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Le discours de Vance à Munich, une archive du temps présent au cœur du "Grand Continent"

C'était il y a un mois, ou presque. Le vendredi 14 février 2025, la revue Le Grand Continent publiait dans sa rubrique "Archives et discours" la transcription commentée des propos prononcés le jour-même par J. D. Vance, vice-président des États-Unis, à la 61e Conférence de Munich sur la sécurité. Des propos qui, un 14 février, ont pris les accents d'une déclaration de rupture : rupture avec la politique européenne, rupture des cordons sanitaires tendus contre l'extrême-droite. C'était il y a un mois, seulement. On peine à y croire, tant se sont accumulés, depuis, les actes qui d'Outre-Atlantique concrétisent ces paroles. Ils font ce qu'ils disent, et il ne faut pas l'oublier. Alors tirons de son étagère numérique cette archive du temps présent. Pour la dérouler, et voir la place qu'elle prend aujourd'hui. Nous en publions ci-dessous un extrait, avec l'aimable autorisation du Grand Continent, avant de renvoyer vers le texte complet sur le site de la revue. Nous sommes d'accord : "c'est un discours que tous les Européens devraient lire".

« […] La menace qui m’inquiète le plus vis-à-vis de l’Europe n’est pas la Russie, ce n’est pas la Chine, ce n’est aucun autre acteur extérieur.

Et ce qui m’inquiète, c’est la menace de l’intérieur : le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales. Des valeurs partagées avec les États-Unis. 

Or j’ai été frappé qu’un ancien commissaire européen puisse récemment s’exprimer à la télévision pour se réjouir que le gouvernement roumain annule une élection présidentielle. Il a averti que si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne également.

Le 4 décembre, après avoir consulté des documents élaborés par les services roumains, la plus haute juridiction roumaine a annulé les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, en déclarant que l’ensemble du processus devait être recommencé. 

Selon ces documents, auxquels la revue a eu accès, dès novembre 2024 “plus de 100 influenceurs (totalisant 8 millions d’abonnés) ont été manipulés et mobilisés pour promouvoir la figure de Georgescu”. Un financement illégal massif aurait également été mis en œuvre d’une manière systématique et occulte pour soutenir la campagne de Călin Georgescu. Le même document développe : “La Russie a inondé l’espace informationnel avec des récits divisifs et favorables à des vecteurs (personnes ou formations politiques) partageant des vues proches du Kremlin (extrémistes, nationalistes, populistes, figures politiques anti-système, etc.).

Ces déclarations cavalières sont choquantes pour les oreilles américaines.

Pendant des années, on nous a dit que tout ce que nous financions et soutenions l’était au nom de nos valeurs démocratiques communes. Tout – de notre politique envers l’Ukraine au numérique – est présenté comme une défense de la démocratie.

Mais lorsque nous voyons des tribunaux européens annuler des élections et des hauts fonctionnaires menacer d’en annuler d’autres, nous devons nous demander si nous nous imposons des normes suffisamment élevées. Et je dis “nous” parce que je crois fondamentalement que nous sommes dans la même équipe. Nous devons faire plus que parler de valeurs démocratiques. Nous devons les vivre maintenant, dans la mémoire vivante de beaucoup d’entre vous dans cette salle.

Donald Trump, qui soutient à tort depuis plus de quatre ans que Joe Biden aurait “volé l’élection” présidentielle du 3 novembre 2020, a tenté de changer artificiellement les résultats du scrutin en Géorgie afin de s’attribuer la victoire. Deux mois plus tard, il a encouragé une foule de partisans à s’introduire de force dans le Capitole. L’objectif de celle-ci était d’annuler la certification des résultats du collège électoral, qui aurait officialisé la victoire de Joe Biden. 

Au cours d’un entretien publié en juin 2024, Vance déclarait : “Je pense que la contestation des élections et de leur légitimité fait partie du processus démocratique”.

[…]

La liberté d’expression, je le crains, est en recul.

Et dans un souci d’humour, chers amis, mais aussi dans un souci de vérité, je serai prêt à admettre que parfois, les voix les plus fortes en faveur de la censure ne viennent pas d’Europe mais de mon propre pays – où l’administration précédente a menacé et intimidé les réseaux sociaux pour qu’ils censurent ce qu’elle appelait la désinformation. La désinformation, comme par exemple l’idée que le coronavirus s’était probablement échappé d’un laboratoire en Chine. Notre propre gouvernement a encouragé les entreprises privées à faire taire les personnes qui osaient dire ce qui s’est avéré être une vérité évidente.

Rien ne prouve à ce jour que le coronavirus se serait “échappé” d’un laboratoire en Chine. Vance fait ici certainement allusion à un nouveau rapport présenté par la CIA le 25 janvier affirmant que le coronavirus est “plus susceptible” de s’être diffusé depuis un laboratoire chinois que de provenir d’animaux. L’agence, désormais dirigée par un fidèle allié de Trump et partisan de longue date de la théorie d’une “fuite chinoise”, John Ratcliffe, a toutefois précisé qu’elle n’avait qu’une “faible confiance” dans cette conclusion.

Je viens donc ici aujourd’hui non seulement avec une observation, mais aussi avec une proposition. L’administration Biden semblait prête à tout pour faire taire les gens qui exprimaient leur opinion : l’administration Trump fera exactement le contraire. Et j’espère que nous pourrons travailler ensemble à Washington.

Il y a un nouveau shérif en ville. 

Sous la direction de Donald Trump, nous pouvons être en désaccord avec vos opinions, mais nous nous battrons pour défendre votre droit de les exprimer sur la place publique. Êtes-vous d’accord ? Nous en sommes au point où la situation est devenue si critique qu’en décembre dernier, la Roumanie a carrément annulé les résultats d’une élection présidentielle sur la base des vagues soupçons d’une agence de renseignement et des énormes pressions de ses voisins continentaux.

Si j’ai bien compris, l’argument était que la désinformation russe avait infecté les élections roumaines. Mais je demanderais à mes amis européens de prendre du recul : vous pouvez penser qu’il est mal que la Russie achète des publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons également. Vous pouvez même le condamner sur la scène mondiale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique provenant d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très solide au départ. […] »


La transcription intégrale du discours de J. D. Vance à la 61e Conférence de Munich sur la sécurité, encadrée par un appareil critique (introduction et commentaires), est à retrouver en libre accès sur le site du Grand Continent.

Publié le 11 mars 2025
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