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"Entre autres choses", Entre-Temps aux Ateliers Médicis

Il y a deux ans et demi, lors de la Nuit des idées de janvier 2020, Entre-Temps expérimentait un nouveau dispositif de mise en scène du travail de l’historienne et de l’historien. Il s’agissait alors de défendre une manière d’exposer, devant un public, les méthodes par lesquelles nous façonnons et nous écrivons l’histoire. Le temps d’une soirée, dans le noir – comme au théâtre – nous performions cinq textes qui disaient quelque chose de notre rapport, professionnel et intime, aux archives. Depuis, nous nous interrogeons régulièrement sur les possibles mises en scène du travail historique. En juin dernier, lors de deux ateliers organisés avec les Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil, nous avons exploré une nouvelle forme, qui nous a conduits à descendre de l’estrade, pour rejoindre le plateau et assister à une représentation dont nous n’étions plus les seuls acteurs.

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Le banquet d’Entre-Temps, aux Ateliers Médicis. Crédits: Ateliers Médicis

Au mois de juin 2021, Entre-Temps a été invité par les Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil à réfléchir à la programmation d’un atelier, au cours duquel nous ferions de l’histoire, en public, à partir d’une thématique et d’un matériau qu’il nous revenait de choisir.

C’est une couronne de mariée, emballée dans un mouchoir et conservée dans sa boîte – avec le menu des deux repas du mariage et la liste des vins – qui a constitué la matière première de ce projet. L’un de nous avait acheté cette boite quelques mois plus tôt sur une brocante parisienne pour une vingtaine d’euros, sans en connaître ni la provenance, ni l’histoire. Le menu précisait que le mariage avait eu lieu le 15 janvier 1957.

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La couronne, sa boîte et le menu. Crédits: Ateliers Médicis
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Le menu du mariage, le 15 janvier 1957. Crédits: Ateliers Médicis

Partant de la couronne, nous avons voulu composer, au cours d’une discussion collective sur les usages de cet objet – sur son sens historique, pratique et symbolique – une histoire du mariage. L’idée était, en écoutant ce que cette couronne pouvait évoquer à chacune et chacun, de faire se rencontrer différents récits pour tenter de construire, par bribes, une histoire individuelle et partagée.

Nous nous sommes donc retrouvés, le 15 juin, aux Ateliers Médicis, avec une partie de l’équipe de la revue, Marie-Laure Archambault-Küch, Clément Fabre, Pauline Guillemet et Margot Renard en compagnie de trois historiennes auxquelles nous avions proposé d’être nos guides dans cette histoire du mariage et de sa cérémonie. Il y avait donc ce jour-là, Ariane Fennetaux, historienne des pratiques vestimentaires et du textile, Florence Gherchanoc qui travaille sur la famille, ses fêtes mais aussi sur les mères et la maternité dans le monde grec antique ainsi que Aïcha Salmon dont la thèse, soutenue en janvier 2021 était consacrée à la nuit de noces.

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Les convives. Crédits: Ateliers Médicis

Nous avions dressé une grande table, sur laquelle étaient disposés une quarantaine de couverts. Pour s’y asseoir et participer à notre banquet, une seule règle : avoir apporté un objet ou un document personnel qui entre en résonance avec la couronne.

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Circulation de la couronne et de sa boîte. Crédits: Ateliers Médicis

Ce jour-là, nous étions 38 à table, avec en poche l’objet que nous avions décidé d’apporter.

C’était d’ailleurs une très grande poche qu’Ariane Fennetaux avait avec elle, de celle qui constitue son objet de recherche, qui porte sur les poches portées par les femmes aux XVIIIe et XIXe siècle, nouées sous leurs robes qui, elles, n’en comportent pas, contrairement aux pantalons masculins.

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La poche, apportée par Ariane Fennetaux. Crédits: Ateliers Médicis

Florence Gherchanoc, quant à elle, était venue accompagnée d’une reproduction papier d’un vase grec de la période classique, représentant une procession cérémonielle dont un certain nombre d’éléments semble indiquer qu’il s’agit d’un mariage (la présence des voiles, de la parure et des petites divinités ailées qui semblent oindre la jeune mariée).

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La reproduction du vase grec de l’époque classique, apportée par Florence Gherchanoc. Crédits: Ateliers Médicis

De son côté, Aïcha Salmon avait choisi d’apporter un pot de chambre de la seconde moitié du XIXe siècle où l’on trouve une inscription très traditionnelle, « Vive la mariée », qui contraste avec le décor pop art qu’on trouve sur le fond, qui laisse entrevoir un œil. Il constituait l’instrument de mise en œuvre de différentes blagues graveleuses faites aux mariés lors de leur nuit de noce.

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Le pot de chambre, apporté par Aïcha Salmon. Crédits: Ateliers Médicis
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Le pot de chambre, apporté par Aïcha Salmon. Crédits: Ateliers Médicis

Chacune et chacun des invité.es du jour était aussi venu accompagné d’un objet personnel, du bracelet porté le jour des noces au livret de famille ou l’album photo souvenir. Alors qu’ils circulaient autour de la table, se sont fait entendre, de la bouche des participant.es, leur histoire.

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Une parure. Crédits: Ateliers Médicis
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Livret de famille. Crédits: Ateliers Médicis
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Foulard et album photo. Crédits: Ateliers Médicis
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Photo de groupe, jour de mariage. Crédits: Ateliers Médicis

Mis côte à côte, ces différents documents ont progressivement pris la forme d’une collection. C’est aussi un corpus que nous étions en train de constituer – de la calebasse malienne traditionnelle dont l’une des participantes nous a raconté la symbolique à la jarretière et aux roses – sur lequel il était désormais possible de travailler.

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La jarretière. Crédits: Ateliers Médicis
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Roses sous cloche. Crédits: Ateliers Médicis

Ce fut l’ambition que nous nous fixions pour l’étape suivante, quinze jours plus tard, quand nous nous sommes réunis au Collège de France. Troquant la table de banquet pour la table de travail, nous nous nous sommes saisis de ce corpus, constitué cette fois-ci en dossier, afin de se mettre, collectivement, à l’écriture de cette histoire du mariage.

Répartis en trois groupes, intervenant.es et participant.es confondu.es, nous nous sommes donnés pour tâche d’observer avec un regard critique les différents objet réunis lors du premier atelier, pour, à partir des histoires individuelles, établir les contours d’une histoire collective, internationale et transpériodique du mariage. C’est ce dont ce court film rend compte.

Avec à cœur de défendre une pratique collective, ouverte et publique de l’histoire, ces deux ateliers témoignent de la force de la mise en scène, du plateau, du décor et peut-être aussi, un peu, du rôle d’acteurs, dans la manière de rendre visible et audible notre pratique. Il n’était pas question de seulement transmettre un savoir, un contenu et une expertise – sans non plus mettre chacune des paroles entendues ces deux jours-là tout à fait sur le même plan – mais d’entendre ce qui se joue quand les objets personnels se font documents et que l’histoire individuelle devient collective, par-delà les singularités culturelles de chacune et chacun.

Vous pouvez retrouver la présentation de notre performance « Vitalités des archives » lors de la Nuit des idées 2020 ici ainsi que les cinq textes écrits à cette occasion.

 

Publié le 27 septembre 2022
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