1972. Signatures d'un programme commun pour la gauche
Trois signatures en bas d'une feuille blanche au texte épuré ; la photographie d'une salle comble ; la couverture d'un livret édité. Guillaume Touati, responsable archives de la Fondation Jean-Jaurès, présente pour Entre-Temps trois archives qui accompagnent un moment de l'histoire des gauches et de leurs unions : le Programme commun de gouvernement de 1972.
Trois signatures
Trois phrases, trois signatures. C’est sur une simple feuille et sur un ton laconique que les leaders des principaux partis politiques de gauche, François Mitterrand pour le Parti socialiste (PS), Georges Marchais pour le Parti communiste français (PCF) et Robert Fabre au nom des radicaux de gauche (MRG) actent, le 12 juillet 1972, « la ratification du programme commun de gouvernement par leurs instances nationales respectives », à l’hôtel Continental à Paris (Archive 1).
Ce document provient des collections du centre d’archives de la Fondation Jean-Jaurès, et plus précisément d’un des dossiers issus des 4,70 mètres linéaires d’archives du fonds consacré aux relations entre le PS, le PCF et le MRG à propos de l’Union de la gauche et du Programme commun de gouvernement. Une simple feuille, entourée de nombreux documents et notes de travail issues des échanges entre ces partis, de correspondances, de résolutions, d’approbations et de communiqués du bureau exécutif du PS.
Fruit d’un long et délicat travail de négociations et compromis, l’accord en lui-même fut d’ailleurs conclu quelques jours plus tôt au siège du Parti communiste, au petit matin du 27 juin, entre la délégation socialiste menée par François Mitterrand, arrivée la veille au soir pour rencontrer Georges Marchais et les négociateurs communistes. Les archives du fonds témoignent de cette géographie des négociations qui se sont tenues alternativement aux sièges des trois formations politiques. Diversité des lieux qu’illustre la très riche collection de négatifs et diapositives des photographes Pierre et Monique Guéna conservée et progressivement numérisée par la Fondation Jean-Jaurès avec le soutien du ministère de la Culture. Ce couple de photographes a couvert les nombreuses commissions et rencontres qui se sont tenues régulièrement jusqu’à cette signature officielle dans le cadre plus solennel de l’hôtel Continental (Archive 2).
Éditions et actualisations du programme commun
Attendu et espéré par la base militante, cet accord marque l’aboutissement d’une démarche de rapprochement entamée dans les années 1960. Mais ce texte arrive aussi dans un contexte plus favorable, notamment du côté socialiste, avec la disparition de la SFIO au profit du Parti socialiste en 1971.
Le Programme commun de gouvernement forme la synthèse des programmes « Changer de cap » des communistes (octobre 1971) et « Changer la vie » des socialistes (mars 1972), malgré des divergences sur plusieurs grandes thématiques, notamment l’organisation de l’économie, la construction européenne, les questions de Défense, et surtout la question des nationalisations, qui fut l’objet de nombreux blocages lors des négociations. Du côté socialiste, le Programme fut édité sous différentes versions, accompagné de « Changer la vie » en 1972, puis seul en 1973 (Archive 3). Sur la couverture de l’édition de 1973, parue chez Flammarion, les trois partis politiques sont regroupés, unis sous le programme commun de gouvernement. Mais, édition socialiste oblige, la rose au poing trône tout de même au centre de la page. Le texte est repris en 1978 dans les « Propositions socialistes pour l’actualisation ».
Ce programme commun incarna durant six ans à la fois la carte d’identité de la gauche, un engagement passé avec le « peuple de gauche », un slogan et une promesse de changement démocratique. Cet engagement de gouverner ensemble est aussi un pari pour chacun des signataires, chacun comptant sur la dynamique créée pour se renforcer. En mai 1974, François Mitterrand, candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle, frôle la victoire. La question de l’actualisation du texte ratifié en 1972 est dès lors posée régulièrement par le PCF arguant de sa « fidélité » aux objectifs de changement contenus dans le texte, tandis que le PS « unitaire pour deux », remporte des succès aux cantonales et municipales de 1977. Un an plus tard, la « réactualisation » du programme commun est un échec, chacun des partenaires en rejetant la responsabilité sur l’autre. Le Parti socialiste parvient au pouvoir en 1981, avec les fameuses 110 propositions, largement inspirées du programme de 1972.
Où consulter les archives sur le Programme commun ?
Créée en 1992, et reconnue d’utilité publique, la Fondation Jean-Jaurès se fixe, entre autres objectifs, de « favoriser l’étude et l’histoire du mouvement ouvrier et du socialisme international ». Elle est située à Paris au 12, cité Malesherbes, lieu bien connu des socialistes puisque cet immeuble servit de siège national pour la SFIO à partir de 1937, puis pour le Parti socialiste jusqu’en 1975.
La Fondation signe avec le Parti socialiste, en 1997, une convention pour la conservation des archives et de la mémoire du mouvement socialiste, convention renouvelée en 2006, et fait de même avec le Mouvement des jeunes socialistes en 2001, puis avec le groupe socialiste à l’Assemblée nationale en 2013. Elle reçoit également régulièrement, en don ou en dépôt, des fonds personnels de militants, d’élus et de dirigeants politiques.
La création de son centre d’archives en 1999 répond à la volonté de professionnaliser les missions de collecte, au classement et à la valorisation des archives du mouvement socialiste.
Les collectes d’archives se font au rythme des temps forts du mouvement socialiste (congrès, élections, etc.). Ce centre d’archives propose également une action de conseil auprès des fédérations départementales et des sections du Parti socialiste confrontées aux problématiques d’archivage de leurs documents internes et de leur publication.
Parmi les 2,5 kilomètres linéaires d’archives et de documentation que la Fondation Jean-Jaurès conserve, le fonds 2 RE présente les documents produits par le Secrétariat national aux relations extérieures, et plus particulièrement les dossiers sur les relations entre le PS, le PCF et le MRG, sur l’Union de la gauche et le Programme commun de gouvernement (1964-1987).
Sur ce sujet, le chercheur pourra aussi mobiliser d’autres fonds conservés par la Fondation. Notamment la série 1 PS qui présente les archives du premier secrétariat, période François Mitterrand 1971-1981 (dossiers de Lionel Jospin sur les relations PS-PCF (1974-1977) ; les séries 12 EF et 13 EF avec les dossiers d’Ernest Cazelles pour Pierre Mauroy sur les fédérations socialistes et les dossiers des secrétariats nationaux « Élections et Fédérations » qui témoignent des relations locales entre socialistes et communistes avant et après les élections, des accords électoraux dans le cadre du Programme commun et de l’union de la gauche (1971-années 1980). Sans oublier le fonds de Robert Pontillon et ses dossiers sur l’union de la gauche et le Programme commun (années 1960-1970).
Ces archives devront être complétées par la consultation des collections de l’Office universitaire de recherche socialiste qui conserve plusieurs fonds privés de responsables socialistes qui, au niveau national mais aussi local, ont participé à la construction de l’union de la gauche dans les années 1960 et 1970, notamment les archives de Guy Mollet et de Claude Fuzier. Sans oublier bien sûr les Archives départementales de Seine-Saint-Denis qui conservent les archives historiques du Parti communiste français et sauvegardent aussi des fonds privés de dirigeants communistes, dont celui de Georges Marchais.
Pour aller plus loin :
– Inventaire du fonds 2 RE Union de la gauche et le Programme commun de gouvernement
– Le Programme commun a 50 ans ! – Fondation Jean-Jaurès
– L’union des gauches : l’étape de 1971 – Fondation Jean-Jaurès
– L’Union sans unité. Le programme commun de la gauche : 1963-1978 – Fondation Jean-Jaurès