Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

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Portraits d'archivistes : archiver la maladie et le soin, entretien avec Anne-Pascale Saliou

Entre-Temps continue sa série de portraits de celles et de ceux qui, dans les coins et recoins du monde entier, travaillent à rendre disponibles et exploitables les archives. Ces entretiens donnent à lire différentes esquisses de ce qui compose la vie et le cœur du métier des archivistes. Aujourd'hui, Marie-Laure Archambault-Küch s'entretient avec Anne-Pascale Saliou, responsable des archives de l’Établissement public de santé de Ville-Evrard.

Une archiviste face à l’hôpital

Marie-Laure Archambault-Küch : Pour entamer cet entretien, pourriez-vous nous présenter votre parcours ? Peut-être pourriez-vous évoquer ce qui vous a donné envie de devenir archiviste ?

Anne-Pascale Saliou : J’ai suivi un parcours plutôt classique en m’orientant à l’issue de mon baccalauréat vers des études d’histoire-géographie par goût pour la matière historique. Ma licence d’histoire obtenue, je me suis intéressée aux métiers liés au patrimoine et à la culture. C’est ainsi que j’ai découvert le métier d’archiviste. A l’époque, outre l’École des chartes, il n’y avait que l’université de Haute-Alsace qui proposait cet enseignement à finalité professionnelle. Je me suis donc inscrite à Mulhouse en Maitrise dite MECADOCTE (Métiers de la culture, des archives et de la documentation pour les collectivités territoriales) puis j’ai poursuivi ma formation en DESS, toujours dans la spécialité « Techniques d’archives et de documentation ».

Avant d’exercer dans la fonction publique hospitalière, j’ai occupé pendant cinq ans deux postes dans la fonction publique territoriale. Très vite, aux Archives municipales de Parthenay (Deux-Sèvres), j’ai mis mon apprentissage en pratique. Cette première expérience a été d’autant plus formatrice qu’il s’agissait de créer dans de nouveaux locaux un service d’archives, que nous avons baptisé « Mémoire Vivante ». Nous avons bénéficié de moyens plutôt conséquents dans une ville résolument tournée avant l’heure vers les nouvelles technologies. De manière concomitante, elle prenait conscience de l’importance de conserver les traces de son passé mais aussi, de ce que nous développions avec les outils informatiques, comme le site intranet. Nous étions résolument convaincus que toute l’information ainsi produite faisait partie des données qu’il nous fallait collecter et préserver. Après cette première expérience, j’ai occupé pendant deux ans le poste de directrice du Centre de ressources documentaires de la ville d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) avant de rejoindre en septembre 2000, l’Établissement public de santé (EPS) de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis).

M.-L. A.-K. : Quels sont les enjeux et la démarche d’archivage d’un établissement de santé comme celui de Ville-Evrard ?

A-P. S. : La création d’un poste d’archiviste a été impulsée par l’accréditation, orchestrée à partir de 1996 par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Cette accréditation, procédure d’évaluation externe de l’établissement de santé, visait à assurer la qualité et la sécurité des soins dans la prise en charge des patients. Dans ce cadre, la tenue du dossier patient, son accessibilité et sa conservation constituaient des critères auxquels l’établissement était tenu de satisfaire. Ville-Evrard et, d’une manière générale, les établissements en santé mentale ont pris conscience, à ce moment-là, de la nécessité d’un archivage du dossier patient pour lequel la confidentialité, la traçabilité et la conservation doivent être assurés.

En 2003, l’établissement s’est engagé dans une politique d’amélioration du dossier patient, processus dont l’archivage fait partie. L’accès direct du patient ou de ses ayants droit à son dossier médical, effectif depuis la loi du 4 mars 2002, renforce ce caractère essentiel de l’identification du dossier patient et de sa communication dans les délais impartis. Cette identification s’est révélée comme une priorité dans une démarche d’archivage pour répondre au besoin de retracer le parcours de soins du patient. Je me suis donc attelée à collecter, les dossiers médicaux des 90 structures intra et extra hospitalières de Ville-Evrard pour les rassembler dans un ancien pavillon d’hospitalisation reconvertis en magasins d’archives. En vingt ans d’activité, j’ai ainsi « rempli » cinq bâtiments sur le site historique de Ville-Evrard, dans des conditions de conservation pas toujours idéales, avant de mener un projet de construction de bâtiment d’archives qui a été inauguré en 2022. Cette construction est l’aboutissement de plusieurs années de réflexion sur le devenir des archives au cours desquelles, la direction de l’établissement a soutenu l’orientation de valoriser la mémoire et l’histoire du site, fortement ancrées dans son identité. Cette construction confirme l’importance accordée à son patrimoine historique mais aussi à l’intérêt d’une gestion efficiente et rigoureuse de ses archives, gage d’une transmission réussie pour envisager l’avenir sans perdre de vue les avancées qui ont amené l’établissement à ce qu’il est aujourd’hui.

Bâtiment des archives de l’Établissement public de santé de Ville-Evrard

M.-L. A.-K. : Pourriez-vous présenter ou caractériser le corps d’archives qui compose votre service ?

A-P. S. : Je présente généralement les archives de l’EPS de Ville-Evrard en commençant par leur statut d’archives publiques, dont découle leurs caractéristiques, et qui explique le lien étroit avec les Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. La constitution du fonds de l’EPS de Ville-Evrard est le reflet de son organisation administrative dans la prise en charge des malades du département depuis le XIXe siècle. 

L’hôpital est, depuis son ouverture en 1868, sous la tutelle de la préfecture du département de la Seine. En 1970, il passe sous la tutelle de la Seine-Saint-Denis, son département d’implantation et de rattachement. Devenu établissement public, il met alors en œuvre, la sectorisation. La prise en charge du patient en psychiatrie est désormais fonction de son lieu de domiciliation. Actuellement, la sectorisation est toujours effective. L’EPS de Ville-Evrard compte aujourd’hui 15 secteurs de psychiatrie adultes et trois secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ainsi, les archives de l’établissements sont composées des dossiers médicaux de ces patients, et d’archives administratives.  Celles-ci sont le reflet du fonctionnement de l’établissement au cours de ses 155 années d’existence à travers son administration, son personnel, ses pratiques thérapeutiques, ou encore son architecture. L’histoire de la psychiatrie côtoie celle de la vie quotidienne des malades de l’asile, des pensionnaires de la Maison de santé, des alcooliques du Service spécial, des militaires aliénés de la Grande Guerre, des tuberculeux du sanatorium, des travailleurs et des colons, des enfants de l’Institut médico-pédagogique (IMP).

Les archives qui racontent cette histoire sont organisées selon deux modes de classement :  le fonds ancien, allant de 1868 à 1970, et le fonds contemporain, à partir de 1971. Quelques chiffres matérialisent ce corps d’archives : le récolement effectué a permis de dénombrer 35 771 boîtes et registres, représentant 5,1 kilomètres linéaires d’archives. Depuis la création du service, 2 kilomètres linéaires d’archives administratives ont aussi été détruites.

La collection des registres des entrées, sorties, décès, les registres de la loi (registres de placement sous contrainte) constituent une source historique de première importance dans la recherche. Ils pallient parfois l’absence des dossiers médicaux, lorsque ceux-ci font défaut, certains dossiers ayant été malencontreusement détruits par les vicissitudes du temps.

Le carton des bons d’entrée et de sortie, archives de l’Établissement public de santé de Ville-Evrard

M.-L. A.-K. : Comment le personnel médical se situe-t-il par rapport aux archives de l’établissement de Ville-Evrard ? De quelle façon intervenez-vous – si vous participez à ces discussions bien sûr – dans les démarches et discussions relatives aux données des patients et aux principes éthiques à adopter dans leur traitement ?

A-P. S. : Les assistantes médicales administratives (AMA) sont les interlocutrices privilégiées du personnel des archives du fait de leur fonction d’archivage du dossier patient. Elles procèdent aux versements. En cas de rapatriement de dossiers, elles en font la demande au service des archives. Les mouvements des dossiers archivés sont peu nombreux en comparaison avec ceux enregistrés dans les hôpitaux généraux, car le suivi en psychiatrie s’inscrit davantage dans la durée. Avec la dématérialisation des dossiers patients, le service des archives récupère progressivement la totalité des dossiers papier dont les données des cinq dernières années étaient, jusqu’à la mise en place du dossier patient informatisé (DPI), conservées dans les secrétariats médicaux.

Depuis 2016, le DPI est déployé dans l’établissement. Son archivage n’a pas été envisagé au moment de son acquisition. J’ai pourtant été associée à sa mise en œuvre mais, malgré mes recommandations en termes de conservation des données sur le long terme, la fonction d’archivage électronique n’a pas été prise en compte. Elle est rarement intégrée par l’éditeur au processus de dématérialisation du dossier, tout comme son élimination, qui doit être corrélée avec celle du dossier papier, en cas de dossier hybride. Ce sont encore des réflexions qu’il nous faut mener en concertation avec le département d’information médicale (DIM), la direction informatique et les Archives départementales.

Je n’ai aucun droit d’intervention au niveau des données des patients. Ce sont des prérogatives qui appartiennent à l’équipe soignante. Au moment de l’archivage du dossier patient papier, je peux faire remonter à la cellule d’identitovigilance des erreurs de saisie lorsque des actions correctives sont nécessaires, mais en aucun cas je n’agis directement. Je suis soumise au secret professionnel en tant qu’archiviste et au secret médical du fait de l’accès aux informations médicales contenues dans les dossiers papier. J’interviens uniquement dans la communication du dossier médical lorsque celui-ci est librement communicable au regard du code du patrimoine. Dans ce cas-là, je communique directement le dossier en salle de lecture à la personne qui en a fait la demande, généralement un ayant-droit. Le code du patrimoine autorise la libre communication des informations médicales lorsque le patient est décédé depuis plus de 25 ans ou, à défaut de connaitre sa date de décès, c’est le délai de 120 ans, à partir de la date de naissance qui s’applique.

Retracer le parcours des patients

M.-L. A.-K. : Est-il habituel de retrouver la trace d’un patient dans les archives de différentes institutions de santé ?

A-P. S. : Il est fréquent au cours du XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle que les malades des établissements de la Seine soient transférés en province, où des places sont disponibles. Ces pratiques favorisent le désencombrement des hôpitaux de la région parisienne. Ainsi, lorsqu’un malade est transféré dans un autre asile, la mention de son déplacement est reportée sur la couverture du dossier. Généralement, le dossier ne suit pas le malade lors de son transfert mais il reste dans l’établissement dans lequel il a été ouvert. Un autre type de document utile pour suivre les admissions d’un malade dans les asiles de la Seine est le registre des matricules, tenu par le bureau d’admission et de répartition à l’hôpital Sainte-Anne, chargé de l’orientation du malade dans les différents asiles du département de la Seine. Conservés depuis 1884 jusqu’en 1940, leur utilisation nécessite de connaitre le numéro matricule d’admission ou la date d’admission de la personne recherchée. Ces registres sont conservés aux Archives de Paris.

D’un point de vue professionnel, le dialogue entre archivistes d’établissements de santé est essentiel. Au niveau national, ce besoin de nous fédérer nous a conduits à créer la branche des archivistes au sein du réseau des documentalistes d’Ascodocpsy. Ce réseau, auquel j’adhère et contribue depuis sa constitution, regroupe aujourd’hui une quarantaine de services d’archives. Nous travaillons en commissions sur des sujets connexes en lien avec nos pratiques professionnelles et notre spécificité, la psychiatrie.

M.-L. A.-K. : Quels sont vos différents publics et comment pensez-vous leur orientation au sein des archives de l’établissement ? Est-il fréquent, par exemple, que la famille d’un ancien patient de l’établissement cherche sa trace dans vos archives ?

A-P. S. : Les publics sont variés, avec une majorité de généalogistes, mais aussi de plus en plus de chercheurs de différentes disciplines et, à la marge, des écrivains, des journalistes, ou encore des documentaristes. Il y a aussi le grand public qui, lors de manifestations nationales, vient visiter le patrimoine architectural hospitalier et découvre, à cette occasion, la richesse de son fonds d’archives. Le service des archives ouvre aussi ses portes pour l’organisation de visites plus ciblées, comme l’accueil des nouveaux internes, les élèves de l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) ou à l’occasion de visites informelles de psychiatres, d’architectes, ou de membres du personnel à la retraite. Un dernier public à mentionner, ce sont les patients eux-mêmes, dont une patiente qui depuis plusieurs années fréquente régulièrement la salle de lecture, trouvant ce lieu reposant pour pratiquer ses activités manuelles.

En général, les chercheurs passent par mon entremise. En fonction des profils, les recherches sont simples lorsqu’elles concernent un dossier spécifique ou un ensemble de dossiers, et plus complexes lorsqu’elles touchent à une problématique donnant lieu à la rédaction d’un mémoire. Le service peut être amené à transmettre pour instruction, au Service interministériel des archives de France (SIAF), des demandes d’accès anticipé à des documents d’archives publiques non librement communicables, préalablement visés par les services versants. Aujourd’hui plus sensibilisés aux recherches historiques en psychiatrie, les médecins sont plus enclins à accorder ces dérogations. Soucieux néanmoins de protéger le secret médical, elles sont accordées pour des recherches scientifiques avec l’engagement du chercheur à ne communiquer aucune information susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par la loi et notamment à la vie privée des personnes.

Il est tout à fait fréquent que la famille d’un ancien patient de l’établissement vienne chercher sa trace aux archives. Ces personnes s’adressent à nous pour percer un secret de famille et, plus rarement, pour vérifier l’idée d’une possible hérédité ou de répercussion sur la descendance, d’une maladie d’un aïeul. Lors de l’accompagnement dans ces recherches, nous ressentons de la gratitude due à notre présence, à notre écoute et aux réponses que nous pouvons apporter aux nombreuses interrogations, du moins dans la limite de nos compétences. Les dossiers constituent une source essentielle pour l’histoire familiale.  La dimension d’histoire familiale concerne non seulement les malades mais aussi le personnel, Ville-Evrard ayant connu des lignées de famille qui ont marqué ou marquent encore l’histoire de l’établissement.

Ces recherches sont très importantes pour les personnes qui les entreprennent car elles permettent de réhabiliter la mémoire familiale d’un ancêtre dont on ne connait rien, dont personne ne parle et qui pourtant a sa place sur l’arbre généalogique. C’est combler un vide avec de la matière tangible, donner une existence jusqu’ici inavouable à celui ou à celle qui est resté pendant des années, oublié de tous. Il est souvent essentiel pour la personne qui s’interroge, de transmettre cet héritage familial, démystifié par le résultat de ses recherches et de les partager avec sa famille. J’ai encore en mémoire la démarche d’une femme, abandonnée enfant par sa mère et qui contacte le service des archives en quête de souvenirs. Elle demande à consulter le dossier médical de sa mère pour comprendre les troubles dont elle souffrait, accéder à la vérité et combler ses « trous » pour, plus tard, reposer sereinement au cimetière auprès d’elle.

Registres de placement, archives de l’Établissement public de santé de Ville-Evrard

Patients d’hier et d’aujourd’hui

M.-L. A.-K. : La façon de considérer les patients d’hôpitaux psychiatriques – et donc leurs archives – a-t-elle évolué ? Cette possible évolution vous semble-t-elle relever d’un tournant historiographique ou plutôt indiquer une transformation plus générale du regard porté sur les questions de santé mentale ?

A-P. S. : Avec mon regard d’archiviste hospitalier, je dirai qu’effectivement, la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est de plus en plus impliquée dans sa prise en charge. Non seulement l’arsenal juridique lui permet d’accéder à son dossier médical depuis 2002, mais les lois de 2011 et de 2013 lui accordent aussi des mesures de protection renforcées, garantissant ses droits et ses libertés. Le patient se transforme en un acteur de sa pathologie. Sa place est désormais centrale au cœur de son parcours de soins et son expérience est prise en compte pour améliorer les pratiques professionnelles. La famille n’est plus, par exemple, celle qui obtient du préfet ou du directeur la sortie du malade en se portant garante, mais elle l’accompagne, s’implique dans son suivi, souvent au titre de « personne de confiance ». L’image que véhicule la maladie mentale se transforme, et devient moins effrayante. Néanmoins, la vigilance des associations d’usagers, de familles et des professionnels de la santé mentale reste de mise pour changer le regard stigmatisant porté sur les maladies psychiques.

Les travaux de recherche des historiens à partir des dossiers médicaux qui se multiplient participent aussi à poser un nouveau regard sur ces vies ordinaires, qui sortent de l’ombre[1]. Ces recherches mettent en exergue les fonctionnements et les mécanismes qui révèlent une réalité au plus proche de ceux et de celles dont l’histoire de la maladie, intime et personnelle, est écrite à l’intérieur de ces dossiers. Toutes ces interactions contribuent à changer notre regard sur les patients des hôpitaux psychiatriques. Ceux d’hier que les historiens nous font observer à travers l’évolution des mentalités, des sciences et des pratiques et ceux d’aujourd’hui, dont la société veille à garantir les droits, l’accès à l’information et aux soins dans le respect de la dignité du malade.

Ces évolutions se traduisent cependant aussi par des dossiers médicaux aujourd’hui plus stéréotypés et standardisés, l’introduction du dossier patient informatisé modifiant sensiblement le rapport à l’écriture. Il y a donc, à mon sens, l’amorce d’un tournant historiographique avec un changement de paradigme non seulement dans la manière de considérer la santé mentale, mais aussi dans les matériaux, ce qui transforme la façon d’écrire, de transmettre et de conserver l’information.

M.-L. A.-K. : Quelles lignes de partage établissez-vous entre la perception et le traitement des archives de personnages célèbres par rapport aux documents qui concernent des anonymes ? Les logiques de discrétion, de préservation de l’intimité ou encore de valorisation de l’anodin diffèrent-elles entre ces deux cas ?

A-P. S. : J’ose à penser et à écrire que tous les dossiers médicaux sont traités avec le même égard du moins pendant les délais réglementaires de conservation. Depuis 2006, les dossiers médicaux peuvent être éliminés après un délai de 20 ans à compter du dernier contact, 10 ans à compter du décès. Si la personne est mineure, le délai de conservation est prorogé jusqu’à son 28e anniversaire. Avant toute élimination, il est recommandé de conserver un échantillonnage à titre scientifique, statistique ou historique. Les dossiers de personnalités connues au moment du tri font l’objet d’une première sélection. Ils ont vocation à être conservés à titre définitif, la valeur patrimoniale est inhérente à la renommée de l’individu. Les dossiers des personnalités qui ne sont pas reconnues comme tel au moment de l’échantillonnage risquent d’être détruits comme dans toute pratique de sélection aléatoire. Cela aurait pu être le cas du patient communément appelé le « malade du 7 » à Ville-Evrard, vraisemblablement admis sous un nom d’emprunt et plus connu sous l’identité d’Edouard Herriot, figure importante des IIIe et IVe Républiques.

Dans le fonds ancien de l’EPS de Ville-Evrard, l’ensemble des dossiers médicaux datés de 1868 à 1970 a vocation à être conservé eu égard au volume qu’il représente mais surtout à l’intérêt suscité par leur contenu dans une approche de micro-histoire. Ici, les dossiers des célébrités côtoient les dossiers des anonymes et leur traitement ne diffère en rien. Ils participent avec les dossiers des anonymes à inscrire dans une époque, un contexte l’histoire de la psychiatrie.

Par contre, il est indéniable que les archives des personnalités attirent et suscitent la fascination jusqu’à réduire le fonds des archives à la notoriété de quelques noms. La célébrité appelle la curiosité, le sensationnel voire le fétichisme jusqu’à la convoitise, pour certains d’entre eux. La conservation dans un service d’archives est un gage de la protection des dossiers, leur accès est contrôlé, leur confidentialité est assurée. Au moment de la communication, il faut redoubler de vigilance, jusqu’à proposer la consultation d’une copie pour protéger l’original.

M.-L. A.-K. : Pour clore cet entretien, voudriez-vous revenir sur un document d’archives de l’établissement qui vous a particulièrement marquée ?

A-P. S. : La question m’a déjà été posée et j’avais répondu que tous les dossiers des patients, au cours de leur classement, ont retenu mon attention, car chaque histoire est singulière et mérite d’être racontée. Je me suis néanmoins arrêtée plus longuement sur les documents et les objets personnels des malades, qui peuvent prendre différentes formes.

J’ai coutume, lors de visites du service, de montrer cette petite cravate en crochet réalisée en 1923 par une patiente et mise sous enveloppe pour être adressée en cadeau à une amie, « Exécutez [sic] par moi pour toi ». La lettre n’est jamais partie… C’est toujours avec beaucoup d’émotion que je présente cet objet qui me questionne sur l’enfermement, l’isolement, la relation à l’autre, la transmission. Il n’était pas rare à l’époque que les courriers des malades soient censurés, retenu dans le dossier à la demande du médecin ou de la famille. Toutes ces pièces conçues pendant l’internement, conservées dans le dossier médical, réveillent notre sensibilité et suscitent un intérêt manifeste.

Petite cravate en crochet réalisée en 1923 par une patiente conservée aux archives de l’Établissement public de santé de Ville-Evrard.

[1] Une recherche récemment publiée qui s’appuie notamment sur les archives de Ville-Evrard : Anatole Le Bras, Aliénés. Une histoire sociale de la folie au XIXe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2024.

Publié le 5 mars 2024
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