidémique bien sûr, mais aussi, de manière plus profonde, ceux des territoires dans lesquels nous accompagnons nos élèves.
Ce choix a été présenté aux élèves par une énigme sous forme d’une recherche topographique. La réflexion des élèves nous permettrait plus tard de penser ce monument sous une lumière que nous n’avions pas entrevue au commencement : un temple laïc.
Si les grandes lignes du projet étaient déterminées dès le début de l’année, toutes les réalisations des élèves n’avaient pas été programmées. Il était nécessaire de s’adapter aux élèves et à leur adhésion à notre démarche.
“Introduire”.
Tout a commencé par une rencontre avec Françoise Davisse, réalisatrice du documentaire Histoires d’une nation autour d’une réflexion collective sur la construction de la mémoire et les acteurs de l’histoire. Chacun a pu ainsi se présenter, partager les origines de ses grands-parents ou parents en apposant tout d’abord son nom ainsi que son métier sur un planisphère : il s’agissait pour nous d’allier réflexion historique et questionnement individuel, sans que cette enquête familiale soit toutefois trop confrontante.
La rencontre s’est déroulée sur le temps d’une matinée durant laquelle les élèves ont visionné plusieurs extraits du documentaire de Françoise Davisse : chaque extrait fut l’occasion d’un échange, toujours plus riche à mesure que nous nous approchions des enjeux contemporains.
“Incarner”.
C’est au terme de cette séance que le projet de visite du Panthéon fut exposé à la classe.
À travers l’analyse des témoignages individuels offerts par le documentaire de Françoise Davisse, les élèves ont pu problématiser la notion de grands Hommes comme fruit d’un choix et d’un récit.
C’est à l’aune de ce constat que nous avons proposé aux élèves de mener des recherches et un écrit sur des personnalités honorées au Panthéon : Voltaire, Jean Moulin, Marie Curie, Simone Veil, Louis Braille, Victor Schœlcher, Émile Zola, Victor Hugo, Felix Éboué, Aimé Césaire, Jean Jaurès, René Cassin. Nous leur avons demandé de rédiger la prosopopée de l’une de ces personnalités, discours dont le déclencheur commun serait la question : « Que faites-vous au Panthéon ? » Il s’agissait par là d’inviter les élèves à une appropriation, voire à une incarnation du fruit de leurs recherches.
Ce travail d’écriture impliquait ainsi un questionnement historique et rédactionnel : il nous a fallu réfléchir ensemble à ce qui constituait, au-delà de la restitution du matériau biographique, l’essence du récit introspectif. Pour le dire autrement, les élèves ont dû se confronter à la difficulté de donner chair à des sources tierces, souvent essentiellement factuelles et détournées de toute forme de récit. La difficulté de ce travail dépendait aussi – et il a fallu l’expliciter – de la personnalité même du personnage traité. Ces prosopopées seront données à lire, sur Entre-Temps, dans les semaines qui viennent.
“Problématiser”.
Restait à questionner la nature même du lieu que nous nous proposions de découvrir, questionner son histoire, mettre en perspective sa fonction mémorielle. La confrontation de deux extraits de cérémonies de panthéonisation, celle de Victor Hugo d’une part, et celle de Simone Veil d’autre part, nous a servi de point de départ. Le Panthéon nous est alors apparu dans ses multiples dimensions, lieu d’une célébration collective et populaire, lieu de recueillement, lieu, enfin, de l’expression de la parole présidentielle.
Le travail collectif mené en classe a permis de dégager les contradictions propres à ce lieu : à commencer par celle de son histoire catholique puis républicaine, celle du seuil, entre sortie de l’existence et entrée dans l’immortalité, entre la vie et la mort, enfin entre l’enfermement du corps dans la crypte et le rayonnement de ces personnalités dans la mémoire républicaine et collective.
À partir de cette réflexion, les élèves ont commencé à réaliser des affiches ayant pour thème le Panthéon. Nous publierons certaines de ces affiches dans un prochain article.
“Sortir”.
Le 15 novembre, prosopopées en main, nous avons donc découvert le Panthéon. L’incarnation, la rencontre espérée lors de la préparation eut lieu lors de la sortie. Chaque élève fut heureux de découvrir la sépulture de la personnalité sur laquelle il avait travaillé. Cette visite s’est poursuivie au Collège de France où nous avons eu l’honneur de rencontrer M. Patrick Boucheron. Sensibles encore à l’aura particulière des cryptes qu’ils venaient d’arpenter, toujours avec une émotion que nous n’avions pas pu anticiper, les élèves ont ainsi questionné l’historien sur le sens d’un lieu tel que le Panthéon, sur sa place au sein de notre société, mais aussi sur son avenir. L’échange a permis de donner une nouvelle perspective sur l’approche individuelle et collective de la mémoire. Les élèves en sont sortis dotés d’outils nouveaux permettant d’exercer mieux encore leurs esprits critiques et l’analyse des parcours individuels à l’aune de l’Histoire.
“Participer”.
Encore marqués par la richesse de cette sortie, nous avons eu l’immense plaisir d’apprendre que la classe était invitée à la cérémonie célébrant l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Ce fut l’occasion d’actualiser nos réflexions sur le sens de ces cérémonies et d’organiser une séance précisant les enjeux liés au choix de cette personnalité. Les élèves ont notamment travaillé sur une biographie audio de Joséphine Baker, qu’il sera prochainement possible d’écouter sur Entre-Temps.
Honorés d’être invités par la Présidence de la République, les élèves ont pu vivre cette commémoration au cœur de l’événement et partager auprès des médias nationaux leurs attentes et impressions sur une telle cérémonie. Au retour de la panthéonisation, les élèves étaient très émus, impressionnés par le protocole et l’ampleur de la cérémonie. Cette participation a permis de donner un nouveau sens au lieu que nous venions de visiter. Ce fut aussi l’occasion pour eux de renouveler le questionnement sur la personnalité de Joséphine Baker en comparant le discours présidentiel à leurs travaux préparatoires et d’ouvrir à nouveau le débat sur les différents enjeux et perspectives de cette entrée au Panthéon.
“Prolonger”.
Coïncidence heureuse, les programmes des épreuves anticipées du bac de français mettent à l’honneur une personnalité dont la panthéonisation fut, un temps envisagée, sans que cette proposition aboutisse, Olympe de Gouges. Le projet peut ainsi trouver un prolongement des plus féconds : analyser les raisons pour lesquelles ce personnage n’est pas encore consacré, une réflexion qui prendra la forme d’un argumentaire en faveur de la panthéonisation de l’auteure de La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
“Conclure et retenir”. A suivre.