Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

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Capsules temporelles au lycée Maurice-Utrillo de Stains. Entretien avec Delphine Ya-Chee-Chan et Laure Meunier

Élisabeth Schmit

Laure Meunier

Delphine Ya-Chee-Chan

Élisabeth Schmit

Élisabeth Schmit est maîtresse de conférences en histoire médiévale à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est l'auteure d'une thèse sur la transformation des institutions judiciaires en France après les bouleversements de la guerre de Cent ans (Paris 1 / Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris) et s'intéresse plus largement à l'histoire des pratiques judiciaires à la fin du Moyen Âge. Ancienne directrice de rédaction de la revue, elle en est désormais l'une des rédactrices en chef adjointes.

Laure Meunier

Laure Meunier est professeure agrégée de sciences sociales, chargée de mission d’inspection et formatrice dans l’académie de Créteil. Après quelques expériences dans le domaine du journalisme, elle a enseigné en classe préparatoire et à Sciences Po. Elle s’intéresse à différentes disciplines et est également titulaire d’une licence d’anglais et d’histoire, d’une maîtrise de géographie, d’un master de géopolitique et d’un master de réalisation audiovisuelle appliquée aux sciences sociales.

Delphine Ya-Chee-Chan

Passionnée par les formes d’expression marginales, Delphine Ya-Chee-Chan a participé à la création de l’association des Amis de l’imprimé populaire et du fanzinarium à Paris. Elle a également participé à l'ouvrage "Bande dessinée en bibliothèque" (Cercle de la Librairie, 2018). Aujourd’hui, elle complète ses activités associatives par le métier de professeure-documentaliste au lycée Maurice-Utrillo de Stains.

Au lycée Maurice-Utrillo de Stains (93), les professeures Delphine Ya-Chee-Chan (documentaliste) et Laure Meunier (SES) ont poussé la porte d'un labo photo abandonné. Dedans sommeillait une boîte de négatifs de photographies prises dans les années 1990, comme une capsule temporelle. Elles racontent à Élisabeth Schmit comment, à partir de cette découverte, elles ont monté un projet avec des élèves de Seconde et de Terminale : pour initier les élèves à l'enquête sociologique et élaborer à leur tour une capsule temporelle, volontaire celle-là, à son tour entreposée dans le labo et prête à être ouverte, mais pas tout de suite.

Élisabeth Schmit : L’existence ancienne, et presqu’oubliée, d’un laboratoire de photographie argentique au lycée Maurice-Utrillo est au point de départ de votre projet. Dans quelles conditions l’avez-vous redécouvert et depuis quand n’avait-il pas été utilisé ?

Delphine Ya-Chee-Chan : Il est difficile de raconter cette histoire sans parler d’abord du studio de webradio. Dans le cadre d’une résidence d’écrivain de la région Île-de-France en 2022-2023, nous avons accueilli Claire Latxague, autrice de podcast. Cela a été un moment idéal pour demander un équipement de webradio et suggérer de transformer en studio l’ancien bureau des psychologues (Psy-En), enclavé dans le Centre de documentation et d’information (CDI). Une fois aménagé, le studio a été utilisé non seulement à des fins pédagogiques, mais par les lycéens et lycéennes pour des projets personnels. 

Je crois que c’est en parlant du studio avec ma collègue de sciences économiques et sociales (SES), Laure Meunier que nous avons évoqué les laboratoires de développement photographiques de notre jeunesse. Pour elle comme pour moi, ils constituaient des espaces de liberté au sein de l’établissement. Nous nous y enfermions sans adulte à l’époque. En voyant les étoiles dans ses yeux à l’évocation de ces souvenirs, il était clair que ma collègue y avait passé plus d’heures que moi.

Je lui ai alors signalé qu’un tel espace et son matériel existaient au sein du lycée. Les étoiles dans ses yeux ont redoublé d’intensité. C’était à un moment où l’établissement était désert. Nous avons pu aller tout de suite dans la réserve où trônait encore l’agrandisseur. Pour accéder à l’ancien laboratoire, il faut d’abord entrer dans la salle 16. C’est un vrai problème car c’est une grande salle dans laquelle il y a souvent des cours. La pièce est donc inaccessible à ces moments-là. Elle était d’ailleurs encombrée par le matériel du cours d’art appliqué qui avait occupé la salle 16 pendant un temps.

En arrivant dans cette réserve, Mme Meunier a tout retourné pour voir ce qu’il y avait : outre l’agrandisseur (apparemment en état de marche), on a trouvé des bidons de produits (sans doute périmés), du papier, des bacs, des pinces… Et une boîte en carton remplie de négatifs, comme une capsule temporelle, involontairement laissée pour nous. Évidemment, on a examiné les images qu’on a rapidement associées aux années 1990. On ne le savait pas encore, mais en évoquant l’ouverture du lycée et la mode de ces années-là, on était en train de commencer notre enquête.

J’ai raconté à ma collègue tout ce que je savais sur ce labo. Je suis arrivée dans l’établissement il y a 13 ans. À l’époque, un professeur d’éducation physique et sportive (EPS) animait un club photo et dessin. Il avait trouvé ce labo par lui-même en 2010 : cela faisait déjà trois ans qu’il travaillait au lycée et personne ne lui avait parlé de cette pièce. Lorsque ce collègue a obtenu sa mutation vers un autre établissement en 2012, personne n’a pris le relais de son club. Je l’ai recontacté pour revenir sur ce qu’il savait de ce labo, et il m’a confié ne s’être jamais servi de l’agrandisseur : les élèves préféraient faire du dessin.

Nous avons découvert que l’installation du laboratoire date des années qui ont suivi l’ouverture du lycée en 1991. Le carton appliqué sur les fenêtres pour obscurcir la pièce nous prouve cependant que la salle n’était initialement pas destinée à cet usage. Pendant un temps, le club musique a utilisé cet espace pour stocker ses instruments.

Laure Meunier : L’enquête menée auprès d’anciens élèves a permis de retrouver des membres du club photo, et qui en gardaient des souvenirs forts. Le laboratoire n’était déjà plus en usage lorsque l’une d’elles, Kaïna, est devenue assistante d’éducation (AED) au lycée au début des années 2000 : son accès avait été condamné et il était interdit de s’en servir, car les produits auraient été cancérigènes (je n’ai trouvé aucune confirmation de cette information pour des utilisations occasionnelles). 

É. S. : Une fois la boîte découverte et ouverte, vous avez décidé de monter un projet pédagogique avec les élèves à partir des négatifs qu’elle contenait : « être lycéen lycéenne à Stains, hier et aujourd’hui ». Un projet en trois étapes : étudier les négatifs retrouvés, mener une enquête sur la vie lycéenne des années 1990, puis imaginer une nouvelle capsule temporelle qui serait, volontairement cette fois, laissée pour les générations à venir. Pour commencer, il a fallu dater les négatifs. Comment avez-vous procédé ? Quelles étaient les premières impressions des élèves et comment ont-ils évalué la distance entre le temps de ces photographies et le leur ?

D. Y-C-C. : Nous avons choisi de travailler avec une classe de Seconde dans le cadre du cours de sciences économiques et sociales, et un groupe d’option de Terminale, en droit et grands enjeux du monde contemporains (DGEMC). 

Nous avons voulu avancer au maximum avant de débuter le projet avec les élèves. Ainsi, très vite, nous avons essayé de dater les négatifs trouvés dans la boîte et de rechercher des personnes à interroger sur la période. J’ai commencé par interroger des membres de l’établissement plus anciens que moi. Avec Mme Meunier, nous avons aussi consulté les archives du lycée pour essayer de mettre des noms sur les visages de ces négatifs. Nous avons aussi tenté d’utiliser des réseaux sociaux comme Copains d’avant, mais cela est resté vain. Nous avions cependant retrouvé trois anciens élèves. 

Pour compléter, les élèves de l’option DGEMC ont envoyé un message à l’ensemble des parents du lycée. C’est cela qui a débloqué la situation, car un parent a diffusé le message sur une liste stanoise, qui a été reçu par plusieurs anciennes élèves de la période 1992-1996, qui ont été enthousiastes à l’idée de participer au projet.

Plusieurs indices des photographies tirées des négatifs nous ont parallèlement permis de les dater :

  • Une photo d’un poster de l’acteur Luke Perry.
  • Une photo de manifestation où le nom d’une personnalité figure sur une pancarte.
  • Une photo d’une élève dans une salle de classe où un calendrier est accroché.
  • Une photo où le gymnase voisin (ouvert en 1992) est visible.

Pour que les élèves puissent commencer leur enquête, un lot de photographies (imprimées et plastifiées) leur a été distribué lors d’une séance en demi-groupe, lors de laquelle ils étaient répartis en trois tables. La consigne était de relever les indices permettant de dater ces images.

Durant la séance, Mme Meunier a pris chacune des trois équipes séparément pour leur faire visiter le laboratoire. En effet, les mentions présentes sur l’agrandisseur (fabriqué en Tchécoslovaquie) permettaient aussi de dater ce matériel. C’était également l’occasion de leur faire réaliser qu’ils avaient affaire à une technologie différente de celle qu’ils utilisaient aujourd’hui avec les smartphones. Nous avons évoqué avec eux les scènes de développement photographique présentes dans des films ou séries.

On ne peut pas dire que cette matière ancienne (les photos, l’agrandisseur, les archives) ait suscité des émotions particulières de la part des élèves. En tout cas, il n’y a pas eu d’expression allant dans ce sens, mais elle a clairement permis une immersion dans le projet. La classe, habituellement difficile à entraîner vers le travail, s’est laissée emporter par l’enquête. De même, si l’effet miroir n’a pas été explicitement évoqué par les élèves, il nous paraît évident qu’il a joué. En voyant des adolescents et des adolescentes d’une autre époque dans les murs de leur établissement, un travail intérieur s’est nécessairement fait. Dans nos échanges avec les groupes, nous avons parlé des idoles de l’époque (notamment l’acteur Luke Perry) et de la législation sur la cigarette (on voit des élèves fumer dans l’enceinte du lycée). Des parallèles ont été fait avec notre époque.

L. M. : De manière systématique, les élèves ont été surpris par l’apparence des lycéens sur les photos, qui leur paraissaient plus vieux qu’ils ne l’étaient en réalité. Nous avions retrouvé des dossiers d’élèves dans les archives du lycée, dont nous avions retiré les données sensibles et que nous avions anonymisés. Cela a permis de montrer aux élèves que :

  • L’apparence physique des individus présents sur les photographies correspondait effectivement à celle de lycéens des années 1990.  
  • Il existait des photographies couleur à l’époque, alors que les élèves déduisaient du fait que les photographies développées étaient en noir et blanc que la couleur n’existait pas encore.

Cela a permis de donner un exemple concret, en cours de sciences économiques et sociales, sur l’intériorisation inconsciente de normes (coiffure, vêtements, posture…) en fonction de son groupe social.

De manière générale, les élèves faisaient remonter les photographies à un passé assez loin d’eux, nommé « à l’époque ». Ils ont d’ailleurs accueilli l’une des anciennes élèves en débutant l’entretien par la phrase « vous étiez donc élève au lycée dans les années 1900 ».

Au final, l’engagement émotionnel des élèves, et leur rapport au temps passé nous a semblé très lié à la question de la manipulation des photographies et des archives.

Par ailleurs, de nombreux élèves ont été surpris par le fonctionnement du laboratoire argentique, dès lors qu’ils ont eux-mêmes mis les mains dans le bain. La première réutilisation du laboratoire remonte à juin 2024. J’avais proposé aux élèves présents après le conseil de classe d’apprendre à développer des photographies. Ils étaient peu enthousiastes au départ, car ils ne voyaient pas très bien à quoi cela correspondait. Lorsqu’ils ont vu l’image se former dans le révélateur, ils ont été captivés.

Au début de l’année scolaire 2024-2025, ce sont des élèves de Terminale option DGEMC qui m’ont demandé comment utiliser la chambre noire. Ils se sont exclamés « tu imagines, on prenait une photographie le dimanche, et tu vois l’image le lundi ! ». Je leur ai expliqué que ce n’était encore pas la bonne temporalité. Malgré cette prise de conscience, les premières fois qu’ils ont utilisé l’appareil argentique, ils m’ont demandé « où on voyait l’image ». 

L’utilisation de la chambre noire a paradoxalement été initialement un moment moins intense pour les élèves de Seconde générale impliqués dans le projet, qui ont manipulé des copies des photographies de la boîte et pris des photos de leur propre quotidien au format numérique, grâce aux appareils prêtés par la Maison européenne de la photographie. Cependant, cette question de la matérialité a émergé avec l’utilisation des appareils numériques. Plusieurs élèves ont évoqué dans leur bilan le fait d’« utiliser un appareil photo – je n’en avais jamais utilisé », ou « d’appuyer sur un bouton ». Nous avons tout de même finalement présenté le fonctionnement de la chambre noire aux élèves impliqués dans le projet, sur la fin, pour qu’ils effectuent quelques tirages à partir des négatifs de la boîte. La fascination était là à chaque passage dans le bain du révélateur. Si c’était à refaire, je positionnerais ce moment en amont dans le projet. 

Tirages argentiques récents réalisés par les élèves de Maurice-Utrillo, dans le bain de fixation. © Non nommé

Et même si nous avons utilisé des copies plastifiées au cours du projet, les photographies sont restées des éléments matériels et manipulables, et ont même servi de matériel pédagogique en cours : par exemple, pour aborder dans le programme la question des pourcentages, nous sommes repartis de la question de la mixité filles-garçons (les élèves pensaient que le lycée n’était pas mixte dans les années 1990 car c’est « ancien », et que cette mixité avait augmenté aujourd’hui). Nous avons trié les photographies des années 1990 et celles prises par les élèves au cours de la seconde phase du projet (en 2025) pour obtenir des échantillons comparables, puis compté celles qui représentaient au moins une fille et un garçon. Comme les deux paquets ne comportaient pas le même nombre de photographies, il a fallu passer par un calcul de proportions, qui a montré que la mixité avait plutôt diminué, un résultat confirmé par les entretiens. 

É. S. : Pour accompagner les élèves dans la production d’une histoire du lycée à partir d’archives et de témoignages et dans la confection d’une trace de leur quotidien aujourd’hui, vous avez intégré plusieurs partenaires à votre projet : une photographe, mais aussi des étudiants stagiaires à l’EHESS. Comment avez-vous travaillé avec ces différents partenaires ? Quel a été leur rôle ?

D. Y-C-C. : La répartition des tâches s’est organisée autour du métier de chacune :

  • Laure Meunier, professeur de SES, a amené le bagage sociologique : ici, il s’agissait de faire le lien avec le cours sur la socialisation et surtout la démarche de l’enquête en sociologie (utilisation d’archives et entretiens).
  • Delphine Ya-Chee-Chan, professeur documentaliste, s’est occupée de la méthodologie de la recherche documentaire ;
  • Pour ce projet, il nous fallait aussi un ou une professionnel·le de l’image. La Délégation académique pour l’art et la culture (DAAC) de Créteil nous a mis en contact avec la Maison européenne de la photographie. On nous a proposé de travailler avec Louisa Ben. Elle a sensibilisé les élèves et les a encadrés pour la prise de photographies.Elle leur a proposé de documenter leur propre quotidien. Un livret va regrouper les photographies retrouvées, celles prises par les élèves en 2025 et des extraits d’entretiens.
  • Deux étudiantes en master à l’EHESS, Suzanne Busson et Lara Obermeier, se sont jointes au projet en tant que stagiaires pour présenter la démarche d’enquête sociologique aux élèves.

Nous sommes intervenues en soutien les une de l’autre pour gérer les groupes et prendre de la distance quand cela était nécessaire, mais chacune est restée la personne référente de sa spécialité.

L. M. : L’intérêt, et la difficulté du projet, consistait à associer sciences sociales, pédagogie et photographie, ce qui était complexe. Les sciences sociales privilégient le langage verbal et la démarche scientifique, là où la photographie fait appel à l’image et à la créativité. Pourtant, j’avais l’impression que la découverte de ce laboratoire était une occasion didactique, en abordant les liens entre écriture et image par la manipulation. 

Il existe des liens entre sociologie et photographie depuis le XIXe siècle (Mead et Bateson), mais il s’agissait alorsessentiellement d’un travail de collecte et de classement des données,qui ne correspondait pas à l’expertise d’un ou une photographe. J’ai cependant repris de ces travaux l’idée du classement des informations pour déterminer les thèmes des entretiens. J’avais d’ailleurs sélectionné des photographies issues des négatifs retrouvés dans la boîte lors d’une séance, pour traiter le thème de la socialisation en même temps que la démarche sociologique. Les étudiantes de l’EHESS qui m’accompagnaient ont préféré laisser les élèves libres des thèmes abordés. 

Ils sont partis de ces thèmes pour évoquer des prénotions (hypothèses de travail) à valider ou non à l’aide des photographies et des entretiens. Par exemple, les élèves pensaient que les élèves des années 1990 avaient moins d’heures de cours, et validaient cette hypothèse grâce à une photographie où on voyait une élève dormir. Lors des entretiens, il est apparu que le nombre d’heures de cours ne semblait pas significativement différent. C’est cette séance qui a enrôlé les élèves, qui sont vraiment repartis de leurs prénotions, qu’ils ont ensuite confronté aux entretiens. Néanmoins, la diversité des thèmes abordés était ambitieuse et il aurait préférable de se limiter à un thème une fois cette séance réalisée.

J’avais prévu que les étudiantes de l’EHESS m’aideraient surtout sur la question de la conception des entretiens, qui pourraient se baser sur les photographies des années 1990 (photo-élicitation). Finalement, ce n’est pas leur apport universitaire qui a été le plus marquant, mais plutôt leur rencontre avec les lycéens. Le fait de travailler en tout petit groupes a permis de se concentrer sur la démarche scientifique : poser des hypothèses, sélectionner dans les entretiens les éléments en lien avec le sujet, valider ou infirmer les hypothèses de départ… En entraînant les élèves en petits groupes, nous avons également pu travailler la question de l’écoute, qui était primordiale avec cette classe.

Concernant les interactions avec la photographe, alors que j’avais initialement prévu de préparer les élèves en amont des interventions de Louisa Ben, celle-ci a préféré laisser les élèves les plus libres possibles dans leurs choix de photo. Cette approche a finalement permis d’obtenir des photographies comparables entre les années 1990 et aujourd’hui, faisant apparaître des régularités et des ruptures. En étant rattachées de manière assez souple au cadre scolaire, les interventions de Louisa ont fait du bien à la classe et notamment à des élèves qui avaient du mal à trouver leur place au lycée. 

La diversité des personnes impliquées a parfois fait naître des divergences de point de vue. Par exemple, en tant qu’enseignante de sciences économiques et sociales, je voulais apprendre aux élèves à mettre en lien des informations et à rédiger des paragraphes argumentés. La formation de Louisa Ben allait dans le sens d’une cohérence plus esthétique. Cette différence de regards a été constructive pour le projet.

É. S. : Une fois qu’avec les lycéens et lycéennes du projet vous aviez cherché et identifié des anciens élèves, il a fallu les interroger. Comment se sont déroulés ces entretiens ?

L. M. : Dans le cadre du programme de sciences économiques et sociales, l’objectif des entretiens était d’initier les élèves à la démarche sociologique, en validant ou non les hypothèses émises par les élèves à partir des photographies des années 1990.

Au sein de la classe de Seconde impliquée il y avait des soucis de bavardage et de manque d’attention. J’avais travaillé sur la question de l’écoute en heure de vie de classe. Nous avons prolongé ce travail lors des entretiens : les élèves devaient apprendre à écouter pour relancer la personne, sans demander ce qui avait déjà été dit. 

Nous sommes volontairement restés à l’écart des entretiens, que les élèves ont entièrement gérés. Le premier entretien a été une rencontre forte, les élèves étaient fiers d’avoir réussi à le mener. La classe a ensuite réécouté l’entretien et sélectionné ce qui correspondait au sujet. Les élèves ont proposé que, pendant l’entretien, l’un d’entre eux soit chargé de recadrer le sujet si nécessaire. 

Les élèves de Terminale DGEMC étaient également très investis et fiers du lien qu’ils avaient créé avec les anciens élèves. En réécoutant l’entretien, ils ont réalisé qu’ils prenaient beaucoup la parole pour évoquer leur propre point de vue, au lieu de recueillir celui de la personne interrogée. Cela a été rude, mais également très formateur au niveau humain, de même que pour leur préparation au grand oral du baccalauréat. Cela a également montré l’importance du travail sur l’écoute qui avait été fait en Seconde.

É. S. : L’ultime étape consiste à créer une nouvelle capsule, volontairement cette fois, en collaboration avec un autre lycée. Que doit contenir cette capsule ? Où et comment sera-t-elle conservée ? Les élèves se projettent-ils dans le moment futur de son ouverture où ils seront, eux-mêmes, devenus d’anciens élèves ?

D. Y-C-C. : La nouvelle capsule sera conservée dans le laboratoire de photographie, fermée par un cadenas à code (connu par le proviseur et la professeure documentaliste). Elle va contenir le livret de photos réalisés par la classe de Seconde de Mme Meunier avec l’aide de la photographe. Son objectif est de créer un lien par l’émotion entre le passé, le présent et le futur. On y ajoutera ce que les élèves nous apporterons : devoirs, dessins, textes… Le club crochet envisage d’y mettre quelques-unes de leurs créations.

Les élèves peuvent aussi écrire des lettres à leurs camarades du futur. Nous espérons que la fête prévue pour la fermeture des deux capsules (celle du lycée Joséphine-Baker à Pierrefitte-sur-Seine et celle du lycée Utrillo) leur permettra de se projeter.

L. M. : En ce qui me concerne, la capsule permet de conclure le projet par une dimension festive, qui résonne avec la nostalgie partagée par les anciens élèves du lycée. Elle clôt un projet dont je retiens deux points forts : la cohésion de la classe et la progression de la qualité d’écoute, mais aussi l’initiation à la démarche des sciences sociales et à l’esprit critique, en posant des hypothèses et en cherchant à les vérifier.

Publié le 20 mai 2025
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