Des élèves témoins et historien·ne·s de l’éducation. Coup d’œil sur le projet « Écrire l’école »
Entre-Temps s'associe au projet "Écrire l'école", lancé par le Comité d'histoire de l'Éducation nationale et l'Association des professeurs d'histoire-géographie. Joëlle Alazard & Cloé Korman nous donnent à voir son avancée. Réparties aux quatre coins de la France, de la maternelle au lycée, 5 classes d'élèves, emmenées par leurs professeur·e·s, se confrontent aux archives et aux recherches historiennes, questionnent les notions d'éducation, d'enseignement, d'élève, et leur historicité.
De quelle manière des enfants et des adolescents d’aujourd’hui se représentent-ils l’histoire de l’école, comment peuvent-ils percevoir, et avec quelle conscience du recul du temps, ce que veut dire être élève ? Ou ce qu’est une école, un cours, une discipline, un professeur, un programme ?
« Écrire l’école », initié par le Comité d’histoire de l’Éducation nationale (CHIMEN) et l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG), se propose de rassembler et de donner à connaître les regards de ceux qui, étant l’objet principal de l’éducation, de ses évolutions constantes au travers des réformes et de l’histoire longue, peuvent apporter sur elle un point de vue très éclairant, particulièrement pour la compréhension des identités générationnelles ou de certaines différenciations sociales et culturelles.
Ouvrir l’activité du CHIMEN aux publics scolaires
Le projet a pour origine une interrogation sur la nature et le programme de travail du Comité d’histoire de l’Éducation nationale. Depuis les années 1970, des comités d’histoire existent chez les grands acteurs des politiques publiques, tels les ministères, la Sécurité sociale (c’est le plus ancien), voire dans certaines grandes entreprises, pour favoriser la rencontre avec le monde académique. Ils sont là pour organiser un dialogue entre la recherche, l’action publique et le grand public. La démarche des comités d’histoire est largement informée et varie d’après leurs thématiques respectives, leurs publics, les carrières de leurs responsables : la tonalité est différente entre les travaux du comité d’histoire des finances, celui des armées ou celui de l’agriculture… Après la longue activité du Service d’histoire de l’éducation, très productif des années 1970 au début des années 2010, la création d’un comité d’histoire de l’éducation a été plusieurs fois considérée et finalement réalisée en 2019. En lançant ses travaux, il a été envisagé d’y associer désormais élèves et professeurs, de leur proposer d’être à l’œuvre pour écrire une histoire de l’éducation qui puisse être partagée avec d’autres professeurs, d’autres élèves.
L’APHG, fondée en 1910 et rassemblant des enseignants de la primaire au supérieur, a été immédiatement séduite par les perspectives qui en découlent pour les enseignants comme pour les élèves. Cette démarche présente en effet un intérêt majeur pour la formation critique des enfants et des adolescents. Outre le fait d’accéder aux notions que sont l’enseignement, l’école, être élève – notions variables dans le temps et selon les situations culturelles et sociales –, cette initiative leur donne l’occasion, avec l’aide de leurs professeurs, d’être sensibilisés aux documents, à l’analyse et aux manières d’écrire l’histoire en apportant eux-mêmes des archives personnelles, familiales, ou en consultant d’autres archives avec leurs professeurs au niveau local.
Des projets dans cinq départements, de la maternelle au lycée
Le CHIMEN et l’APHG ont ainsi publié ensemble un appel à projets en juin 2023. Nous avons intentionnellement ouvert cet appel à tous les niveaux scolaires, de la maternelle au lycée. L’histoire de l’éducation nous apparaît comme un objet pouvant être en permanence reconsidéré au fil d’une scolarité. Elle peut permettre à chacun, à des âges différents, de regarder le statut d’élève comme un miroir structurant de l’enfance et de l’adolescence. De plus, nous avons écarté le dispositif d’un concours, car nous tenions à engager un dialogue continu avec les classes, à les aider sans avoir à anticiper des conditions uniformes pour cet accompagnement, en envisageant davantage la formation d’un ensemble de représentations sur l’histoire de l’éducation. C’est ainsi que nous avons rassemblé cinq projets, qui se répartissent sur toute la France.
Les plus jeunes participants sont dans la Sarthe. Emmenés par leur professeure des écoles Élodie Mirow et avec l’accompagnement du Pays d’art et d’histoire de la vallée du Loir, les élèves de grande section de maternelle et de CP de l’école Georges-Jean à Courdemanche vont explorer le patrimoine scolaire local à travers le bâtiment de la mairie, qui était à son origine, au 16e siècle, un collège religieux. Ils rencontreront Laurent Bourquin, professeur d’histoire moderne à l’université du Mans (laboratoire TEMOS), qui apportera son regard sur l’histoire socio-politique et le développement des collèges dans la région à cette époque.
En Provence, les CP-CE1 de Ludivine Pieroni à l’école Pierre-Magnan (Sisteron), avec la conseillère pédagogique Clothilde Morlet, vont travailler également sur une histoire matérielle de l’école au travers de l’architecture ou d’objets, et en faisant appel aux archives départementales de Digne.
Au niveau collège, Marie-Cécile Bloch, du collège Alain à Crozon en Bretagne entreprend depuis plusieurs années une sensibilisation de ses élèves aux archives, avec par exemple la découverte du travail d’Arlette Farge. Elle proposera d’une part un enseignement sur le travail des enfants qui s’appuiera sur des archives locales, et d’autre part un cours sur l’enseignement de l’esclavage, en faisant étudier l’évolution du sujet dans les manuels scolaires.
Enfin, deux lycées participent au projet : le lycée Émile-Roux de Confolens en Charente, qui prépare son cinquantenaire avec son professeur d’histoire-géographie Vincent Mourgues à partir des archives du lycée et d’entretiens avec les acteurs de sa fondation (hommes et femmes politiques, architectes, administrateurs, anciens élèves…). Nous avons enfin rejoint la démarche de Sylvain Dassonville, professeur d’histoire-géographie au lycée Guillaume-le-Conquérant de Lillebonne en Normandie, qui travaille pour la troisième année consécutive avec ses élèves sur l’étude et la valorisation des archives du lycée. Pour cette nouvelle année scolaire, l’objet central sera le jumelage du lycée, entre 1960 et 1964, avec les villes d’Immenstadt en Allemagne et Wellington au Royaume-Uni. Cette approche précoce de la coopération européenne au travers des échanges lycéens a laissé les traces d’une créativité pédagogique remarquable à l’endroit des élèves de trois nationalités réunis à Lillebonne durant ces années.
Des enjeux pédagogiques et historiographiques
Les formes que prendront ces histoires de l’éducation varient en fonction des niveaux scolaires. En classe de maternelle, elles reposent sur des imagiers, tandis que les productions des élèves plus âgés comprennent des textes, des frises chronologiques, des podcasts, des expositions, ou encore la préparation d’une médiation pour les Journées du patrimoine, dans le cas du lycée Émile-Roux. Tout au long de l’année scolaire, le CHIMEN et l’APHG veillent à échanger avec les professeurs, à proposer des sources bibliographiques, à faire le lien avec les fonds d’archives ou avec des chercheurs susceptibles de leur apporter un éclairage. Ils proposent aussi une perspective de valorisation des travaux réalisés, au travers d’un partenariat avec le musée national de l’Éducation (Munaé) à Rouen, qui leur consacrera une exposition au mois de juin 2024. Les revues Entre-Temps et Historiens & géographes (revue de l’APHG) s’associent enfin pleinement à ce projet en ouvrant leurs pages aux enseignants et enseignantes qui souhaiteront écrire des articles sur la mise en œuvre et la réalisation de ces histoires, sur ce qu’en ont pensé leurs élèves.
Au-delà de la dimension pédagogique sur l’histoire de l’éducation, l’ensemble du projet nourrit l’intérêt scientifique en faisant émerger des objets qui auraient pu rester hors-champ au travers d’autres méthodes de recensement ou d’étude. Ainsi, l’ancien collège de Courdemanche apparaît comme une singularité dans le monde éducatif du 16e siècle, à une époque où ce type d’établissement était plus susceptible de se développer en milieu urbain que dans cette localité rurale. Quelques siècles plus loin, le lycée de Lillebonne, qui s’ouvre en 1959 aux jumelages avec des villes d’Allemagne et d’Angleterre, offre dans ses archives, comme le montre son professeur d’histoire-géographie Sylvain Dassonville, un exemple précoce de mise en œuvre de la réconciliation franco-allemande et du projet européen, une sorte d’Erasmus avant la lettre qui sera particulièrement prospère dans les années 1960.
Plus largement, les propositions des différentes classes participant au projet donnent à connaître la multiplicité des imaginaires de l’école, des périodes, des thèmes, des realia au travers desquels la notion d’éducation s’incarne aux yeux des élèves et des professeurs aujourd’hui. Ces différentes réalisations permettent d’inscrire au sein de la scolarité une histoire en forme d’autobiographie collective, qui en aurait les qualités à la fois subjectives et de mise à distance.