Revue numérique d'histoire actuelle ISSN : 3001 – 0721 — — — Soutenue par la Fondation du Collège de France

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Les horizons du Mont-Mesly. Une expérience pédagogique d’histoire publique à l’université Paris-Est Créteil

Mathis Chocat

Danaé Roques

Gabriel Rouillon

Clément Fabre

Mathis Chocat

Étudiant du Master d’histoire publique de l’UPEC

Danaé Roques

Étudiante du Master d’histoire publique de l’UPEC

Gabriel Rouillon

Étudiant du Master d’histoire publique de l’UPEC

Clément Fabre

Clément Fabre est historien contemporanéiste (CRHEC/SIRICE). Ses recherches se situent au croisement d’une histoire sociale des savoirs, de l’histoire du corps et des sensibilités et de l’histoire impériale. Jusqu’à présent, ses travaux ont principalement porté sur l’histoire des circulations entre la Chine et l’Occident et des savoirs occidentaux sur la Chine aux XIXe-XXe siècles. Sa thèse de doctorat (La Chine à fleur de peau. Agents d’influence anglophones et francophones en Chine et différence chinoise des corps, des années 1830 au début des années 1920), récompensée par le Prix Jean-Baptiste Duroselle d’Histoire des relations internationales et le Prix Dominique Kalifa d’Histoire du XIXe siècle, paraîtra prochainement chez CNRS Éditions. Ses nouveaux chantiers de recherche portent sur l’histoire des traversées maritimes coloniales (XIXe-XXe siècles) et sur une histoire sociale et politique de la voix au XIXe siècle. Membre du comité scientifique de la revue L’Histoire depuis 2020, il a été rédacteur du magazine Faire l’Histoire (diffusé sur Arte en 2021-2022) et commissaire scientifique d’exposition au Mémorial de Caen en 2024. Il fait partie depuis sa création du Comité de pilotage du Festival d’histoire populaire de l’Université Paris-Est Créteil.

En 2023-2024, la promotion de M1 du Master d’histoire publique de l’université Paris-Est Créteil a exploré l’histoire des quatre immeubles qui encadrent la place de l’Abbaye, à Créteil, au cœur du quartier du Mont-Mesly, et l'ont mise en exposition. Pour Entre-Temps, trois étudiants de la promotion et l’enseignant-chercheur qui a coordonné le projet reviennent sur cette expérience d’histoire publique.

Histoire mondiale d’un immeuble

 Le point de départ de ce projet est venu en 2023 d’une proposition du service du patrimoine de la Ville de Créteil, qui cherchait alors à valoriser l’histoire du quartier du Mont-Mesly (construit par l’architecte Charles-Gustave Stoskopf au milieu des années 1950 dans le cadre de la politique des grands ensembles) pour accompagner le projet de rénovation urbaine dont il fait actuellement l’objet.

Tout l’enjeu pour nous a consisté à concilier cette commande institutionnelle avec une approche proprement historienne : la recherche de cet équilibre est au cœur même de la formation professionnalisante que propose le Master d’histoire publique de l’université Paris-Est Créteil (UPEC). L’exercice consistait à concilier la valorisation de l’histoire du Mont-Mesly, la prise en compte des recherches les plus récentes en matière d’histoire des quartiers populaires, et l’adoption de formes originales de médiation : c’est ce qui nous a déterminés à adopter l’approche par l’immeuble.

En prenant pour unité de base non pas le quartier mais l’immeuble, l’idée était de favoriser des jeux d’échelles propres à décloisonner l’histoire des banlieues : l’échelle intime du foyer, celle, urbaine, du développement de la ville de Créteil, l’échelle nationale des projets de grands ensembles de l’après-guerre, l’échelle mondiale des trajectoires migratoires qui avaient convergé vers la place de l’Abbaye du Mont-Mesly et celle, francilienne, du quotidien des habitants. Ce faisant, l’enjeu du projet était de montrer que l’histoire de ces immeubles n’était pas qu’une histoire purement locale et susceptible d’intéresser seulement leurs habitants, mais une histoire aussi riche que n’importe quelle autre. Sans compter que l’entrée par l’immeuble permettait une approche immersive dans les dispositifs de médiation adoptés.

À partir d’un travail en archives et d’entretiens d’histoire orale, la promotion a élaboré trois dispositifs de médiation : une exposition, une carte interactive et un jeu de plateau. L’exposition était constituée de deux parties. La première, construite à partir des archives consultées, retraçait l’histoire du projet urbanistique et architectural et les évolutions de la vie du quartier, telle qu’elle est documentée dans les archives. La seconde, construite à partir des entretiens réalisés avec les habitants et anciens habitants, proposait une reconstitution d’appartement et abordait des aspects plus intimes de la vie dans ces immeubles (l’enfance, les sociabilités ordinaires, les loisirs, la cuisine). La carte interactive du Mont-Mesly, projetée dans l’exposition, localisait des éléments de l’histoire du quartier tirés à la fois du travail en archives et des entretiens réalisés avec les habitants, mais elle était également enrichie lors d’ateliers proposés aux groupes scolaires du quartier qui sont venus visiter l’exposition. Le jeu de plateau, enfin, est un jeu de construction urbaine qui intègre comme contraintes des cartes « Événéments », organisées par décennie, qui introduisent dans le jeu des événements (locaux, nationaux ou mondiaux) ayant véritablement eu des conséquences sur la vie dans le quartier du Mont-Mesly.

Cette exposition a été déployée une première fois aux Archives départementales du Val-de-Marne (Créteil), dans le cadre des Nocturnes de l’histoire, du 27 mars au 1er avril 2024. Elle a été redéployée depuis à plusieurs reprises : à la médiathèque de l’abbaye Nelson-Mandela (Créteil) du 4 au 11 juin 2024, dans le cadre du Festival d’histoire populaire de l’UPEC ; les 4 et 11 août 2024 sur la fan zone des Jeux olympiques à Créteil ; puis le 8 septembre 2024 sur le Forum des associations de Créteil – il est actuellement question de l’installer plus durablement dans la ville.

Enseigner l’histoire publique

Par Clément Fabre (ATER à l’UPEC de 2022 à 2024).

Comme attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’UPEC, j’ai coordonné le projet Les horizons du Mont-Mesly avec le scénographe-muséographe Michel Kouklia, et avec l’aide d’un collègue spécialiste d’histoire de l’urbanisme, Laurent Coudroy de Lille (dont l’expertise a notamment été déterminante pour la validation du contenu scientifique de l’exposition). Ce projet s’inscrivait dans la maquette de la première année du Master d’histoire publique de l’UPEC, où un projet tutoré aboutissant à une exposition est prévu chaque année, et son enjeu pédagogique était triple : familiariser les étudiants avec les méthodes de la recherche en histoire, avec les enjeux théoriques de l’histoire publique, et leur donner une première expérience de conduite de projet. La formation du Master d’histoire publique est en effet construite autour de la conviction que l’histoire publique est une facette parmi d’autres du métier d’historien, indissociable des autres manières de le pratiquer, et qu’elle implique donc une maîtrise des méthodes et des enjeux de la recherche – c’est pourquoi nos étudiants de M1 réalisent, parallèlement à ce projet tutoré, un mémoire de recherche.

Ce triple enjeu m’a incité à proposer aux étudiants de travailler sur l’histoire d’un immeuble. Cette approche est au cœur de travaux récents qui permettent notamment de revisiter de manière plus fine l’histoire des migrations – comme le beau livre de Fabrice Langrognet, Voisins de passage. Une micro-histoire des migrations (La Découverte, 2023). Elle est au cœur également de plusieurs projets muséographiques, comme le Tenement Museum à New York et les projets de l’AMuLoP (Association pour un musée du logement populaire du Grand Paris) en région parisienne. Elle permet enfin d’articuler travail en archives et entretiens d’histoire orale, et par là de réfléchir aux enjeux de co-construction du savoir et de shared authority, qui structurent d’abondantes réflexions théoriques en histoire publique – sur le statut du savoir historien par rapport à d’autres formes de connaissance du passé, et sur l’intérêt de les concilier sans invisibiliser pour autant les différences méthodologiques et documentaires qui les distinguent. Travailler sur l’histoire d’un immeuble du Mont-Mesly semblait donc un bon moyen de proposer aux étudiants une mise en situation professionnelle (se saisir de la commande de la municipalité) tout en se familiarisant avec un pan novateur de la recherche historique, avec le travail en archives et la conduite d’entretiens d’histoire orale, et en se frottant à l’un des enjeux théoriques les plus débattus en théorie de l’histoire publique.

La principale difficulté à laquelle je me suis retrouvé confronté a été de concilier le respect de ce triple objectif pédagogique avec la plus grande autonomie possible des étudiants. L’objectif de ces projets professionnalisants est en effet de laisser au maximum les étudiants définir le projet, ses enjeux, sa réalisation, et l’organisation même de leur travail pour parvenir à cette réalisation – tout en s’assurant qu’ils acquièrent bien les compétences que l’on souhaitait leur faire acquérir, et qu’ils mènent le projet à son terme, sous peine de compromettre la crédibilité du Master vis-à-vis de l’université et des partenaires institutionnels qui financent et soutiennent ces projets tutorés. Il était donc inconcevable de laisser aux étudiants une parfaite carte blanche, que ce soit pour le résultat final ou pour les réunions intermédiaires avec les partenaires mobilisés, et ce sont ces objectifs en tension qui ont déterminé la posture que j’ai adoptée comme enseignant au cours de l’année.

Tantôt, j’ai adopté une posture classique de transmission du savoir (en présentant aux étudiants différents travaux – comme ceux déjà évoqués de Fabrice Langrognet, ou encore ceux que Gauthier Bolle a consacrés aux grands ensembles en général et à la figure de Charles Stoskopf en particulier –, diverses certaines initiatives d’histoire publique, en les initiant à la méthodologie de l’histoire orale, ou encore en invitant des intervenants extérieurs, aussi bien chercheurs que praticiens de l’histoire publique, pour approfondir ces différents points), d’encadrement et de validation des différentes étapes du projet. Un rôle endossé également par Michel Kouklia, qui a accompagné la promotion dans l’organisation du rétroplanning, la constitution du budget, le contact avec les prestataires, la scénographie et la réalisation de l’exposition. Tantôt, nous nous sommes mis en retrait pour laisser les étudiants, organisés en trois sous-groupes de travail (sur les archives, les entretiens d’histoire orale et les dispositifs de médiation), choisir eux-mêmes les thématiques au cœur du projet, identifier la documentation pertinente pour l’aborder et définir les dispositifs de médiation pour les restituer – la carte interactive et le jeu de plateau, notamment, ont entièrement été pensés, conçus et mis en œuvre par les étudiants. Tantôt, enfin, nous avons endossé un rôle de porte-parole de la promotion auprès des différents partenaires institutionnels mobilisés : avant nos réunions avec les services impliqués de la mairie et du département (auxquelles participaient également parfois les responsables du Master), nous discutions ainsi avec les étudiants des points à aborder, puis nous débriefions la réunion avec eux – de manière à les impliquer au maximum tout en ménageant la crédibilité du Master vis-à-vis des partenaires institutionnels.

Auprès des habitants

Gabriel Rouillon (étudiant du Master d’histoire publique de l’UPEC, sous-groupe « Histoire orale »)

Le choix de l’histoire orale s’est assez vite imposé pour raconter l’histoire du Mont-Mesly à une échelle humaine et individuelle, et trancher avec une histoire urbaine simplement institutionnelle. Le profil des personnes à interviewer a été très vite défini : des personnes ayant vécu ou vivant actuellement sur la place de l’Abbaye du Mont-Mesly. La problématisation et la rédaction de nos questionnaires ont ensuite été le gros chantier de ce début de projet, en octobre 2023.

Pour mener à bien ces entretiens, nous avons choisi le format semi-directif, le but étant de travailler à partir d’une parole aussi libre et spontanée que permise par le questionnaire. Ce dernier était d’abord très généraliste, puis nous avons considérablement réduits le nombre de questions au fil de nos séances de travail, en passant d’une vingtaine à quatre questions seulement. Un travail de synthèse et de réflexion qui nous a permis de concentrer nos questions autour de trois échelles : individuelles, familiales et de voisinage. Notre but ce faisant était de comprendre avec précision la vie dans ces immeubles, les relations dans le cadre familial aussi bien qu’avec les voisins, et de mettre en lumière les différents espaces auxquels s’articulait l’espace de l’immeuble. Ces entrelacements d’échelles ont notamment donné à voir les réalités migratoires du Mont-Mesly, que ce soit dans les parcours individuels ou dans les souvenirs de familles issues de communautés diverses. C’est à ce moment que le travail d’archives de nos camarades nous a été le plus précieux, pour cadrer notre pensée, et nos questions. Notamment en nous indiquant des évènements et des rendez-vous de quartier auxquels nos interlocuteurs auraient pu participer.

Enfin est arrivé le temps des rencontres avec les enquêtés. Nous avions commencé par cibler les habitants d’un immeuble de la place de l’Abbaye. Mais, malgré l’aide de la mairie de Créteil et de la Maison de la solidarité, la prise de contact a été plus laborieuse que nous ne l’avions anticipé, ce qui nous a imposé d’élargir la focale aux quatre immeubles qui encadrent la place. Face aux enquêtés, un très rapide temps d’adaptation a bien sûr été nécessaire avant que nous ne trouvions nos rôles et enchaînions les entretiens sans incident. Nous procédions toujours à deux ou trois, avec un cadreur, quelqu’un pour prendre le son et la personne qui animait la rencontre en posant les questions. Ces entretiens nous ont particulièrement marqués. Il a été en effet très impressionnant d’entrer dans les souvenirs de ces personnes, et de découvrir le lien parfois très intime qu’elles entretiennent avec leur quartier. Monsieur et Madame Gilbert, par exemple, ont grandi au Mont-Mesly et en ont gardé une mémoire très vivante et touchante de leur séjour cristolien. Ces mêmes personnes nous ont d’ailleurs gracieusement prêté certains de leurs jouets d’enfance et des photographies des années 1970 pour les exposer.

Les entretiens ont été intégrés à l’exposition selon deux modalités : un montage vidéo d’extraits d’entretiens était diffusé sur un écran dans un salon reconstitué où les visiteurs pouvaient le regarder, assis sur un canapé, et le texte des entretiens a servi de base pour la rédaction de l’ensemble des panneaux de la partie intérieure. Quatre thématiques se sont naturellement dégagées : l’arrivée à Créteil, l’enfance place de l’Abbaye, les relations de voisinage et la vie culturelle dans le quartier. Le gros du travail a ensuite été d’équilibrer le montage et les panneaux pour assurer la même importance aux paroles recueillies. Ceci a été fait en concertation avec nos professeurs et nos camarades pour parvenir à un total de six panneaux proposant une histoire plus intime et humaine de la place de l’Abbaye du Mont-Mesly. Un dernier panneau présentait les enjeux et les méthodes de l’histoire orale à nos visiteurs, cassant avec la vision d’une histoire écrite exclusivement par le travail d’archives.

Dans les archives de l’immeuble

Danaé Roques (étudiante du Master d’histoire publique de l’UPEC, sous-groupe « Archives »)

Pour documenter l’histoire des immeubles de la place de l’Abbaye, nous nous sommes rendues dans plusieurs centres d’archives. En premier lieu, les Archives municipales de Créteil nous ont fourni les plans de la place de l’Abbaye, la maquette du quartier, les devis de construction des immeubles. Les Archives départementales du Val-de-Marne nous ont permis d’obtenir des photographies et des articles de la vie dans le quartier, des documents sur l’histoire de la MJC et de ses projets culturels, des vidéos documentant le développement de la ville de Créteil, et sur la manière dont le grand ensemble du Mont-Mesly s’y inscrivait.

Hors de Créteil, les archives de la Cité de l’architecture et du patrimoine conservent des documents sur Gustave Stoskopf, l’architecte à l’origine du quartier, et nous y avons appris beaucoup, autant sur les grands ensembles en général, que sur le Mont-Mesly en particulier. Nous avons malheureusement découvert trop tard le beau fonds de photographies de la place de l’Abbaye que conservent les archives de la Caisse des dépôts et consignations pour les intégrer à la première version de l’exposition, mais elles ont pu être intégrées à ses redéploiements.

Nous avons également exploité la bibliographie disponible sur l’histoire des grands ensembles et sur celle de Créteil, en nous appuyant notamment sur deux travaux : l’ouvrage de Laurent Coudroy de Lille, Une nouvelle ville : une histoire de l’urbanisme du Nouveau Créteil (Institut d’urbanisme de Paris, 2005) et la thèse de Gauthier Bolle, « Un acteur de la scène professionnelle des Trente Glorieuses, de la Reconstruction aux grands ensembles : l’architecte alsacien Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004) » (Université de Strasbourg, 2014).

Certains des documents que nous avons consultés ont pu être exposés, dans des vitrines, pendant l’exposition. Ça a notamment été le cas de plusieurs documents des Archives départementales – l’emprunt étant alors facilité par le fait que l’exposition se déroulait dans le pavillon des archives –, mais aussi de la maquette du Mont-Mesly, conservée aux Archives municipales de Créteil. Nous n’avons pas pu obtenir la maquette du Mont-Mesly pour la première version de l’exposition, au mois de mars, car elle devait alors être réparée, mais nous avons réussi à l’emprunter pour le redéploiement de l’exposition en juin, à l’occasion du Festival d’histoire populaire. Elle a constitué un outil précieux de médiation, notamment avec les enfants. Collégiens et CM2 semblent avoir beaucoup apprécié. Cela leur permettait de comprendre comment le quartier avait été construit. De plus, les élèves allaient à l’école au Mont-Mesly et, pour certains, y habitaient : on pouvait donc leur faire retrouver leur école, leur maison et d’autres lieux clés de leur environnement urbain.

Nous avons rencontré un certain nombre de difficultés au cours de ce travail d’archives. Nous ne connaissions que peu l’histoire de Créteil, et encore moins celle du Mont-Mesly, lorsque nous avons entamé nos recherches, et ce projet a donc nécessité un important travail d’acclimatation. De même, nous n’avons compris que tardivement la répartition du quartier en secteurs et la numérotation des immeubles de la place de l’Abbaye. Ce n’est qu’à partir de ce moment que nous avons pu, aux Archives municipales, trouver les devis de construction et les plans concernant les immeubles de la place du Mont-Mesly, ce qui nous a permis de corriger la date de construction de nos quatre immeubles, sur laquelle certaines des sources que nous avions consultées étaient erronées.

Enfin, nous avons dû apprendre à articuler apprentissage scientifique et accessibilité de l’information. Au terme de nos recherches archivistiques et bibliographiques, nous avions une grande quantité d’informations, et nous avons dû opérer un grand tri pour ne pas surcharger les panneaux et pour rendre l’ensemble digeste, agréable et compréhensible par tous.

Se plonger dans les archives, notamment photographiques, c’est aussi se figurer plus clairement et plus personnellement la vie au Mont-Mesly et sur la place de l’Abbaye depuis les années 1950. Les photographies du carnaval annuel de Créteil nous ont beaucoup marquées : nous n’imaginions pas cette vie festive dans les grands ensembles, qui est moins présente aujourd’hui. De même, grâce aux photographies de Jean Biaugeaud, nous avons eu l’émotion de nous transporter au cœur même de ces sociabilités ordinaires de la place de l’Abbaye dont nos camarades du groupe Histoire orale recueillaient le souvenir dans leurs entretiens.

Un jeu, une carte et une exposition

Mathis Chocat (étudiant du Master d’histoire publique de l’UPEC, sous-groupe « Dispositifs de médiation »)

Une fois définis les grands thèmes de l’exposition, l’idée de la scénographie est venue assez vite. Comme nous nous sommes centrés sur les immeubles de la place de l’Abbaye, nous voulions recréer l’ambiance du lieu. Nous étions plusieurs à avoir eu la même idée : séparer l’exposition en deux, avec une partie « extérieur » et une partie « intérieur ». L’idée était de plonger le visiteur dans l’ambiance du quartier, puis de le faire entrer dans un appartement des années 1950-1960, époque des premiers habitants du quartier. Cela suivait la logique du contenu : en même temps que le visiteur passait de l’extérieur à l’intérieur de l’immeuble, il glissait de l’histoire la plus institutionnelle vers l’histoire la plus intime et incarnée.

Nous avons dû renoncer à faire une véritable reconstitution d’époque, car cela n’était pas réalisable. Néanmoins, nous avons récupéré du mobilier des années 1950-1960 dans une entreprise qui donne une seconde vie aux objets. Nous avons ainsi créé une zone salon, une zone cuisine et salle à manger dans la partie intérieure. Chaque lieu représenté correspondait à l’un des thèmes de l’exposition : dans la cuisine, il était question de culture et de diversité ; dans le salon, de relations de voisinage ; dans la partie extérieure, des enjeux urbanistiques et des trajets quotidiens des habitants. Certains objets exposés sont des biens personnels prêtés par les habitants que nous avons interviewés. Cette reconstitution a ainsi été co-construite avec les acteurs de l’histoire du Mont-Mesly.

Les deux autres dispositifs de médiation – la carte interactive et le jeu de société – s’intégraient directement à l’exposition. Installée dans la partie « extérieur », la carte interactive permettait d’aborder la question de l’espace vécu des habitants. Nous y avons fait figurer les lieux les plus emblématiques du quartier, nous y avons localisé les événements de l’histoire du Mont-Mesly qui ressortaient des recherches en archives et des entretiens, et nous avons invité les visiteurs de l’exposition à compléter cette carte : après l’ouverture de l’exposition, nous avons ainsi organisé plusieurs ateliers pour alimenter la carte, notamment avec des groupes scolaires d’écoles du quartier.

Quant au jeu de société « MeslyPoly », il était intégré à la partie « intérieur » du parcours, invitant les visiteurs à s’attabler dans le salon pour partager un moment ensemble. Cette idée est née d’une envie de créer un jeu de société de construction de ville, ce qui s’adaptait parfaitement au thème de l’exposition. Nous avons également profité de ce dispositif pour mettre à l’honneur des bâtiments emblématiques du quartier, comme la mairie, les archives ou encore la médiathèque. Le jeu se joue jusqu’à 6 joueurs, le but étant de marquer le maximum de points en construisant le plus de bâtiments possibles. La partie débute dans les années 1950 et s’achève dans les années 2010. Les joueurs changent de décennie tous les 2 tours de jeu en tirant une « carte événement ». Ces cartes introduisent des événements (locaux, nationaux ou mondiaux) dont notre travail dans les archives ou auprès des habitants nous a permis d’identifier l’influence sur l’histoire du Mont-Mesly : elles nous ainsi permis d’intégrer au déroulement même du jeu notre réflexion sur l’imbrication des échelles d’analyse, indispensable pour saisir finement l’histoire de ce quartier.

Publié le 4 février 2025
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