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Huis clos aux Archives - Épisode 1 : La science à la poursuite du crime

Cette année, des élèves de seconde du lycée Maurice Utrillo, à Stains, écriront une nouvelle policière en lien avec les Archives : celles-ci, entendues comme lieu ou comme documents, comme cadre ou nœud de l'intrigue, devront jouer un rôle clé dans leur récit. Entre-Temps, en quatre épisodes, suivra les principales étapes de ce projet initié par les Archives Nationales. Le premier épisode, que nous raconte leur enseignant Aurélien Cunat, se passe sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, juste à côté de leur lycée, où les élèves ont visité l’exposition sur « La science à la poursuite du crime » avant de découvrir les Archives de l’intérieur, pour mieux imaginer les premières bribes des histoires qu’ils s’apprêtent à écrire.

EXPO La science à la poursuite du crime
photographie Anna Rouker

 

Élisabeth Schmit :  Peut-on d’abord revenir sur le point de départ du projet, à savoir l’exposition sur La science à la poursuite du crime  aux Archives Nationales ?

Aurélien Cunat : Le point de départ du projet, c’est une proposition du service éducatif des Archives Nationales, à Pierrefitte, proposition faite à différents établissements scolaires, autour de l’exposition « La science à la poursuite du crime » qui s’intéresse à l’histoire des archives de la police et de l’identification des criminels. Le lycée Maurice Utrillo, où je suis enseignant, l’a accepté tout de suite. L’idée d’Annick Pegeon, responsable du service éducatif, était de familiariser les élèves avec un lieu qu’ils voient tous les jours : les Archives sont un énorme bâtiment qui se situe à deux cents mètres du lycée, au niveau de la station Saint-Denis-Université. Il s’agissait de faire découvrir les Archives aux élèves, mais aussi de leur permettre de se les approprier : plus seulement sous la forme de documents reproduits ou fac-similés étudiés en cours d’histoire, mais qu’ils les aient dans les mains et qu’ils les intègrent à un travail, qui les rendent finalement acteurs et actrices d’une création littéraire.

Élisabeth Schmit : En quoi doit consister cette création littéraire ?

Aurélien Cunat : Il s’agit d’écrire une nouvelle qui se passe aux Archives, avec le personnel des Archives et avec les archives, comme objets, au centre de l’intrigue – rédaction qui s’inscrit dans les nouveaux programmes de seconde, qui intègrent le récit et ses personnages. Les élèves utiliseront aussi la photographie pour illustrer leur travail. Le projet vise à la fois à rendre ce lieu familier aux élèves en le visitant, mais doit aussi leur permettre de l’investir et de le re-créer par l’écriture. À la fin du projet, les nouvelles écrites par les élèves seront éditées par les Archives Nationales et disponibles sur place, ainsi que dans les médiathèques et CDI des établissements du bassin.

Élisabeth Schmit : Lorsque le projet a été présenté aux élèves, quelle a été leur réaction ? Est-ce qu’ils connaissaient déjà les Archives ?

Aurélien Cunat : Certains y étaient déjà allés, dans le cadre d’autres projets menés au collège, sur la seconde guerre mondiale ou la déportation notamment, autour de documents d’archives. D’autres avaient pu y aller, souvent dans le cadre scolaire, pour assister à diverses manifestations culturelles, concerts ou expositions. Les élèves connaissaient plus ou moins le lieu mais l’ont découvert autrement cette année :  dès le mois de septembre, ils ont visité l’exposition mais aussi toute une partie des Archives habituellement fermée au public et notamment aux scolaires.

EXPO La science à la poursuite du crime
photographie Anna Rouker

Élisabeth Schmit : Comment s’est passée cette visite, qui était la toute première étape du projet ?

Aurélien Cunat : La visite a eu lieu en deux temps, la semaine de la rentrée, alors qu’ils venaient seulement de découvrir leur nouveau lycée. La visite, d’abord, était commentée par le commissaire de l’exposition, Pierre Piazza. Étaient également présentes Anna Rouker, photographe, et Françoise Henry, écrivain, qui font partie du projet. Dans un premier temps, nous avons visité l’exposition, qui n’avait pas encore ouvert et dont les élèves étaient donc les tout premiers et seuls visiteurs. L’exposition retraçait les techniques d’identification de criminels, avec la toise, les empreintes digitales, les photographies de scènes de crime, les techniques de fichage… il y avait aussi toute une partie sur l’affaire Dreyfus, que les élèves avaient étudiée en classe de troisième, et où la question de l’identification des preuves est centrale. Si cela pouvait paraître au départ aride aux élèves, ils ont en fait posé beaucoup de questions, et certaines problématiques les ont beaucoup interpellés, notamment le fichage, qu’ils ont tout de suite associé à des pratiques actuelles… l’affaire Dreyfus également, car les archives sont liées à la question du mensonge, enfin ils ont été très sensibles aux photographies visant à ficher les populations tsiganes, systématiquement fichées par la préfecture de police en tant que population considérée comme nuisible ou à risque : ces photographies montraient des visages affaiblis, parfois meurtris. Les élèves ont tout de suite pressenti les histoires qu’il pouvait y avoir derrière ces photographies, qui ne sont pourtant « que » des photographies d’identité. Ils ont vu qu’elles pouvaient raconter quelque chose, de la même manière que les photographies de scènes de crime. À l’issue de l’exposition, ils ont dû choisir un objet, une archive qui leur parlait – une empreinte, le visage d’un malfrat renfrogné… – et ont cherché à imaginer quelle pouvait être sa place dans une intrigue policière.

EXPO La science à la poursuite du crime
photographie Anna Rouker

Puis la classe s’est scindée en deux et nous avons visité l’envers du décor des Archives : la salle de lecture mais aussi les magasins de conservation, en faisant particulièrement attention à l’atmosphère du lieu. Dans les magasins, les élèves ont pu voir que la lumière, la température, l’odeur de ce lieu étaient différentes. Ils ont découvert les pratiques et les mots parfois évocateurs qu’on y emploie, comme le « fantôme » que l’on laisse sur place lorsqu’on prélève un document. Ils ont été particulièrement impressionnés par les portes et la lumière automatiques, l’utilisation de badges pour circuler dans les espaces. C’était une première rencontre avec ce lieu, un lieu complètement nouveau pour eux, qu’ils vont devoir se réapproprier et recréer le temps d’une intrigue.

Élisabeth Schmit : Comment vont-ils, à partir de là, être guidés dans la rédaction de leur nouvelle ? Quelles sont les différentes étapes prévues et quel doit être le rôle des deux autres intervenantes, à savoir la photographe et l’écrivain qui sont associées au projet ?

Aurélien Cunat : La première étape est de continuer à se familiariser avec le lieu. Les élèves ont déjà travaillé avec Anna Rouker sur des photographies qu’elle avait faites des Archives : comment celles-ci peuvent-elles constituer le point de départ d’une intrigue ? Quelle ambiance – par le cadrage, la luminosité, les couleurs – permettent-elles de restituer ? Avec la romancière Françoise Henry, la question va être de comprendre comment créer du suspense, à partir d’un événement, d’un détail ou d’une anecdote ? Ce sont les deux ressorts de la rédaction : l’impression que permet de donner la photographie mais aussi la narration, la description dans un récit. La responsable du service éducatif des Archives, Annick Pegeon, va quant à elle leur montrer des documents qui pourraient être intégrés à leur récit.

Les élèves vont donc être guidés par ces trois intervenantes, dans leur travail sur les Archives comme lieu, comme série d’acteurs, et sur les archives comme documents. Ils pourront alors commencer la rédaction, par groupe de trois, de récits policiers, une fois qu’ils auront fait le choix des acteurs, du lieu, et du fil narratif de leur histoire.

EXPO La science à la poursuite du crime
photographie Anna Rouker

Élisabeth Schmit : Quelles sont, en tant qu’enseignant, vos attentes quant à ce projet ? Comment doit-il plus largement s’intégrer à votre enseignement ?

Aurélien Cunat : en tant que professeur de français, je dois dire que le projet s’intègre bien au nouveau programme de seconde, qui s’intéresse au récit, sous toutes ses formes, du XIXe au XXIe siècle. La nouvelle permet plus spécialement de produire un récit court, dense, mais que l’on peut en même temps travailler sur la durée. Nous avons commencé à travailler sur des nouvelles à suspense, des textes d’Agatha Christie, Maupassant, Fred Vargas, pour essayer de comprendre comment créer une intrigue avec une chute, avec des rebondissements, en très peu de pages. Pour moi, c’est à la fois un outil pédagogique et, bien sûr, un outil d’évaluation des élèves : savoir maîtriser les temps du passé, maîtriser un schéma narratif, avec l’intervention de personnages… Ce qui m’intéresse aussi, c’est de penser ce projet au long cours, et de l’articuler dans la durée sur un « au-dedans » et « au dehors » de la classe : l’écriture des nouvelles va mettre en jeu des éléments d’analyse littéraire ou de conjugaison et grammaire vus en cours, mais le projet doit surtout se dérouler en dehors des cours, avec des sorties régulières aux Archives, dans un autre lieu, à l’extérieur du lycée, ou l’espace mais aussi le temps, qui n’est plus rythmé par la sonnerie, sont différents. Le projet, enfin, aura aussi à l’inverse un impact sur ce que nous ferons le reste de l’année en cours, puisque nous allons notamment étudier le roman de Didier Daeninckx, Meurtre pour mémoire, dans lequel la question de la mémoire de la guerre d’Algérie mais aussi la question des archives de la seconde guerre mondiale et notamment du camp de Drancy sont extrêmement présentes. L’idée est de maintenir un lien étroit entre ce qu’ils feront dans le cadre du projet et à l’extérieur du lycée, et les œuvres qui viennent nourrir le contenu de mon enseignement.

Publié le 22 octobre 2019
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