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Façonner

Les cuisines de la recherche: un entretien avec l'équipe de "Ça coule de sources"

En mai 2021, la chaîne Twitch « Ça coule de sources », organisait son premier interview, avec l’historien Quentin Verreycken. Depuis, une dizaine de chercheuses et chercheurs se sont succédé.es au micro de la jeune équipe. Pour leur rentrée, la semaine dernière, c’est l’historienne Claire Milon qui présentait ses travaux sur les débuts de la randonnée comme loisir en Allemagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, au micro de Catherine Rideau-Kikuchi. L'équipe de "Ça coule de sources" revient, pour Entre-Temps, sur la genèse de la chaîne et sur l’orientation archivistique et documentaire de ce projet.

Ça coule
Capture d’écran d’un live de « Ça coule de sources » sur Twich entre Quentin Verreycken et Akhésa Moummi. Crédits: « Ça coule de sources »

Entre-Temps : Pourriez-vous nous présenter le projet à l’origine de votre chaîne « Ça coule de sources » et l’ambition qui était la vôtre, dès le départ, d’aborder le travail historique à partir de la question des sources ?

L’équipe de « Ça coule de sources » : « Ça coule de sources » est une chaîne Twitch qui propose une interview par mois d’un ou d’une spécialiste de sciences humaines et sociales (principalement historiens et historiennes, mais pas exclusivement), afin qu’il ou elle présente une source historique et la manière de l’utiliser. Les vidéos sont également présentes sur YouTube et le projet est présent sur différents réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram). Il est mené par un collectif de chercheurs et chercheuses depuis le printemps 2021.

Notre but était de proposer de rentrer dans les cuisines de la recherche, afin que le public puisse comprendre que le travail historique ne se fait pas à partir de rien. On essaie de faire toucher la matérialité de ce travail, son côté très concret. A l’heure où on entend des discours politiques affirmant des mensonges historiques, au mépris des sources, à l’heure où on entend aussi que toute opinion se vaudrait ou que l’histoire n’est qu’interprétation, il nous semblait important de rappeler ce qu’est le matériau premier de la recherche, ce qu’on peut en tirer et les techniques et les précautions nécessaires pour les aborder.

ET : Le média que vous avez adopté pour ce nouveau format est la chaîne Twitch, pourquoi ce choix ? Qu’apporte-t-il de plus ou de différent en comparaison à une chaîne YouTube ou un format podcast par exemple ?

« Ça coule de sources » : Twitch est une plateforme originellement investie par les joueurs, streamant leurs parties de jeu vidéo. Mais de plus de plus de personnes et de médias s’en saisissent aujourd’hui pour proposer du contenu différent, parfois lié à la culture geek, parfois non : on peut penser à des Youtubeurs comme Nota Bene, ou encore à des journalistes comme Samuel Etienne. Les sciences expérimentales ont été parmi les premières à être présentes sur cette plateforme à des fins de diffusion de la recherche.

Le principal intérêt de Twitch est l’interaction possible avec le public. En live, le chat permet aux spectateurs de réagir, de poser des questions ou discuter entre eux : la plateforme est véritablement pensée pour créer une communauté, un groupe uni autour d’intérêts communs. Le format des émissions est donc plus spontané que ne pourrait l’être une vidéo YouTube : pas de montage, les discussions sont menées par l’interviewer, mais peuvent aussi facilement dévier en fonction des questions posées. L’adaptation doit être permanente, et l’un des grands enjeux est justement de favoriser cette interaction en maintenant l’intérêt du public et en suscitant ses réactions. Mais c’est cela qui nous a intéressé : proposer du contenu accessible, avoir un retour direct et répondre aux questions que les gens pouvaient se poser sur l’histoire.

ET : Les chaînes Twitch ont comme particularité d’avoir un public souvent très jeune, comment trouver la juste distance et le bon ton avec ce public ?

« Ça coule de sources » : C’est une réelle difficulté ! Pour l’instant, notre ton est encore très universitaire, même si nous avons évolué vers plus de spontanéité dans les interviews et que nous essayons de garder une ambiance décontractée. Mais nous conservons une distance encore un peu grande qui nuit parfois à l’interaction : pour certaines émissions, les spectateurs pourtant présents n’osent pas réagir dans le chat ou ne posent des questions (parfois nombreuses !) qu’à la toute fin, un peu sur le format des conférences.

Nous allons essayer de travailler là-dessus pour les prochaines émissions en rythmant davantage les interviews, en prenant en compte les spectateurs qui nous rejoignent en cours de route, en proposant éventuellement des quizz dans le chat… bref, en continuant de tester les possibilités de la plateforme. Le tout, en ayant conscience que nous ne sommes pas des professionnels, mais également que notre public est un peu spécifique sur la plateforme : c’est un public de personnes a priori intéressées par l’histoire. Nous réfléchissons à proposer des formats qui se tournent aussi spécifiquement vers les étudiants et étudiantes : mais c’est encore à l’état de projet.

ET : Après un peu plus d’un an d’existence et neuf émissions déjà enregistrées, quels ont été les premiers retours ?

« Ça coule de sources » : Les retours sont plutôt encourageants. Les lives atteignent depuis quelques mois entre 50 et 100 spectateurs uniques (10 à 25 spectateurs en moyenne sur une émission) ; les émissions sont ensuite regardées en replay sur Twitch puis sur Youtube, avec de bonnes statistiques. Sur le plan qualitatif, les intervenants étaient très satisfaits et le public semblait intéressé. Nous avons eu plusieurs discussions cependant sur la manière d’améliorer la forme, l’accessibilité et l’adaptation à la plateforme, pour se départir d’un ton encore peut-être un peu rigide et d’un déroulé un peu trop proche d’un cours que d’une réelle discussion à bâtons rompus. Heureusement, nous avons dans l’équipe des personnes d’horizon et d’expérience très variées, certains novices sur Twitch, d’autres plus aguerris, de jeunes chercheurs et d’autres beaucoup plus expérimentés : cela permet de croiser les regards et les approches pour essayer de trouver une formule qui trouve son public et qui nous plaise – parce que l’objectif est quand même aussi de s’amuser un peu !

ET : Vous fonctionnez en équipe, ce n’est pas toujours la même personne qui mène les entretiens, comment s’est fait la décision de travailler en collectif ? Et, est-il envisagé que celui-ci s’élargisse en fonction des sujets, des périodes ou des aires géographiques abordé.es ?

« Ça coule de sources » : La dimension collective est vraiment essentielle pour nous : nous fonctionnons en plusieurs équipes en fonction de nos compétences : coordination, communication, interviewers, technique, graphisme… Nous discutons aussi beaucoup ensemble pour essayer de faire avancer et évoluer le projet en fonction des retours et des questions qui se posent au fur et à mesure. Nous insistons sur le fait que tout ce travail est bénévole et se fait sur le temps libre de chacun des membres du projet : certains ont des postes fixes dans le supérieur ou le secondaire, d’autres non… Mais l’équipe est ouverte à toutes celles et ceux qui aimeraient s’y investir ! L’important n’est peut-être pas tant les sujets que l’envie et la disponibilité pour consacrer un peu de son temps à ce projet de diffusion de la recherche.

ET : Pour cette nouvelle année 2022-2023 qui s’annonce, avez-vous déjà une idée de la programmation de vos prochaines émissions ? Avez-vous la volonté que cette dernière résonne parfois en écho avec l’actualité, qu’elle soit politique, commémorative ou tout simplement avec celle des programmes des concours de l’enseignement ?

« Ça coule de sources » : La programmation de cette année est pratiquement prête ! Histoire de vous donner un peu l’eau à la bouche, on traquera des individus dans les archives ottomanes contemporaines et des poteries sur les routes maritimes de la Méditerranée antique. On parlera de vue d’optique et de jardins à l’époque moderne, d’inscriptions médiévales ou encore des sources des forces de l’ordre… Pour l’instant, nous fonctionnons indépendamment de l’actualité, quelle qu’elle soit, ainsi que des concours de l’enseignement : l’intérêt est de garder chaque année une très grande diversité des objets, en veillant à un certain équilibre ou du moins à une variété entre les périodes et des approches. Mais rien ne nous empêchera d’évoluer par la suite !

Le dernier entretien de « Ça coule de sources » entre Catherine Rideau-Kikuchi et Claire Milon, doctorante en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg. Diffusé, en live, sur Twitch, mercredi 21 septembre et disponible maintenant sur YouTube.

Publié le 27 septembre 2022
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