Dans les coulisses d’un documentaire YouTube : « Les oubliées de l’armée »
La suiveuse, la "travestie" et la cantinière : trois personnages féminins ; trois temps de l'histoire des femmes dans les armées. Des oubliées mises à l'honneur dans un documentaire pour lequel un youtubeur, des doctorant·e·s, une documentaliste audiovisuel et une dessinatrice ont joint leurs efforts. Pour Entre-Temps, elles et ils reviennent sur cette expérience, sur leurs recherches documentaires et les fictions qu'elles et ils ont écrites pour faire connaître ces histoires.
Fondée en 2016 par Quentin Censier, la chaîne Youtube Sur le Champ a pour ambition de vulgariser l’histoire de la guerre sur internet. Originellement fondée sur des vidéos au format simple et relativement court (20 minutes environ), la chaîne propose désormais des formats plus longs et plus travaillés. Ces derniers sont réalisés à 4 mains avec l’aide de Valentin Barrier, doctorant en histoire moderne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le projet évoqué ici est certainement le plus ambitieux que nous ayons réalisé. Il est l’aboutissement d’un travail au long cours qui a nécessité d’agrandir l’équipe, de réfléchir aux modes de vulgarisation sur Youtube, d’hybrider les codes du genre sur internet et d’autres approches plus classiques.
Les Oubliées de l’armée est un documentaire de 70 minutes produit avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), via son programme « Savoirs et Cultures », à destination de notre chaîne Sur le Champ. Son but est d’aborder la place des femmes dans les armées françaises du XVIe au XIXe siècle afin d’ouvrir au grand public les différentes thématiques que cette histoire révèle. Le présent article a pour objet de revenir sur la démarche qui nous a amené·e·s à produire ce documentaire et d’expliciter les enjeux concrets auxquels nous nous sommes confronté·e·s.
Les femmes dans les armées françaises : un manque à combler ?
Si le documentaire a été publié sur Youtube il y a quelques jours, le 5 janvier 2024, le sujet est dans notre esprit depuis janvier 2020. L’histoire des femmes dans la guerre, les armées, était un véritable angle mort pour une chaîne Youtube cherchant à vulgariser l’histoire de la guerre dans sa globalité. Cependant, cette remise à niveau n’allait pas de soi.
Pour commencer, nous avons entamé une démarche de veille et de recherche pour déterminer quel était l’état de l’art. Si des articles et des livres existent déjà sur ce sujet, celui-ci n’est que partiellement balisé. Nous avons été confrontés à nos propres limites. Pour comprendre le sujet, il nous a fallu avoir recours à des approches historiographiques qui ne nous étaient pas familières, notamment celle du genre. C’est pourquoi nous nous sommes associés à une doctorante en histoire du genre et des sexualités, Anouk Durand-Cavallino, pour délimiter au mieux les contours possibles d’un tel épisode.
Histoire du genre, histoire des minorités : enjeux & risques
Parler de la place des femmes dans l’histoire de la guerre soulève plusieurs enjeux. Commençons par le plus évident : la reconnaissance des « oubliées » effacées par la mémoire collective. Mais au-delà de recouvrer cette histoire, introduire le genre comme moyen d’analyse au grand public ou à un public déjà connaisseur de l’histoire de la guerre, nous semblait important. Ce n’est pas seulement une quête des femmes dans l’histoire que nous avons voulu entreprendre ici, mais bien une introduction aux enjeux de genre, de sexe et de sexualité pour le public de la chaîne. Cet enjeu s’imposait d’autant plus que ce public, à l’image de celui qui s’intéresse à l’histoire de la guerre, est très masculin et globalement influencé par des historiographies parfois un peu datées.
C’est ainsi que nous avons essayé d’éviter le « tokenisme »[1] et l’anecdotique : il est facile de faire une vidéo sur l’histoire des femmes, de raconter quelques histoires et de ne plus jamais y revenir. Nous avons tenté de dépasser cet écueil en insistant sur le genre comme un rapport d’analyse, à appliquer plus largement dans les futures vidéos : dans les relations entre les soldats eux-mêmes, celles entre les soldats et les femmes, dans l’armée comme en dehors, dans les débats qui entourent l’histoire de la citoyenneté et du travail. À titre d’exemple, Quentin s’est engagé dans l’écriture d’une série sur la chevalerie d’un point de vue social et culturel. Le sujet des chevaleresses, qu’il aurait manqué auparavant, est déjà présent dans son script aujourd’hui.
De plus, ce n’est pas seulement l’histoire des femmes que nous avons voulu mettre en valeur ici, mais aussi l’histoire de la fluidité du genre[2] en général notamment chez les personnes utilisant le travestissement pour s’engager dans l’armée. La question de leur dénomination a d’ailleurs donné lieu à de nombreux débats entre nous. Fallait-il utiliser le terme de travesties, qui souligne une pratique qui n’est pas propre aux combattantes ; de soldates, qui souligne leur nature sans qu’elle ait été reconnue comme telle à l’époque ; ou les nommer femmes soldats, malgré leur engagement en tant qu’homme ? C’est finalement le premier terme qui l’a emporté.
Nous espérons qu’en soulignant l’existence ancienne de cette fluidité, nos spectateur·ice·s seront amené·e·s à s’interroger sur le caractère historiquement construit du genre en général, et à reconnaître que l’existence de certaines minorités, comme les personnes trans, a des racines historiques[3]. Apporter ce genre de questions à un public qui n’est pas nécessairement conquis nous paraissait important, tout comme d’ouvrir la réflexion en ce sens.
Une gestation en deux temps
Ayant déjà produit deux formats longs par nos propres moyens, un sur les barricades comme objet tactique et un sur la représentation des combats napoléoniens au cinéma, nous avons commencé par écrire un script à partir de début 2021 dans l’optique d’un format semblable à ces précédents, soit un documentaire de 45 minutes avec une voix-off supportée par une riche iconographie.
Cette première forme a concordé avec l’appel à projets « Savoirs et Cultures » du CNC intégré au Fonds d’aide aux créateur·ice·s vidéo sur Internet. Nous avons donc amendé le projet afin de solliciter cette aide financière qui nous permettrait d’enrichir ce que nous avions déjà commencé à assembler. Nous savions à quoi nous voulions réserver cette aide avant même de savoir si nous allions l’obtenir. En effet, une des très grandes limites auxquelles nous nous trouvions déjà confronté·e·s était la quasi-absence d’imaginaire, de mémoire collective, associant les femmes aux espaces militaires avant le XXe siècle. Nous abordions un sujet qui ne se rattacherait à aucune image précise dans l’esprit des spectateur·ice·s. Or, il s’agissait bien avec ce documentaire de corriger la vision exclusivement masculine de l’environnement guerrier[4]. L’appel à projet du CNC était donc une parfaite occasion de faire évoluer notre script et de lui permettre, en plus de retracer l’histoire des femmes dans les armées françaises du XVIe au XIXe siècle, de proposer un imaginaire simple mais cohérent avec notre discours. Finalement, nous avons décidé d’imaginer des scènes de fiction illustrées par des dessins créés pour l’occasion et centrées sur des figures typiques que nos recherches avaient fait émerger. Plutôt que de représenter des femmes nobles en situation de commandement, dont l’histoire est relativement bien documentée, nous avons décidé de représenter des femmes de condition plus modeste, chacune caractérisant une période de notre déroulé chronologique : une suiveuse au XVIIe siècle, une soldate « travestie » au XVIIIe et une cantinière du XIXe siècle.
Donner à voir pour faire croire au discours historique : fictions
L’obtention de l’aide du CNC fin 2021 nous a donc lancé dans une nouvelle phase de production. Il nous était désormais possible d’obtenir des images d’archives ou de tableaux en haute définition avec leurs autorisations d’utilisation, et d’écrire et réaliser trois scènes dialoguées en animation. Nous avons ainsi repensé notre script.
Les trois dialogues fictifs ont été pensés pour se raccrocher à du réel historique. La suiveuse raconte ses mésaventures en reprenant des anecdotes de La Vagabonde Courage, roman picaresque d’un contemporain de la Guerre de Trente Ans, Grimmelshausen. La « travestie », quant à elle, mobilise des éléments du discours topique que l’on retrouve chez les individus jugés pour leur « travestissement » au sein de l’armée. Dans le cadre de cette fiction écrite autour du personnage de la travestie Jeanne Goubier, l’ouvrage de Sylvie Steinberg La confusion des sexes : le travestissement de la Renaissance à la Révolution (2001), qui étudie les interrogatoires de ces femmes, a été notre source principale de documentation. Le dernier personnage, la cantinière, fut plus aisé à associer à des récits d’expériences historiques puisque nous ne manquons pas de témoignages d’anciennes cantinières du Second Empire. À ce titre, les correspondances et les journaux intimes cités par Thomas Cardoza dans son ouvrage Intrepid Women : cantinières et vivandières of the French army (2010) sur l’histoire des cantinières, ont servi de matériaux de base pour la rédaction de cette scène.
Les différences de style pictural des séquences d’animation ont été pensées pour souligner l’augmentation graduelle du nombre de sources qui documentent ces histoires. La première séquence, celle de la suiveuse (jamais nommée dans la fiction) est volontairement minimaliste, elle présente un plan unique suivi d’ombres chinoises. La seconde scène, en noir et blanc, laisse voir davantage d’éléments du monde extérieur au dialogue qui a lieu entre Jeanne Goubier et l’officier qui l’interroge. Enfin, la séquence du dialogue de la cantinière « mère Constantine » avec le médecin de la troupe, en couleurs, est volontairement la plus réaliste et est également celle qui dispose du plus grand nombre de plans et d’une véritable profondeur de champ.
Enfin, nous avons voulu, avec ces trois séquences, rendre sensibles des émotions qu’une analyse discursive transmettrait avec moins d’immédiateté : celles d’une suiveuse contant son histoire au coin du feu, d’une travestie justifiant sa présence après avoir été découverte ; d’une cantinière se remémorant sa carrière.
Dans la mise en scène, nous avons cherché à recréer les biais inhérents aux sources qui sont aujourd’hui disponibles. En effet, depuis ses débuts, historiennes et historiens des femmes, du genre et des sexualités ont été confrontés au fait que la plupart des archives conservées ont été écrites, commentées et choisies par et pour des hommes. En présentant chaque scène à travers le regard d’un homme, nous avons voulu mettre rendre visible cet état de fait, les manques et les biais des archives, cette violence de l’histoire qui a effacé les voix de ces femmes, et inviter les spectateur·ice·s à adopter une perspective critique sur la documentation disponible.
La conception de ces scènes a d’ailleurs donné lieu à tout un dialogue entre les historien·ne·s de l’équipe et la dessinatrice, Léa Prévost. N’étant pas familière avec le dessin historique, Léa nous a demandé de produire une documentation précise des objets, des costumes, des espaces à reproduire. Ainsi, chaque carafe, chaque pertuisane, chaque tente à dessiner devait être justifiée pour faciliter son travail et conserver notre volonté de produire un imaginaire cohérent et lié aux époques et aux situations que nous voulions reconstruire visuellement. Par exemple, nous sommes allé·e·s, par souci de réalisme, jusqu’à déterminer le régiment de la « travestie » Jeanne Goubier, le régiment Nivernois. Le costumier prévu à l’origine nous a d’ailleurs aidé dans la détermination des uniformes pour cette scène.
Un corpus iconographique abondant
Ces scènes ne pouvaient cependant suffire à soutenir le propos d’un documentaire portant un discours historique encore jeune et peu connu du public. Il était essentiel d’y insérer un corpus iconographique maîtrisé afin de rendre compte de la présence des femmes auprès des armées au cours des siècles.
Si les images montées servent principalement d’illustration au discours, nous avons voulu être le plus précis possible historiquement parlant, en sélectionnant au maximum des œuvres produites durant les époques évoquées à l’écran. Certaines images restent anachroniques (notamment celles issues du XIXe siècle pour les femmes nobles commandantes) mais toutes forment des traces de la mémoire de ces femmes. Nous avons également assumé un certain jeu d’ambiguïté sur l’iconographie. Nous avons par exemple choisi des tableaux représentant des personnes qui s’insèrent dans une certaine fluidité de genre dans le passage sur les « travesties » pour faire écho à celle, différente, de l’époque moderne. En tout, ce sont plus de 500 images collectées auprès d’environ 120 sources que nous avons mobilisées dans ce documentaire pour montrer à la fois les permanences et la variété des scènes que les représentations d’époque nous donnent à voir.
Contre toute attente donc, le principal défi pour la documentaliste Juliet Copeland a consisté à composer, non pas avec le manque, mais avec l’abondance d’archives. De nombreuses images sont remontées, parfois un peu aléatoirement, des fonds mystérieux des moteurs de recherche. Mais encore fallait-il connaître leur origine. Notre production audio-visuelle nécessitait d’identifier la provenance de chaque image montée, de les ressourcer jusqu’à leurs fonds institutionnels ou privés et de s’assurer de leur possible libre réutilisation. Dans un second temps, il s’est agi de rapatrier les éléments dans la meilleure définition possible pour se donner au montage final la liberté de naviguer dans l’image et mieux faire ressortir certains de ses éléments : un détail d’uniforme, un tonnelet de cantinière, une scène en arrière-plan…
Le dialogue avec celles et ceux que les documentalistes audiovisuel nomment leurs sources – personnes morales ou physiques disposant d’éléments utiles à la confection du documentaire – a constitué une étape charnière, un entre-deux où le film a commencé à circuler mais était encore amené à changer de visage selon les retours des documentalistes, archivistes, bibliothécaires et autres professionnel·le·s des archives et de la documentation, bien souvent les seul·e·s en mesure d’apporter de précieux éléments de contexte aux images du film – et de vérifier ainsi leur cohérence avec le commentaire. Au-delà du souci de valorisation, leur collaboration dans le cadre du projet atteste d’une volonté de faire honneur à des figures locales. Le Musée des beaux-arts et d’histoire naturelle de Châteaudun a effectué, spécialement pour le documentaire, une prise de vue du tableau de la cantinière-hospitalière dunoise Marie-Julienne Jarrethout, décorée de la Légion d’honneur pour ses actes de bravoure lors de la bataille de Châteaudun du 18 octobre 1870. Une volonté au diapason de celle du documentaire de redonner toute leur importance à ces trajectoires de femmes, suiveuses, cantinières ou combattantes. Plus largement, nous avons cherché à diversifier l’iconographie autant que possible, recourant à des collections des musées nationaux comme le musée de l’Armée ou celles de la Bibliothèque nationale de France (BnF) mais aussi à des fonds spécialisés comme ceux de la Bibliothèque Marguerite Durand / Ville de Paris qui a numérisé et mis en ligne l’intégralité des planches de L’Armée française et ses cantinières (1855).
Des bibliothèques aux archives, des collections de musées de tous horizons à celles de particuliers, cette richesse documentaire nous a fait réaliser que si l’histoire des femmes dans les armées était peu connue, leur présence dans les sources était très visible, à la portée de tous et toutes.
Le documentaire s’appuie enfin sur les dessins produits par Édouard Groult, professionnel de la représentation historique militaire. Ces derniers, réalisés dans un style très actuel et clairement identifiable, nous ont servi de carton de transition entre les chapitres et nous ont permis de représenter les quelques scènes que l’iconographie ne nous permettait pas de montrer.
Sur le plan sonore, pour étoffer davantage le documentaire, nous avons également souhaité reproduire en musique d’ambiance des chansons et autres airs liés à la question des femmes dans les armées, nous parlant de femmes travesties, de cantinières ou de révolutionnaires prenant les armes. On pense ici notamment à « L’amante soldat chez les dragons » (1743) et au « Départ des Amazones françaises » (1793).
In fine, nous espérons ainsi avoir pu convaincre mais également persuader sensiblement les spectateurs et spectatrices de cette présence féminine dans l’espace militaire en leur mettant à disposition immédiatement une mémoire visuelle et musicale rafraîchie et vivante.
Des déboires de production surmontés par les ressources du collectif
La production du documentaire n’a pas été de tout repos. Au départ, nous avions prévu de filmer les scènes de reconstitution avec de véritables acteur·ice·s. Nous avions, avant de déposer notre dossier au CNC, prospecté et trouvé des personnes et des lieux de tournage adaptés à nos moyens. Un costumier se serait occupé de nous fournir de quoi mettre en scène la suiveuse et la « travestie », tandis que nous aurions filmé la cantinière aux côtés d’une association de reconstitution spécialisée dans l’armée du Second Empire : Les Arquebusiers de l’Est. Nous étions déjà bien engagé·e·s dans cette démarche puisque la scène de la cantinière a effectivement été tournée avec une actrice, un acteur et les membres de l’association comme figurants. Cette scène avait été rendue possible par la grande flexibilité de ces reconstitueurs qui avaient accepté de tout tourner pendant un festival de reconstitution historique. Les aléas de la réalisation cinématographique nous ont ici rattrapé·e·s avec fracas. Festival oblige, différentes époques étaient reconstituées dans un espace restreint. Une expérience historique et mémorielle qu’il serait difficile de retranscrire mais qui nous a plus ou moins imposé nos plans et points de vue pour filmer la scène au milieu de simples passants-festivaliers, d’un campement de la Première Guerre mondiale, d’une démonstration de tir de canons gribeauval et de quelques résistants du maquis.
Malheureusement, notre costumier a par la suite eu des problèmes d’ordre privé qui ont rendu impossible de poursuivre notre entreprise cinématographique. Début 2023, alors que l’épisode était enregistré, que l’iconographie commençait à être finalisée et qu’une scène sur trois était montée, nous avons dû renoncer aux scènes filmées. L’alternative de l’animation pour les scènes de fiction s’est alors imposée de manière probante. Nous avons repris la scène de la cantinière tout en revoyant les textes. Si le développement du documentaire a donc pris près d’une année supplémentaire, cela a permis la construction d’un univers visuel riche et original, sous la direction artistique de Léa, et l’intégration de Juliet comme documentaliste, dont le travail est venu parachever des recherches iconographiques de longue haleine en permettant d’identifier leur provenance et de nouer des relations privilégiées avec certaines des institutions et des personnes « sources » mobilisées pour le documentaire.
Mais ces mésaventures ne doivent pas cacher un fait essentiel. Ce documentaire, avec moins de 20 000 euros de budget, n’aurait jamais pu voir le jour sans l’investissement important de chacune des personnes impliquées dans son développement. Nous avons récolté les fruits de notre travail de fond sur la chaîne YouTube Sur le champ. Nous avons trouvé les oreilles et les yeux d’un public attentif et bienveillant vis-à-vis de notre projet et ce malgré nos moyens limités. Le projet a aussi emporté l’adhésion de passionné·e·s d’histoire avec lesquels nous collaborons régulièrement. Que ce soit l’association des Arquebusiers de l’Est, le dessinateur des encarts, la dessinatrice et motion-designeuse, la documentaliste audiovisuel, le costumier qui a malgré tout exécuté tout un riche travail de documentation pour nos scènes, les musicien·ne·s, les actrices et acteurs : toutes et tous se sont investi·e·s et ont porté leur part face aux difficultés de production. Il est indéniable que le documentaire n’aurait pu aboutir sans elles et sans eux.
Pour une collaboration de l’histoire du genre et de la guerre
Au moment d’écrire ces lignes, le documentaire est à peine sorti. Il est imparfait à plusieurs égards, notamment techniquement, mais il ressemble au projet que nous avions proposé au CNC. Au sortir de cette aventure de presque quatre années, il est indéniable que nous avons bénéficié du rapprochement de nos différentes disciplines. Les éléments que nous avons souhaité mettre en avant sont le reflet de ce que les recherches en cours sur l’histoire du genre et de la guerre ont mis au jour : les constructions des normes de genre en contexte militaire et dans l’institution militaire[5], l’évolution des spécificités de la citoyenneté féminine liée à la question du port des armes[6], la participation active des femmes dans les conflits comme combattantes[7] et la guerre comme période de transgression des normes de genre[8].
Du point de vue de la production, nos déboires nous ont offert de nombreux enseignements : s’adapter aux imprévus inhérents à ce genre de projet ; faire se rejoindre les préoccupations des passionné·e·s non professionnel·le·s de l’histoire et le monde de la recherche, clarifier auprès de non-historien·ne·s nos besoins visuels et ainsi s’efforcer de penser les objets et les pratiques du quotidien pour les rendre perceptibles, collaborer avec bibliothèques, archives, musées et particuliers de tous horizons, en France comme à l’international, afin de mettre en avant leurs collections dans une démarche iconographique cohérente.
En ce qui nous concerne, nous ne regardons plus un tableau de guerre sans vérifier la présence de femmes. Et vous l’aurez compris : il y en a toujours.
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[1] Pratique consistant à faire des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires, dans le but d’échapper aux accusations de discriminations.
[2] Par exemple, Karen Harvey, « The century of sex ? Gender, bodies and sexualities in the long eighteenth century », The Historical Journal, 2002, vol. 45, n. 4, p. 215.
[3] Clovis Maillet, Les Genres fluides, Paris, 2020.
[4] Par exemple, Jean-Paul Bertaud, « La virilité militaire », Histoire de la virilité, II, Paris, 2011, p. 157-202, ou Drévillon Hervé. Des virilités guerrières à la masculinité militaire (France, XVIIe-XVIIIe siècles) dans Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinité, Lyon, 2014.
[5] Cécile Dauphin et Arlette Farge, De la violence et des femmes, Paris, 1997.
[6] Dominique Godineau, « De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 20 | 2004.
[7] Marion Trévisi, Philippe Nivet (dir), Les femmes et la guerre de l’antiquité à 1918, actes du colloque d’amiens 15-16 novembre 2007, Paris, 2010.
[8] Véronique Garrigues, « Les « femmes viriles ». Un genre de transgression pendant les guerres de Religion ? », dans Laurent Douzou (éd.), Guerre et transgressions. Expériences transgressives en temps de guerre de l’Antiquité au génocide rwandais, Presses universitaires de Grenoble, 2018, p. 51-68.