Entre-Temps, le livre
À vos librairies ! Pour sa rentrée d'octobre 2025, Entre-Temps sort de ses espaces numériques de publication avec un livre papier, Entre-temps : l’histoire publique en revue. 46 textes publiés par notre revue depuis 2018 que leurs auteurs et autrices ont revus et parfois actualisés, pour composer une anthologie enrichie de nombreux textes introductifs et d’encadrés de fin d’articles. Publié en grand format avec illustrations couleur dans la collection "Faire savoir" des éditions du Collège de France, ce livre est pour nous l’occasion de revenir sur sept années de réflexions et de publications qui mettent au centre les expériences d’écriture, d’adaptation et de transmission de l’histoire. À destination de nos lectrices et lecteurs, nous proposons aujourd'hui la préface inédite de Patrick Boucheron, suivie du sommaire du livre et d'un aperçu de ce qui se trouve à l'intérieur des pages. Et pour en savoir plus, rendez-vous à Blois, où nous organisons une carte blanche autour du livre et de la revue vendredi 10 octobre à 18h15.

Toutes les informations sur le livre sont disponibles sur le site des éditions du Collège de France, collection « Faire savoir ». Ce livre a été publié avec le soutien de la Fondation du Collège de France.
Retrouvez Entre-Temps aux Rendez-vous de l’histoire de Blois ce vendredi 10 octobre 2025, 18h15-19h45, salle des mariages de l’hôtel de ville, pour une présentation de l’histoire et des axes de la revue, ainsi que des enjeux de la publication papier du livre. Plus d’informations sur le site des RDVH de Blois.
Avant-propos. De l’histoire actuelle à l’histoire publique
Par Patrick Boucheron
« Nouveau et intéressant ». Tel était le sous-titre du magazine Actuel, qui fut celui de ma prime jeunesse. En évoquant ici ce journal pop et underground qui diffusa largement la contre-culture en France, j’ai bien conscience d’accuser mon âge. Au moins dois-je préciser que je n’évoque ici que sa relance, en 1979, par Jean-François Bizot – le fanzine avait déjà connu plusieurs vies, dans l’effet de souffle de Mai 68. J’avais alors 15 ans, et j’étais bien résolu à ne pas rester trop longtemps dans l’ombre d’une génération qui allait bientôt faire de ses combats passés pour l’émancipation politique et culturelle l’horizon indépassable de notre temps. Mais, en attendant, il y avait tant d’inspirations à trouver dans cet élan, cette audace, cette générosité. Actuel faisait joyeusement valdinguer les barrières séparant le savoir légitime des cultures subalternes. Ne s’embarrassant guère d’étiquettes, de labels ou de slogans, la revue faisait passer sa soif inextinguible d’une mise en présence du monde au tamis d’une double exigence : faire récit et donner à voir.
Si j’évoque ici le magazine Actuel dont je fus un fidèle lecteur, ce n’est pas seulement parce que j’y ai appris une manière à la fois singulière et très collective de passer l’époque en revue par l’image et par le texte, en privilégiant toujours le récit sur la théorie, en ne choisissant jamais entre transmettre un savoir et partager une émotion. C’est parce que, lorsque parut son dernier numéro en 1994, l’année où je soutenais une thèse de doctorat en histoire médiévale, je ne crus pas nécessaire de renoncer aux promesses de son sous-titre. Oui, l’exercice de l’histoire pouvait ne jamais cesser d’être « nouveau et intéressant ». Nouveau, il l’était dès lors que l’on suivait la leçon de Marc Bloch, pour qui il n’y a d’histoire que de ce qui change. Et intéressant, il le serait si l’on se souvenait de ce que disait Paul Veyne de ce mot faussement anodin : si quelque chose pique notre curiosité, si ce quelque chose nous semble intéressant, cela devrait suffire à justifier notre envie de le comprendre et de le partager.
C’est Paul Veyne qui a su, le premier, dire pourquoi Michel Foucault révolutionnait l’histoire – car il faisait de l’histoire un art des singularités, du récit historique un éloge de la rareté, et du rôle de l’historien l’une des modalités de l’intellectuel spécifique. Mais c’est peut-être Gilles Deleuze qui expliqua le mieux comment l’archéologie foucaldienne pouvait faire front à l’arrogance du présent. S’il s’agit bien de chercher ce qu’il y a de nouveau et d’intéressant aujourd’hui, si l’on comprend que cet aujourd’hui est tramé de temporalités diverses qui débordent le temps présent, alors on peut bien appeler « histoire actuelle » le dispositif de savoir qui traque non pas l’actualité, mais l’actuel. Car si l’aujourd’hui désigne la pure présence d’actualités évanescentes, l’actuel pose un diagnostic sur ce que nous sommes en train de devenir. Il faut, pour le discerner, accueillir dans son sens plein le « nous » et le « devenir » de cette expression. Car afin de saisir en quoi aujourd’hui diffère d’hier, il convient de se rendre hospitalier à ce qui diffère de nous-même, soit parce que ses obscures clartés viennent d’un passé faussement révolu, soit parce que leur étrange familiarité nous arrache à notre solitude. Pour ma part, j’avais nommé « entre-temps » cette manière de se faire contemporains.
Mais comment rendre visible, sensible et partageable une telle conception de l’histoire actuelle ? Dès 2015, ma conviction était faite : notre tâche était moins d’invention que d’inventaire. De nouvelles manières d’écrire l’histoire existaient déjà, éparses, contradictoires sans doute, indisciplinées parfois, qu’il nous appartenait d’abord de reconnaître. Et le Collège de France pouvait se rendre utile à la discipline historique, et serviable à sa jeunesse, s’il assumait en la matière son rôle non seulement d’instance d’accueil et de reconnaissance, mais aussi d’imagination – puisque l’imagination est l’une des modalités de l’hospitalité. La mise en œuvre d’une telle intuition en découlait naturellement : une revue numérique, à la périodicité régulière mais non frénétique, dans l’entre-temps qui sépare l’excitation des réseaux sociaux et la torpeur des rythmes de la parution académique, pour se faire le sismographe du contemporain et donner, de proche en proche, des nouvelles de notre rapport à l’histoire. Voici donc quelle est l’aventure, discrète mais opiniâtre, de la revue Entre-temps depuis bientôt sept ans, et voici comment selon moi doit s’entendre son sous-titre de « Revue d’histoire actuelle ». Je n’en dirai pas davantage, laissant désormais la parole à celles et ceux qui, bien plus jeunes que moi, en ont assuré la direction et ont animé son comité de rédaction. Dans les pages qui suivent, Adrien Genoudet, Élisabeth Schmit, Pauline Guillemet et Aurélien Peter se passent le relais pour dire, d’une manière à la fois singulière et collective, l’histoire brève mais inachevée de leur œuvre commune. C’est elle que les lectrices et les lecteurs de ce livre ont désormais entre leurs mains, ou plutôt une part d’elle, puisque ce volume rassemble, sous forme d’anthologie raisonnée, quelques-unes de nos publications qui nous ont semblé marquantes.
Mais pour marquer quoi ? Nullement un temps d’arrêt, sans doute un temps de réflexion. Si nous avons souhaité que le flux des publications numériques trouve sa forme dans ce havre, ou ce port d’attache, qu’est un livre, ce n’est pas par fétichisme de la chose imprimée. Plutôt par conviction que le livre demeure aujourd’hui, et c’est heureux, le principal vecteur du débat public. Or si celui-ci porte de plus en plus sur les usages publics de l’histoire, cela nous oblige aussi à reformer ce que pourrait être, ce que devrait être, l’histoire publique. Qu’est-ce que l’histoire publique, comment les historiennes et les historiens peuvent-ils contribuer à rendre actuelle leur discipline, et qu’ont-ils de nouveau et d’intéressant à dire à celles et ceux qui veulent bien les écouter et leur faire confiance ? D’autres, assurément, dans les écoles comme dans les musées, par la création artistique mais aussi par le travail social, travaillent à la mise en présence du passé, et l’histoire publique peut aussi se définir par cette capacité d’accueil de la discipline historique à tout ce qui la déborde. Voici pourquoi une revue d’histoire actuelle comme Entre-temps peut être lue comme le passage en revue de la diversité de l’histoire publique aujourd’hui. Autant de questions qui, nous semble-t-il, demeurent plus que jamais aujourd’hui d’intérêt public. Qu’elles soient portées et défendues par le Collège de France, sa fondation et son service des Éditions, sans oublier la Fondation Hugot, nous engage et nous oblige. Car on ne demeure pas contemporains sans effort, et c’est toujours une tâche à accomplir que de se maintenir dans cet entre-temps qui nomme pour nous l’espace d’une pensée libre et solidaire.
Sommaire
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Un extrait de l’intérieur du livre, premières pages de la partie « Par ailleurs »


