D'Entre-Temps à Plan Libre, deux revues frontières

Il y a quelques mois, nous avons fait la rencontre de la revue d’architecture Plan Libre, animé par un l’agence de MBL architectes et publié par la Maison d’architecture Occitanie dans le but de diffuser les cultures de l’architecture et d’en défendre les qualités auprès d’un large public.

L’équipe qui en est à la tête est composée de jeunes architectes qui ont à cœur d’associer à leur pratique une véritable démarche de recherche, qu’ils mettent en œuvre par le biais d’expositions (comme Impasse des Lilas imaginé pour le centre d’architecture « arc en rêve » de Bordeaux, du 19 mai au 18 septembre 2022) mais également au travers des différents dossiers sur lesquels ils travaillent pour chaque numéro mensuel de la revue, en étroite collaboration avec les acteurs de différentes disciplines et notamment de l’histoire.

Ce mois-ci, leur numéro, qui répond au joli titre de “Joyeux Moyen Âge” présente le caractère émancipateur du Moyen Âge, depuis et par l’étude de son architecture. Il s’intéresse à la manière dont certaines figures et dispositifs architecturaux médiévaux sont une matière à réflexion pour aujourd’hui. L’une de ses contributions, celle de Martine Robert, est issue d’un article publié en juin 2021 sur Entre-Temps autour du « chantier digital de Notre-Dame de Paris »

Nous en publions ici l’éditorial ainsi que le sommaire.

Le numéro, lui, sera disponible, en ligne, le mois prochain. En attendant vous pouvez en commander la version papier ou retrouver tous les anciens numéros en suivant ce lien.

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Joyeux Moyen Âge

“Je ne suis pas une mule, vieille quenouille”, proteste Jacquouille La Fripouille pour défendre son honneur face au dentiste Jean-Pierre Goulard jugeant avec mépris sa dentition^[1]. Le Moyen Âge pourrait en dire autant pour réfuter la manière dont il est parfois considéré. Lorsque les choses régressent, lorsque le progrès semble contrarié, d’aucuns disent quand ça ne va pas : c’est le retour du Moyen Âge.

Les guerres, l’aura de l’Église, les traces des épidémies s’intensifient dans cette période de 1000 ans. Examinons ici sa joyeuse vitalité. Accompagnés de l’interprétation d’historiens, exagérons le trait. Avec l’enthousiasme des artistes, mettons de côté le côté sombre.

Attentifs au ton et aux sujets des cours de Patrick Boucheron, considérons quelques expérimentations médiévales. L’enjeu n’est pas une fétichisation du passé, mais plutôt une manière de “jeter des lueurs d’intelligibilité sur un présent incertain”^[2].

L’historien introduit ici la dynamique des régions italiennes organisées en archipels de villes, plutôt que par la concentration en un État. Le pouvoir se divise en strates. L’expérience communale est un mode inédit de gouvernance. Dans les villes ou dans les confréries, les décisions sont collégiales : “Nul ne peut gouverner de loin^[3]”. Revenir à des temps pré-capitalistes permet de saisir les spécificités d’une économie de subsistance plus que de spéculation. Dans les Pyrénées, la petite basilique romane Saint-Just de Valcabrère, construite avec les restes d’une villa romaine, témoigne déjà du réemploi des ressources locales, d’une culture de la frugalité.

 travers une histoire à rebours, Clovis Maillet^[4] démontre que le genre est considéré comme une qualité morale plus que biologique. Les théoricien.ne.s queer projettent dans cette période les prémisses d’une émancipation, d’une possible fluidité des identités.

Avant l’invention de la perspective, les représentations sont moins rationnelles mais augmentent l’imaginaire et le pouvoir fictionnel des images. Les considérer à nouveau renseigne sur des dispositifs de convivialité : de la table ronde au lit intergénérationnel ; des manières de cohabiter : des animaux peuplent l’environnement domestique. Les tapisseries comme les grandes cheminées habitables sont autant d’appareils climatiques rudimentaires et efficaces. Les décors anachroniques des jeux vidéos nous plongent dans ce passé jubilatoire. Ils constituent tout autant un «système d’informations monumental^[5]» mis en place par les technologies de modélisation les plus avancées.

L’âge moyen au Moyen Âge serait de 31,3 ans^[6]. La vie était plus brève, mais pleine d’inventions.

Benjamin Lafore / MBL architectes

Sommaire :

Plan Libre n°198, Joyeux Moyen Âge

Editorial : Joyeux Moyen Âge, Benjamin Lafore / MBL architectes

Portfolio : Role-playing games par MBL

Enquête : Un Moyen Âge émancipateur par Clovis Maillet

Projet : Le chantier digital de Notre-Dame de Paris : un jeu de construction par Martine Robert

Conversation : Figures médiévales avec Matali Crasset

Poster :  Modélisation 3D d’une miniature ottomane par Mete Kutlu

Critique : Trois Italies au Moyen Âge : un laboratoire métropolitain par Patrick Boucheron

^[1] Jean-Marie Poiré (réal.),  Les Visiteurs, 1993. Dans cette comédie française, le comte de Montmirail et son fidèle écuyer, Jacquouille la Fripouille se retrouvent propulsés de l’an de grâce 1123 à l’année 1992.

^[2] Patrick Boucheron. Corps cinglants et langages assemblés. L’espace public en puissance. Le visiteur, 2019. Patrick Boucheron, Ce que peut l’histoire, Chaire d’Histoire des Pouvoirs en Europe Occidentale, XIIIe-XVIe siècle, Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 17 décembre 2015.

^[3] Georges Duby, Des sociétés médiévales, Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 4 décembre 1970.

^[4] Clovis Maillet, Les Genres Fluides, de Jeanne d’arc aux saintes trans, 2020

^[5]  Martine Robert, “Le chantier digital de Notre Dame de Paris : un jeu de construction” in Entre-Temps, revue numérique d’histoire actuelle, publié le 8 juin 2021

^[6] Il n’était pas rare de vivre vieux, le plus grand danger étant de survivre à l’enfance. International Journal of Epidemiology, Volume 34, Issue 6, December 2005, Pages 1435–1436.