Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

Transmettre

En 2021, inventons l'Université de Plein Air

En ce début d'année 2021, organisons-nous collectivement pour faire à nouveau vivre les savoirs dans des lieux plutôt que d'attendre, trop longtemps encore, la réouverture des universités.

Avant les fêtes, inquiets face à l’incertitude persistante touchant la réouverture des universités, nous appelions à la création d’une « Université de Plein Air », offre pédagogique alternative aux cursus universitaires distanciés.

La nouvelle année et la rentrée venues, cet appel est plus que jamais d’actualité. Nous invitons donc toutes et tous les enseignant·es qui le souhaitent à organiser et concrétiser avec nous ces rencontres.

Contactez nous à l’adresse univ.plein.air@gmail.com

Photogramme d’«As it used to be», Clément Gonzalez (Collectif 109), https://vimeo.com/57814889

 

Les fins d’années sont toujours propices aux bilans et aux vœux. Il y aura peu de monde pour regretter 2020. Mais que faire pour que l’année 2021 soit un peu plus respirable ?

Depuis plus de neuf mois, la pandémie et les deux confinements successifs imposés pour en juguler les effets ont jeté une lumière crue sur la valeur que notre société accorde à diverses activités et professions. Au-delà des enjeux proprement sanitaires, la frontière principale qui divise le monde social, à l’heure du déconfinement, oppose les secteurs marchands aux secteurs non marchands. L’éducation primaire et secondaire mise à part (ce qui, bien sûr, est fondamental), les activités de culture et d’enseignement restent à l’arrêt, tandis que les temples de la consommation que sont les grands magasins et les galeries marchandes ouvrent grand leurs portes (ce dont on peut bien sûr se réjouir pour les nombreux salariés dont les emplois en dépendent). Le PIB, cet indicateur rudimentaire et matérialiste des richesses produites, y gagnera sans doute quelques points. L’esprit critique et la création intellectuelle et artistique, beaucoup moins.

L’enseignement supérieur attendra, encore une fois. Le Conseil d’État l’a réaffirmé dans une ordonnance récente : en matière d’enseignement supérieur, le numérique et le distanciel suffisent à assurer la continuité du service public, dans des conditions certes dégradées, mais qui restent compatibles avec les objectifs de formation, d’évaluation et de délivrance des diplômes. Mais qu’est-ce qu’un cours ? Quelle valeur lui attribue-t-on ? Quelle valeur crée-t-il, pour les individus et la collectivité ? À quoi peut bien servir l’Université ? Ce sont toutes ces questions que la situation actuelle oblige à poser de manière vive et urgente.

Entendons-nous bien. Les outils numériques nous ont permis de tenir, de concevoir de nouvelles formes d’enseignement et de préserver, tant bien que mal, le précieux lien pédagogique qui nous unit à nos étudiant·es. Mais qu’est-ce qu’un enseignement sans communauté étudiante, sans vie étudiante, sans débordement étudiant ? Qu’est-ce qu’un cours sans « hors-cours », sans toutes ces conversations, ruminations, détestations et emportements qui font vivre les contenus et naître des communautés d’appropriation et d’échange en dehors des amphis et des salles de TD, dans les couloirs, les cafés, les restaurants universitaires, les bars ou devant les arrêts de bus ? Ce n’est pas qu’une question de sociabilité, de confort ou d’amusement : les savoirs vivent dans des lieux, à travers des rencontres et des interactions, aussi furtives soient-elles. Et peu importe que celles et ceux qui les échangent portent un masque, des gants ou des combinaisons de protection, tant que les savoirs s’éprouvent dans des paroles situées, plurielles et incarnées.

L’illusion numérique n’est pas celle que l’on croit. Oui, les outils d’enseignement à distance permettent de transmettre des contenus, de communiquer et d’évaluer. Nous l’avons fait en 2020 et continuerons à le faire en 2021, puisqu’il paraît assez probable que nous serons confrontés à d’autres vagues de la pandémie. Mais l’ambition d’un savoir universitaire s’arrête-t-elle là ? S’agit-il seulement de former des individus, de leur faire passer des examens et de tamponner leurs diplômes ? L’enseignement est d’abord, et avant tout, une aventure collective, sinon comment comprendre l’échec, déjà bien documenté, des Moocs et autres formations individualisées à distance, qui ne sont jamais parvenues à susciter la motivation nécessaire parmi celles et ceux qui s’y inscrivaient ? La fiction de la continuité pédagogique par le numérique épouse une conception étriquée, utilitariste et mécaniciste, de l’expérience d’enseignement, qui se résumerait alors à une histoire de plomberie et de tuyauterie, pour faire circuler des messages. Même dans le cas des formations tournées vers la préparation d’épreuves pour des concours ou des examens, la dynamique collective est essentielle, quand bien même les réussites sont ensuite jugées à l’aune des performances individuelles. L’orientation méritocratique du système universitaire français individualise les talents et les compétences, mais c’est bien en groupe que l’on travaille et réfléchit, non pas seulement pour distinguer les meilleurs, mais pour vivre et progresser ensemble. Il serait dommageable que la situation actuelle vienne accentuer cette hyper-individualisation du système français, dont les travers sont pourtant connus de longue date, sans jamais faire l’objet d’une remise en cause radicale.

Il n’y a pas d’enseignement digne de ce nom sans appropriation collective des savoirs et des débats qu’ils alimentent. La relégation numérique de l’Université nourrit les attitudes de repli sur soi ; elle fragilise la vie démocratique et érode la confiance dans les savoirs scientifiques. On ne peut pas d’un côté déplorer sans cesse la montée du complotisme, de la défiance et du séparatisme généralisé, et inviter de l’autre tout le monde à rester chez devant son petit écran et ses réseaux sociaux. La crise de l’information n’est pas qu’une crise des contenus : c’est une crise des formes sociales à travers lesquelles elle circule, se discute et se certifie. C’est pourquoi la défense d’une Université ouverte, hybride et vivante est une urgence démocratique pour 2021.

À ce jour, rien n’indique que le semestre qui s’ouvre en janvier 2021 puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Peut-être la situation s’améliorera-t-elle, mais combien de temps allons-nous encore attendre, suspendu·es aux flux et reflux des annonces ministérielles ? Projetons-nous dans six ou douze mois : qu’aurons-nous fait pour inventer d’autres formes d’échange et de partage, si ce n’est enregistrer des vidéos sympathiques avec nos webcams et démultiplier notre temps d’exposition et celui de nos étudiant·es aux écrans ?

Alors, pour que 2021 ne soit pas une réplique morne et désespérée de 2020, réinventons l’Université en plein air. Saisissons-nous de ces espaces de liberté qui sont sous nos yeux et que pourtant nous ne voyons plus, à force de courber l’échine et d’abandonner nos horizons. Rien ne nous empêche, lorsque nous sommes déconfiné·es, de nous réunir par petits groupes, masqués et protégés, pour enseigner et échanger dans la ville, sur les places, dans les jardins publics, sur les parkings des zones commerciales…

L’enseignement à distance continuera. Mais, dans les interstices, faisons vivre les savoirs pour ne pas dépérir à petit feu. Le froid glacial de janvier nous arrêtera-t-il ? Bien au contraire, c’est maintenant qu’il faut innover, pour que notre printemps soit un peu plus joyeux.

L’idée est simple, trop simple sans doute. Mais pourquoi ne l’avons-nous pas encore expérimentée ? Qu’est-ce qui nous retient de concevoir une offre pédagogique alternative, complémentaire des cursus universitaires tout en étant respectueuse des gestes barrières ? Ne perdons-plus notre temps et notre énergie à attendre en vain la réouverture des bâtiments fermés de l’Université : investissons le plein air et réinventons nos pratiques d’échange et de partage. Au moins aurons-nous le sentiment d’avoir tenté quelque chose, ce qui n’est déjà pas si mal…

En 2021, venez vous réchauffer au feu des gais savoirs et rejoignez-nous pour fonder l’Université de Plein Air !

Publié le 21 décembre 2020
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